Mutilations génitales féminines : du mieux mais la vigilance est de mise

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

6 août 2019

Paris, France — De nouvelles estimations du nombre de femmes victimes de mutilations génitales en France viennent de paraître, et portent ce chiffre à 124 355 en tenant compte des premières et deuxièmes générations [1]. Un chiffre qui ne peut être comparé aux précédentes estimations réalisées il y a 10 ans qui, elles, ne comptabilisaient que la première génération et s’établissaient autour de 60 000 [2].

Cette augmentation en trompe-l’œil cache en réalité une situation en voie d’amélioration, grâce aux décisions législatives prises depuis une vingtaine d’années par les gouvernements des différents pays concernés – certains plus que d’autres –, la modification des comportements et le travail de prévention des associations.

Pour autant, la vigilance de tous, professionnels de santé compris, reste de rigueur (voir plus bas comment dépister et signaler les patientes à risque ou excisées). Car si la baisse est effective en Afrique, d’autres populations sont touchées par les mutilations génitales, en Asie et au Moyen-Orient essentiellement, et la montée des intégrismes pourrait à nouveau relancer ces pratiques ou les faire apparaitre dans de nouveaux groupes de population.

Nous avons demandé à Isabelle Gillette-Faye, sociologue, spécialiste de ce type de violences et directrice générale de la Fédération nationale GAMS* depuis 1990 de faire un point sur les mutilations génitales féminines en France et dans le monde. Elle explique aussi ce que peuvent faire les professionnels de santé pour dépister et signaler les patientes à risque ou excisées, et se former au repérage et à la prise en charge.

* Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles, des Mariages Forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants

200 millions de femmes dans le monde

Aujourd’hui, dans le monde, 200 millions de femmes ont subi une forme de mutilation génitale féminine (MGF). On appelle mutilations génitales féminines (ou excision) (MGF/E) « toutes les interventions aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme et/ou toute autre lésion des organes génitaux féminins pratiquée à des fins non thérapeutiques », rappelle le BEH qui publie cet été les dernières estimations françaises sur ces pratiques totalement néfastes [1]. Car, outre le fait que les mutilations soient une violation des droits des jeunes filles et des femmes, sans aucun avantage pour leur santé, ces gestes peuvent provoquer de graves hémorragies et des problèmes urinaires, et par la suite des kystes, des infections, la stérilité, des complications lors de l'accouchement, et accroître le risque de décès du nouveau-né [3].

France : un des premiers pays européens confronté à la réalité des MGF/E

Du fait de l’ancienneté des flux migratoires en provenance d’Afrique, la France est l’un des premiers pays européens confronté à la réalité des MGF/E sur son territoire, dès la fin des années 1970. Pour en estimer l’importance, une estimation est réalisée au milieu des années 2000. Cette mesure indirecte, issue du projet « Excision et handicap » (ExH), estime alors le nombre de femmes adultes ayant subi une forme de MGF à environ 62 000. Mais, « en l’espace de 10 ans, les flux migratoires en provenance de l’Afrique subsaharienne ont connu une féminisation significative entraînant une augmentation du nombre de femmes potentiellement concernées » expliquent les démographes, auteurs de l’article du BEH.

D’un autre côté, de nouvelles lois ont été votées en France, notamment celle du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, afin de limiter l’impact de la violence sur la santé dont les MGF/E et la prise en charge des femmes concernées. Et suite à la mise en œuvre de politiques de lutte contre ces pratiques, celles-ci ont rapidement régressé en France, écrivent encore les chercheurs. Il était donc important, 10 ans après d’actualiser les chiffres de 2007 et d’évaluer, compte-tenu des paramètres cités précédemment, le nombre de femmes adultes vivant en France et ayant subi une MGF/E mais en y intégrant, cette fois, de nouveaux risques concernant les filles (adultes) de migrants.

124 355 femmes adultes vivant en France au milieu des années 2010 

D’un point de vue méthodologique, les chercheurs ont utilisé une technique d’estimation indirecte, faute de mesure directe dans les pays d’immigration, qui présente donc un certain nombre de limites et de biais, lesquels peuvent avoir conduit à des sous- ou des sur-estimations.

En pratique, ils ont appliqué les risques d’excision observés dans les pays d’origine, ventilés par pays et par groupes de générations, aux effectifs des premières générations, et estimé que 86 343 femmes de ces générations seraient excisées. Puis en appliquant les risques d’excision observés en contexte migratoire via l’enquête ExH, ventilés par groupes de générations, aux effectifs des deuxièmes générations, plus jeunes, ils ont ensuite estimé que 38 012 femmes des deuxièmes générations pourraient avoir été excisées. Ce qui, au final, conduit au chiffre de 124 355 femmes adultes ayant subi une MGF/E vivant en France au milieu des années 2010.

Comparée à l’estimation de 62 000 femmes trouvée lors de la première enquête [2], l’augmentation observée en l’espace de 10 ans s’explique, pour les auteurs, « à la fois par la féminisation de la population migrante et par le vieillissement des « deuxièmes générations », qui, rappelons-le n’étaient pas comptabilisées dans la première enquête.

Pour Isabelle Gillette-Faye, l’estimation de 124 355 femmes tient « indéniablement » à l’intégration des deuxièmes générations dans le calcul. « Une précédente enquête avait montré que 11% des filles de 2ème génération étaient excisées et que 30% étaient à risque, il n’est donc pas étonnant que l’on arrive aujourd’hui à ces chiffres-là. »

Du mieux malgré tout

Au-delà de l’apparente augmentation du nombre de femmes concernées, « il ne faut pas faire dans le catastrophisme », indique la directrice générale du GAMS. « Les chiffres baissent au niveau mondial, avec une décrue généralisée chez les 0-15 ans. Après près de quarante années de sensibilisation en France, le pays est désormais en deuxième position derrière le Royaume-Uni (voir encadré), qui a mis beaucoup de temps avant d’agir, se félicite la sociologue. Et aujourd’hui, en France, ce n’est plus 3 filles sur 10 qui sont menacées mais 1 à 2 sur 10, et ce en l’espace de moins de 15 ans. »

Cette éclaircie dans le paysage sinistre de l’excision est d’ailleurs reconnue par les auteurs de l’article du BEH, qui écrivent que « les données de l’enquête ExH ont […] montré que « toutes choses égales par ailleurs », les filles nées en France avaient significativement plus de chances de ne pas être excisées que celles nées dans un pays à risque et que le risque d’excision était également moindre parmi les plus jeunes générations ». A cela deux explications, « la mise en œuvre de politiques de lutte contre ces pratiques » qui a conduit à une rapide régression en France, « même si un risque persiste toujours, notamment en cas de retour temporaire dans le pays d’origine » notent-ils. Ainsi qu’« une modification progressive des normes et comportements suite à la migration ».

Quid de l’Europe ?

« Au niveau européen, d’après les dernières estimations réalisées dans plusieurs pays, mais qui ne portaient que sur les premières générations, la France est (en effectifs absolus) le deuxième pays le plus concerné après le Royaume-Uni où vivraient environ 140 000 femmes adultes excisées nées dans des pays à risque » rapporte le BEH [1]. Viennent ensuite l’Italie, les Pays-Bas et l’Allemagne. Au final, parmi les 530 000 femmes adultes excisées nées dans un « pays à risque » et vivant en Europe, près d’une sur deux vit au Royaume-Uni ou en France, indiquent les chercheurs.

Plus de mutilations génitales féminines en Asie qu’en Afrique

Du mieux certainement, mais, « il faut prendre les choses avec beaucoup de précautions, prévient Isabelle Gillette-Faye. Malgré la baisse remarquée dans certains pays d’Afrique, le problème est loin d’être réglé avec l’apparition de nouveaux risques dans d’autres régions du monde ». Aujourd’hui, contrairement aux idées reçues, il y a plus de mutilations génitales féminines/excision (MGF/E) en Asie qu’en Afrique, essentiellement du fait des 70 millions de femmes concernées en Indonésie. Les femmes des Proche et Moyen-Orient, via l’Irak et le Yémen, ne sont pas épargnées, ni, dans une moindre mesure, les pays occidentaux d’immigration (Europe, Amérique du Nord, Australie). La présidente de GAMS évoque même des cas à Moscou, ville où la pratique n’avait jusqu’à présent pas été signalée. Concrètement, « le phénomène ne concerne pas uniquement les petites africaines, mais aussi les enfants métis, de même que les petites kurdes blondes aux yeux bleues » résume-t-elle. « On voit, par ailleurs, arriver de nouvelles populations, des 2ème et 3ème générations qui peuvent être prises dans des réseaux de radicalisation » ajoute-t-elle.

Les vacances scolaires, périodes à risque

L’émergence de ces nouvelles populations à risque ne facilitent pas la tâche des professionnels de santé dans leur mission de prévention et de repérage. « Difficile de définir des critères de risque, une mère excisée pourra être la première à défendre sa fille bec et ongles contre cette pratique, à l’inverse une mère qui aura été elle-même protégée pourra souhaiter renouer avec la tradition, sous influence de sa famille ou de celle de son mari » explique Isabelle Gillette-Faye.

Les vacances d’été, avec le retour au pays et les 2 mois qui permettent la cicatrisation est évidemment une période à haut risque – la pratique a, pour ainsi dire, disparu sur le sol français –, mais pas uniquement. « Toutes les vacances scolaires, en particulier, quand les familles les rallongent de 15 jours, peuvent l’être pour les fillettes » indique la spécialiste qui précise, qu’aujourd’hui, l’excision est pratiquée de plus en plus jeune – avant 5 ans dans 50% des cas au niveau mondial. « Il arrive néanmoins que l’on sache une fillette protégée entre 0 et 6 ans grâce au suivi par la PMI (protection maternelle infantile) et que l’on découvre l’existence d’une mutilation au moment de la première grossesse » modère-t-elle.

Levée du secret professionnel prévu par la loi

S’il a connaissance d’une menace d’excision pour une petite fille ou une jeune fille, un médecin généraliste (ou de tout type de spécialités) doit, comme face à tout type de maltraitance ou d’agressions sexuelles, appeler le 119 afin de déclencher une enquête des Services d’état de Protection de l’Enfance ou les services juridiques spécialisés s’il en a connaissance (voir encadré Se former aux MGF/E).

Devant un cas avéré de MGF/E, un médecin a l’obligation d’en informer les autorités compétentes. « C’est un cas de levée du secret professionnel. L’abstention constitue une infraction pour non-assistance à personne en danger prévue et punie par la loi » prévient Isabelle Gillette-Faye.

Pour finir sur une touche positive, rappelons que la médecine offre désormais aux femmes victimes de MGF/E qui le souhaitent des « solutions » allant de la désinfibulation [3] à la chirurgie réparatrice à l’âge adulte (inventée par le français Pierre Foldes et proposée dans une quinzaine d’établissements en France), en passant par un accompagnement psychologique.

Se former sur les mutilations génitales féminines

Les professionnels de santé qui souhaitent se former peuvent se rendre sur le site stop-violences-femmes.gouv. Ils y trouveront des formations et notamment le kit « Bilakoro » consacré au repérage et la prise en charge des mineures confrontées aux mutilations sexuelles féminines, ainsi que des modèles d’attestations et de certificats pouvant être établis par la.le professionnel.le.

La fédération GAMS propose, elle aussi, des formations et des outils, accessibles sur son site.

Par ailleurs, à la rentrée devraient sortir des recommandations à l’intention des professionnel.les de santé, indique Isabelle Gillette-Faye, qui précise que la formation des médecins comprend désormais un module de formation aux violences faites aux femmes. Une indéniable avancée.

 

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