Paris, France — Redonnez le sourire, la parole, la joie de vivre à des parents souffrant de la maladie d’Alzheimer, même pour un court moment, cela semble irréalisable pour beaucoup. Et il existe pourtant un moyen simple et peu cher d’y arriver…la musique !
Alors que les médicaments ont montré leur peu – voire leur absence – d’efficacité au cours des dernières années, les preuves des bénéfices de la musique n’ont, elles, cessé de se renforcer et de s’affiner. On sait désormais que si la musique a de tels effets sur la qualité de vie des patients atteints de la maladie d’Alzheimer (et apparentée), c’est parce qu’elle active des régions du cerveau qui ne sont pas touchées par la maladie. Par ailleurs, il apparait de plus en plus que, pour obtenir un maximum d’efficacité – voir s’épanouir un sourire sur un visage, les yeux s’illuminer et reprendre contact par la parole ou la vue pendant quelques minutes – ce n’est pas tant la musique en général qu’il faut proposer, et ce d’autant que la personne n’y était pas sensible dans sa vie d’avant, qu’une sélection de morceaux de musique aimés, en lien avec des moments heureux, susceptibles de raviver joie et souvenirs agréables. Cela revient, en clair, à créer une bande-son personnalisée du patient, et c’est ce que promeut l’association britannique « Playlist for Life ». Ce sujet a fait l’objet d’une communication lors Edinburgh Science Festival en avril dernier dont le Lancet Neurology s’est fait l’écho [1].
Activation spécifique et connectivité augmentée
Si la musique a un effet si particulier d’un point de vue neurologique, c’est qu’elle stimule de nombreuses parties du cerveau en même temps. Ce qui implique que si certaines zones sont altérées, la musique peut toujours en atteindre d’autres. C’est ce que vient de prouver une nouvelle fois, une étude parue en avril dans The Journal of Prevention of Alzheimer’s Disease [2] .
Les chercheurs ont recruté 17 participants présentant une démence auxquels ils ont fait écouter 8 clips de musique de 20 secondes issus de leur bande-son personnelle. Par comparaison aux contrôles, ils ont montré qu’écouter ses morceaux préférés « allume » de nombreuses zones dans le cerveau.
« Nous avons trouvé que les participants qui écoutaient leur musique préférée montraient une activation spécifique d’une aire moteur supplémentaire, une région qui est associée avec le souvenir des musiques familières et qui est typiquement épargnée dans les stades précoces de la maladie, écrivent les auteurs. Nous avons aussi découvert des augmentations massives de la connectivité fonctionnelle des réseaux inter-corticaux et cortico-cérébelleux en présence de la musique, suggérant un effet transitoire sur le fonctionnement cérébral » [2].
Le pouvoir de la musique
Une revue systématique de la littérature parue en 2017 a confirmé que, chez les patients âgés atteints de démence, « parmi les interventions de stimulations sensorielles, la seule qui soit convaincante en termes d’efficacité sur la réduction des symptômes comportementaux (agitation et agressivité) était la musicothérapie [3] ». Parue la même année, une seconde méta-analyse est venue confirmer ces conclusions sur l’aspect agitation [4].
En 2018, dans une revue Cochrane, les chercheurs se sont montrés « raisonnablement confiants » sur le fait qu’offrir au moins cinq séances d'une intervention thérapeutique basée sur la musique aux personnes atteintes de démence placées en institution réduit les symptômes de dépression et améliore les problèmes de comportement à la fin du traitement [5]. Plus prudents sur les autres aspects, ils ont toutefois jugé important de poursuivre les recherches dans ce domaine.
Ramener à la mémoire des souvenirs heureux
L’intérêt et les effets de la musique sont explorés depuis plus de 20 ans par des chercheurs de Stanford University. Ils ont établi que pour obtenir un impact optimal, ce n’est pas tant la musique qui importe que les morceaux ou séquences sonores (génériques d’émissions, de publicités, liées à des activités sportives, etc) que la personne atteinte de démence aimait écouter plus jeune, les sons attachés à des souvenirs agréables, à des émotions particulières. Partant de ce constat, les chercheurs ont créé un « protocole » (dont la 5ème édition est accessible ici) permettant de faire un usage optimisé de la musique en créant avec les patients des « playlists » personnalisées.
Investiguer et retrouver des sons déclencheurs d’émotions positives
Pour, de plus en plus d’experts, la musique – quand elle est personnalisée – devrait même être un traitement standard de la maladie. Au Royaume-Uni, une organisation humanitaire « Playlist for Life » s’est créée pour promouvoir cette « option thérapeutique ». Elle a fait l’objet d’une présentation commune par Andy Lowndes, représentant de l’organisation en question et le Dr Tom Russ, psychiatre, lors du dernier Edinburgh Science Festival et est rapportée par le Lancet Neurol [1].
A l’origine du projet, la présentatrice (Scotland BBC) et auteure écossaise, Sally Magnusson, laquelle s’est rendue compte, quand sa mère a développé une démence, que jouer des morceaux familiers provoquait des flashbacks, qui la reconnectaient à ses souvenirs et la remplissaient de joie. A travers son programme « Music detective », « Playlist for Life » encourage les proches d'une personne âgée à mener l’enquête pour retrouver ensemble les morceaux de musique aimés ou familier. Suite à cela, l’organisation humanitaire propose des créer une bande-son de la vie de la personne – si possible avant la survenue de la démence parce que cela devient plus difficile une fois que la maladie s’est installée. Si la personne âgée dévait développer par la suite la maladie, il serait alors possible à la personne atteinte de démence d’écouter seule ou avec son entourage (familial ou autre) les morceaux de musique évocateurs des souvenirs heureux ou susceptibles de les mettre de bonne humeur.
Bien que les volontaires de PlayList for Life qui se rendent dans les institutions et établissements médicalisés ne soient pas des musicothérapeutes qualifiés, ils adhèrent néanmoins à la charte développée par la Stanford University (évoquée ci-dessus), et proposent des sessions d’écoute de 30 min avant un moment difficile ou une activité.
Conseils et outils pour créer sa playlist
Basée à Glasgow en Ecosse, l’association « Playlist for life » a déjà formé 4 650 personnels de santé à utiliser la musique pour « soigner » les démences et elle estime que ses volontaires ont touché plus de 21 000 personnes depuis 2015.
Nul besoin d’un matériel particulier pour créer une bande-son personnalisée, juste de quoi « enregistrer » – aujourd’hui on dirait télécharger ou écouter en streaming – puis diffuser. C’est à la portée de tous. Sur son site, sont proposés conseils et outils (en anglais) sur le choix des morceaux, le volume d’écoute, le matériel à utiliser ou les moments les plus appropriés pour les proposer à l'écoute. En cas de manque d’inspiration, on y trouve aussi des documents à télécharger comme, par exemple, un livret à remplir ensemble permettant d’associer air, souvenir et émotions.
« Nous avons tous une bande-son de notre vie » a déclaré Andy Lowndes lors de son allocution au public. « La musique est quelque chose que la démence ne peut détruire. Quand nous nous rendons dans des établissements où des personnes sont à des stades très avancés de démence, ils semblent en dehors de tout, mais quand un morceau de musique qui leur est familier est joué, alors les pieds commencent à taper et les mains à frapper (voir encadré en fin d’article) ».
Développer des compétences
Si la musique peut préserver la qualité de vie des personnes souffrant de démence, il semble aussi qu’elle soit capable de les stimuler au point de faire apparaitre chez elles de nouvelles capacités. Dans le cadre d’une conférence organisée le 6 mai dernier par la Fondation luxembourgeoise EME (Écouter pour Mieux s’Entendre), Théo Hartogh, professeur de pédagogie musicale à l’Université de Vechta (Allemagne) a affirmé que si « les personnes souffrant de démence sont progressivement de plus en plus diminuées par des pertes cognitives au fil de leur maladie […], dans le domaine de la musique, elles démontrent des compétences qui peuvent même être développées » [6]. « À l’Université de Vechta, nous avons pu montrer dans une étude portant sur le piano que les personnes intéressées, atteintes d’une démence légère à moyenne, peuvent apprendre à jouer au piano une mélodie qui leur est inconnue et s’en souvenir aussi plus tard ».
« Lorsqu’il y a un rapport biographique et personnel à la musique, les effets de la musique sont reconnaissables et significatifs sur les symptômes de la démence » , a-t-il ajouté [6]. Des propos qui corroborent ceux d’Hervé Platel (professeur de neuropsychologie, Unité Inserm 1077, Université de Caen) qui, interrogé par Medscape édition française, sur les liens entre musique et cerveau, avait déclaré : « Chez l’homme, lorsque l’on essaie de personnaliser la musique proposée à l’écoute, on obtient de meilleurs résultats ».
« Toute la musique que j’ai aimée »
Pour illustrer ce propos, rien ne vaut la réaction des personnes souffrant de démences lorsqu’elles sont en présence de musique, Andy Lowndes a donc agrémenté sa présentation avec une série de clips vidéos, le premier se référant à l’utilisation de la danse dans la maladie de Parkinson, en particulier la technique du Mark Morris Dance Group initiée par David Leventhal. Dans une autre, on découvre Margaret Murphy, une femme qui vit en institution pour personnes âgées, avec qui Andy Lowndes avait du mal à communiquer… jusqu’à ce qu’il lui propose de se mettre au piano. « Tu aimes la musique Andy ? lui dit-elle alors demandé, avant d’ajouter : je vais jouer pour toi (démonstration) » ou encore Miss McKie, dont l’humeur maussade disparait avec quelques notes de musique.
Mais la preuve par l’image la plus puissante et la plus émouvante que l’on puisse avoir de l’effet de la musique chez les personnes âgées atteintes de démence est celle qu’en donne le documentaire « Alive Inside » qui a suivi pendant 3 ans le travailleur social américain Dan Cohen dans son projet « Music & Memory » . Ce dernier s’est donné une mission : distribuer des baladeurs mp3 et des casques audio aux patients en concoctant au préalable une playlist personnalisée pour chacun avec leurs proches et il parcourt inlassablement les établissements de santé spécialisés des Etats-Unis avec cet objectif. Le documentaire, récompensé au festival de Sundance, alterne réactions des patients et interviews de professionnels de santé et de neurologues. Diffusé en 2018 par Arte, le documentaire intitulé en français « Toute la musique que j’ai aimée » n’est plus visible en replay mais mérite vraiment d’être visionné.
Site du film Alive Inside avec bande annonce en français.
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Citer cet article: Créer une bande-son de leurs morceaux préférés aide les personnes atteintes de démence - Medscape - 26 juil 2019.
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