Cologne, Allemagne — « Plus de la moitié des nouveaux médicaments introduits sur le marché allemand n’aurait pas montré un bénéfice additionnel par rapport aux médicaments existants ». C’est le constat plutôt sévère que dresse Beate Wieseler, responsable du département d’évaluation des médicaments au sein de l’institut IQWiG*, équivalent allemand de la HAS, dans un article publié dans le BMJ[1].
Avec ses collègues, elle considère que les circuits de développement et les politiques du médicament sont responsables de cet état de fait et doivent être réformés. Très critiques vis-à-vis du système actuel d’évaluation des produits de santé, les auteurs prônent une redéfinition des objectifs de santé publique et une révision des cadres juridique et réglementaire au niveau national et européen. Pour se recentrer sur ce qui devrait être la priorité principale : les besoins des patients, ils proposent d’introduire de nouveaux modèles de développement des médicaments, prenant comme exemple des initiatives à but non lucratifs, faisant intervenir public et privé ou encore l’open source.
Medscape édition française s’est procuré les réponses de l’industrie pharmaceutique allemande suite à la publication de cette étude auprès de l’European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA) (Voir en fin de texte).
Des procédures trop accélérées
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Beate Wieseler ne va pas se faire que des amis chez les industriels du médicament. Avec ses deux collègues, elle critique très largement la stratégie actuelle des organismes d’homologation qui consiste à accélérer le développement et les procédures d’autorisation des médicaments, sous prétexte qu'un accès plus rapide aux nouveaux médicaments est bénéfique aux patients et que les nouveaux produits sont forcément meilleurs que les produits existants.
« Bien qu'il existe sans doute des lacunes dans l'arsenal thérapeutique, écrivent les auteurs, les recherches portant sur les approbations de médicaments effectuées depuis les années 1970 suggèrent qu'un nombre limité de nouveaux médicaments offrent de réels progrès par rapport aux médicaments existants. La plupart des études situent la proportion de l’innovation à moins de 15%, sans réelle amélioration avec le temps ». Voilà qui est dit.
Des nouveaux médicaments sans bénéfices supplémentaires pour la plupart
Pour preuve, entre 2011 et 2017, l’organisme allemand IQWiG* (Institut pour la qualité et l’efficacité des soins de santé) où travaille Beate Wieseler a évalué 216 médicaments entrant sur le marché allemand après avoir reçu une autorisation de mise sur le marché (voir graphe 1).
Parmi ces 216 médicaments – dont 152 en tant que « vrais » nouveaux médicaments et 64 dans une nouvelle indication – 54 (25%) ont été considérés comme présentant un bénéfice majeur ou considérable (voir graphe1).
Pour 35 d’entre eux (16%), le bénéfice additionnel (amélioration du service médical rendu) a été jugé, soit mineur, soit impossible à quantifier.
Pour 125 médicaments (58%), les données disponibles ne prouvaient pas l’existence d’un bénéfice additionnel par rapport au traitement standard que ce soit sur la mortalité, la morbidité ou la qualité de vie dans la population de patients chez lesquels ils étaient indiqués.
Graphe 1 [1]

Les auteurs notent, par ailleurs, que comme les médicaments entrants sur le marché allemand ont été, pour la majorité, approuvés par les autorités de régulation européennes, à savoir l’Agence européenne du Médicament (EMA), il est très probable que leur analyse de la situation puisse s’étendre à d’autres pays européens.
Les auteurs ont été encore plus loin dans leur analyse en considérant, quand bénéfice additionnel il y avait, à qui celui-ci était destiné (sous-groupe d’âge, de sexe, tenant compte de la gravité de la maladie et d'autres facteurs spécifiques). Sur la base de ce critère, sur 89 médicaments qui ont fait état d’un bénéfice supplémentaire, celui-ci s’étendait à l’ensemble de la population concernée par l’indication dans 58% des cas (52), et à une partie seulement des patients dans 42% (37).
*L’organisme allemand IQWiG (Institut pour la qualité et l’efficacité des soins de santé), à l’instar de la Haute Autorité de Santé en France, évalue le bénéfice des nouveaux médicaments arrivant sur le marché allemand et les classe en fonction du service médical rendu et de l’amélioration de celui (l’équivalent de l’ASMR et de l’ASMR) par rapport au traitement standard. De cette classification – mineur, très important ou majeur – et de ces évaluations dépendent les décisions en matière de tarification et de traitement.
En cause, les études versus placebo
La situation est particulièrement flagrante dans certaines spécialités. Les auteurs citent en exemple le domaine de la neuropsychiatrie et du diabète, où un bénéfice additionnel est observé dans seulement 6% (1/18) et 17% (4/24) des évaluations, respectivement (voir graphe 2)
La raison tient, selon eux, au fait que les autorités de régulation continuent à autoriser les études versus placebo, même s’il est recommandé depuis longtemps d’effectuer des essais contrôlés versus molécule active, parce qu’ils fournissent des informations plus utiles.
Car si l’on regarde dans le détail, deux des médicaments approuvés (1%) se sont avérés moins bénéfiques que les médicaments standards, et pour 125 autres, les données manquaient pour faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. Pour 64 de ces médicaments, aucune étude ne comparait le nouveau médicament avec les soins standards. Pour 42 autres médicaments, bien que testés versus un comparateur actif, celui-ci n’était pas adapté, car utilisé hors AMM ou à des schémas posologiques inappropriés. Les 19 restants les médicaments ont bien été testés versus un comparateur approprié, mais les études ne montraient ni avantage, ni désavantage du nouveau médicament.
Le domaine de l’oncologie ou des maladies infectieuses avec sa floppée de médicaments dits «me too» (copies) sont un autre exemple de médicaments sans valeur ajoutée, affirment les auteurs pour qui, « le cas des PDL1 et des anti PDL1 en oncologie ou des traitements contre l’hépatite C, est particulièrement éloquent » (voir graphe 2). « Et quand l’on s’intéresse aux molécules en développement (pipeline), la tendance est la même » affirment-ils.
Graphe 2 [1]

Pas plus de résultats dans les études post-marketing (quand elles sont réalisées)
« Pour certains, disposer d’un nombre limité d’informations au moment de l’autorisation de mise sur le marché (pour en faire bénéficier un maximum de patients) est le prix à payer pour bénéficier d’un accès rapide aux médicaments innovants », écrivent les auteurs. Un argument qui suppose que ce seront les études post-marketing, une fois le médicament sur le marché, qui feront la preuve de son bénéfice pour les patients. Sauf que, selon Beate Wieseler et ses collègues, « la réalité, est bien différente ». Soit que ces études ne font finalement pas la démonstration du bénéfice clinique du produit. Les auteurs citent une évaluation systématique des nouveaux médicaments approuvées par la Food and Drug Administration (FDA) dans plus de 100 indications sur la base de données partielles et qui, au final, n’a montré qu’une efficacité des résultats cliniques – en termes de supériorité – n’avait été confirmée que dans moins de 10% des cas. Un taux plus élevé – mais toujours insuffisant, selon les auteurs – de 20% a été retrouvé dans une publication portant sur les seuls médicaments anticancéreux.
Les auteurs vont encore plus loin en affirmant que « le problème bien connu avec les études post-marketing, c’est que malgré la promesse, la plupart d’entre elles ne sont pas réalisées ». Seulement environ la moitié seraient terminés à temps ou dans l’espace de cinq à six années. Sans que cela ne porte à conséquence puisque les autorités de régulation ne se montreraient pas très sévères vis-à-vis des entreprises pharmaceutiques peu compliantes.
Des décideurs en santé plus pro-actifs
Critiquer est une chose encore faut-il proposer des solutions et des alternatives. Les auteurs en proposent plusieurs. D’abord, un retour en arrière. Décidément très remontés contre les procédures dites accélérées qu’ils jugent préjudiciables aux cliniciens et aux patients, ils considèrent que les autorités de régulation et d’approbation devraient exiger des essais de phase III contrôlés et randomisés suffisamment longs pour prouver l'efficacité et la sécurité des médicaments. La discussion actuelle sur la législation relative à l'évaluation en Europe des technologies de la santé serait l'occasion, selon eux, de mettre en œuvre de telles exigences.
Parallèlement, écrivent-ils, les décisions relatives à la fixation des prix et au remboursement devraient récompenser des améliorations pertinentes plutôt qu’inciter à des résultats qui s’avèrent « marginaux » pour les patients ou « basés sur des preuves très incertaines ».
Les auteurs allemands vont jusqu’à interpeller les décideurs en matière de santé, dont ils souhaiteraient un comportement plus « pro-actif ». En clair, « plutôt que d’attendre que les entreprises pharmaceutiques décident quels médicaments elles vont développer, ces dédideurs pourraient définir les besoins du système de santé et mettre en œuvre des mesures pour assurer le développement des traitements requis ». Ils citent en exemple l’approche coordonnée par l’Organisation mondiale de la santé pour le développement de nouveaux les antibiotiques, qui consiste à identifier les agents pathogènes prioritaires, à analyser examiner le contenu des pipelines, et à concevoir et réaliser des essais cliniques en collaboration avec partenaires commerciaux et non commerciaux.
De nouveaux modèles à but non lucratif
De modèles de développement de médicaments innovants pourraient aussi répondre en grande partie au problème, comme celui mis en œuvre comme par la fondation DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative ou initiative Médicaments contre les Maladies Négligées). Ce modèle collaboratif, basé sur les besoins des patients, à but non lucratif, repose sur l’indépendance financière et scientifique et sur la collaboration entre partenaires publics et privés.
Si l’analyse des auteurs allemands peut sembler sévère, d’autres les ont précédés faisant des constats identiques dans des domaines de recherche, comme la maladie d’Alzheimer, qui s’est montrée très décevante ces 20 dernières années [2]. Pour y remédier, des chercheurs ont proposé une autre façon, peut-être plus pertinente, d’envisager le développement de médicaments : utiliser un modèle open source. Les avantages potentiels de l'accès aux données disponibles pour tout un domaine thérapeutique, ici la maladie d’Alzheimer, sont actuellement étudiés dans le cadre d’un projet encadré par l’EMA [2].
Droit de réponse
En réponse à cet article assez virulent et argumenté, l’association des industries pharmaceutiques en Allemagne (Association of Research-Based Pharmaceutical Companies in Germany ou vfa) a fait savoir, dans un bref communiqué, qu’évaluer les bénéfices additionnels d’un médicament n’est pas « chose facile », et ne relevait jamais d’un jugement du type « bon ou mauvais ». Elle fait remarquer que dans la moitié des cas, les deux organismes d’évaluation allemands, le IQWiG (dont sont issus les auteurs de l’article, ndlr) et le G-BA « n’arrivent pas eux-mêmes à se mettre d’accord sur l’évaluation et aboutissent à des conclusions différentes ». L’autre organisme, le G-BA arriverait lui à un ratio de 60% des nouveaux médicaments offrant un bénéfice supplémentaire et 40% n’en offrant pas.
Autre mise en garde des industriels, « sans bénéfice supplémentaire », dans la bouche des méthodologistes signifie « fait aussi bien que le traitement comparatif », alors que justement ces médicaments ont un rôle important en médecine car ils constituent une « alternative en termes de traitement ». Par exemple, « si un médicament n’est pas bien toléré par un patient, il est important qu’un autre, équivalent au premier puisse lui être prescrit » se justifient-ils.
Crédit graphiques : les auteurs [1]
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Citer cet article: Nouveaux médicaments : apportent-ils vraiment un bénéfice ? - Medscape - 1er août 2019.
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