Marseille, France - L’observatoire Revela 13, piloté par Santé Publique France (SPF), a fait savoir récemment que le département des Bouches-du-Rhône présentait un taux d’incidence du cancer de la vessie supérieur à ce qui est observé au niveau national [1]. Le risque de développer ce cancer est particulièrement élevé à Marseille et dans certaines communes au sud-est de la métropole. A titre d’exemple, à Fos-sur-mer et aux alentours, l’incidence du cancer de la vessie est 10 à 20% plus forte qu’au niveau national. A Marseille et dans les communes du Sud-est, ce risque est accru de 55% pour les hommes et de 80% pour les femmes.
Les différences socio-économiques (conditions de vie, accès à un urologue), le tabagisme, l’exposition professionnelle ou la présence d’un polluant dans l’eau du robinet, facteurs de risque majeurs de cancer de la vessie, peuvent-ils expliquer à eux seuls le nombre anormalement élevé de cas ?
Medscape édition française a demandé son avis à Marc Colonna, responsable du registre des cancers de l’Isère, rattaché au CHU de Grenoble.
Répondre aux inquiétudes des habitants
L’objectif de l’observatoire Revela 13 était de décrire la répartition du cancer du rein, de la vessie et de la leucémie aiguë de l’adulte à l’échelle du département des Bouches-du-Rhône et de ses communes. Il a été créé pour répondre aux interrogations des habitants résidant à proximité de site industriels, en particulier autour de l’étang de Berre, inquiets des risques potentiels sur leur santé.
« Cette étude n’avait pas pour objectif de déterminer les facteurs d’exposition pouvant expliquer ce sur-risque », a rappelé SPF. D’autres études seront donc menées pour évaluer l’influence du tabagisme, principal facteur de risque du cancer de la vessie, mais aussi de la pollution atmosphérique ou encore de l’arsenic hydrique.
Investiguer la zone de Fos-Etang de Berre
L’étude Revela13 a été conduite entre 2013 et 2016, à partir des signalements des médecins spécialisés, mais aussi des fiches de réunions de concertations pluridiciplinaires (RCP), des données issues du programme de médicalisation des systèmes d’information ou encore des comptes rendus d’anatomopathologie.
Les trois cancers ont été choisis en raison de la spécificité industrielle du département, afin d’identifier « l’existence ou non de clusters de ces cancers », précise SPF. « La perception des médecins quant à l’augmentation des cas de cancers de la vessie sur la zone de Fos-Etang de Berre a également été prise en compte. »
Cette zone industrialo-portuaire, l’une des plus grandes d’Europe, est en effet soumise à de nombreux polluants (métaux lourds, particules, pesticides organochlorés, hydrocarbures aromatiques polycycliques…). En janvier 2017, l'étude Fos-Epséal a montré que les habitants avaient deux fois plus de cancers, de diabètes et d'asthme que dans d’autres régions de France.
Dans cette nouvelle analyse, il apparait bien un sur-risque de cancer de la vessie autour de l’étang de Berre, mais il reste inférieur à ce qui est observé à Marseille et dans les communes du sud-est de la métropole (La Ciotat, Cassis, Aubagne…), où se trouvent les clusters les plus significatifs pour ce cancer.
Cancer de la vessie : 2 400 cas en trois ans
Pendant la période de l’étude, 2 406 nouveaux cas de cancer de la vessie ont été enregistré dans le département, soit un taux d’incidence standardisé de 19,3 pour 100 000 personnes-années chez les hommes, contre 14,4 au niveau national. Le taux est respectivement de 3,3 contre 2,3 pour 100 000 personnes-années chez les femmes.
A Fos-sur-mer et aux alentours, l’incidence pour ce cancer est augmentée de 10 à 20% par rapport à celle observée au niveau national. A Marseille et dans les communes du Sud-est, le risque de développer ce cancer est accru de 55% pour les hommes et de 80% pour les femmes.
Concernant le cancer du rein et la leucémie aiguë, l’analyse ne fait pas apparaitre de taux d’incidence plus élevés par rapport à la moyenne nationale.
Une disparité spatiale qui laisse perplexe
Selon l’épidémiologiste, Marc Colonna, la méthodologie utilisée dans l’étude est suffisamment solide pour fournir une bonne description de la situation. Mais, la disparité spatiale caractérisant le cancer de la vessie laisse perplexe. « Cette étude apporte plus de questions que de réponses. Comme le soulignent les auteurs de l’étude, il faudrait d’autres analyses basées sur d’autres protocoles pour comprendre cette surincidence. »
La poursuite du recueil des données de surveillance permettrait notamment de vérifier si le risque se maintient après plusieurs années, estime-t-il. « Il faudrait aussi avoir accès aux données sur le nombre de cas observés localement pour mieux mesurer le socle sur lequel repose les variations géographiques observées. »
Néanmoins, étant donné que les clusters apparaissent dans des zones densément peuplées, « il est peu probable que ce risque soit dû au hasard. Les résultats me semblent robustes ».
Le tabagisme en cause ?
« Des registres ont déjà permis de révéler de fortes disparités géographiques pour un cancer, généralement associées à l’influence d’un facteur majeur », explique Marc Colonna. « C’est le cas du cancer du poumon, lié au tabagisme et donc aux inégalités sociales, ou du cancer de la thyroïde, dont l’incidence dépend de l’approche diagnostique. »
En France, la moitié des cas de cancer de la vessie serait liés au tabagisme. « Chez les hommes, la fréquence du cancer de la vessie est 3 à 4 fois plus élevée que chez les femmes reflétant ainsi l’exposition des hommes au tabac et aux expositions professionnelles qui représentent les deux facteurs de risque les plus importants. »
Mais ici, « l’impact du tabagisme ne semble pas être une hypothèse si pertinente, puisqu’il est en partie lié au niveau socio-économique. Or, l’étude montre que les variations observées dans les incidences de cancer de la vessie ne sont pas associées aux inégalités sociales », a commenté Marc Colonna.
Dans le cas du cancer de la vessie, « si le tabagisme était le facteur en cause, il y aurait alors une corrélation entre les taux d’incidences élevées et les différences de niveau-socio-économique, et cela même si la fraction attribuable au tabac est plus faible pour la vessie que pour le poumon. »
De même, la prise en compte de l’accès à un urologue dans l’étude n’a pas permis de révéler l’influence d’un facteur de pratique diagnostique.
Autre piste possible : plusieurs métiers à risque (peintres, ramoneurs…) et secteurs professionnels (production d’aluminium, industrie du caoutchouc, gazéification du charbon) ont été également été identifiés comme étant à risque de développer un cancer de la vessie.
Les trihalométhanes suspectés
La piste des sous-produits de chloration présents dans l’eau du robinet (trihalométhanes-THM), autre facteur de risque de cancer de la vessie, est également suggérée. Les données fournies par l’Agence régionale de santé (ARS) PACA, à la demande de Medscape édition française, révèlent pour l’année 2019 des niveaux de THM très inférieurs à la limite de qualité de 100µg/L dans l’eau de boisson distribuée par le réseau public marseillais. Aucun dépassement n’a d’ailleurs été observé depuis 2015, précise l’ARS-PACA.
Selon le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), près de la moitié des cas de cancer de la vessie ne sont pas attribuables à des facteurs connus liés au mode de vie et à l’environnement. « Peut-être qu’il existe localement à Marseille et dans ses environs un facteur de risque ou une combinaison de facteurs encore ignorés », avance Marc Colonna.
Il faut désormais attendre les résultats des prochaines études de SPF pour espérer identifier les facteurs en cause.
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Citer cet article: Sur-risque de cancer de la vessie à Marseille : quelles sont les hypothèses ? - Medscape - 13 août 2019.
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