Paris, France — Mi-juillet, alors qu’une nouvelle canicule se profile et que les nappes phréatiques se vident, l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (ACRO) jette un pavé dans la mare en signalant que « plus de 268 communes sont concernées par la présence de tritium (l’hydrogène radioactif rejeté par les installations nucléaires) dans l’eau potable » en France métropolitaine, soit « 6,4 millions de personnes alimentées par de l’eau contaminée au tritium » [1]. Elle précise néanmoins qu’« aucune valeur ne dépasse le critère de qualité fixé à 100 Bq/L instauré par les autorités sanitaires ».
Pour appuyer son propos, l’association basée à Hérouville publie une carte exclusive de la contamination radioactive de l’eau potable en France métropolitaine sur la base des données fournies par le Ministère de la Santé (ARS – SISE Eaux) représentant la valeur moyenne de tritium présent dans l’eau potable sur les années 2016- 2017.
Effluents des installations nucléaires
L’industrie nucléaire rejette, de manière continue, des quantités de tritium dans l’environnement, lesquelles sont variables selon l’installation considérée (l’équivalent au total d’une quarantaine de grammes par an), selon l’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire (IRSN) [2]. Bien que le tritium ne soit que « modérément radiotoxique », il représente toutefois en France l’un des radionucléides prépondérants en termes d’activité (mesurée en Becquerels) rejetée par les installations nucléaires, tant dans les effluents liquides que gazeux. Problème : « les techniques actuellement disponibles ne permettent pas de piéger le tritium présent, souvent sous forme peu concentrée, dans les effluents des installations industrielles », rapporte l’IRSN [2]. D’où sa présence dans les cours d’eaux, voire même dans l’eau du robinet, comme le montre la carte de France interactive dressée par l’ARCO (pour accéder à la carte, copiez-collez le lien : https://www.acro.eu.org/carteeaupotable/index.html#7/47.832/1.670 sans s après http).
Certaines zones, non loin d’installations nucléaires, sont particulièrement concernées par cette présence régulière dans l’eau du robinet :
- Le long de la Seine, de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine dans l’Aube (10) à l’Ile-de-France, à cause des rejets radioactifs ;
- Le long de la Vienne et de la Loire à cause des rejets radioactifs des installations nucléaires d’EDF (Belleville, Dampierre, St-Laurent, Chinon et Civaux) ;
- Autour du centre du CEA de Valduc (21) où le tritium est produit pour l’armement nucléaire ;
- Autour du centre CEA de Saclay (91) où il doit s’agir d’une pollution rémanente.
Plusieurs sites particulièrement concernés
A titre d’exemple, l’association précise que le long de la Vienne, « Châtellerault (86) présente des niveaux parmi les plus importants relevés. La moyenne sur 2016 et 2017 est de 31 Bq/litre (18 prélèvements) ». C’est la centrale nucléaire de Civaux (86) qui en serait à l’origine, indique l’ACRO dans un communiqué publié en juin dernier [3].
Tandis que le long de la Loire, « du tritium est détecté dans l’eau potable de toutes les communes s’alimentant dans la Loire ou dans les nappes sédimentaires du fleuve ». De grandes agglomérations comme Orléans, Blois, Tours, Angers, Nantes sont concernées.
Le long de la Seine, 122 communes d’Ile-de-France sont concernées par la contamination en tritium au robinet, soit une population de 4 millions de personnes.
Une concentration élevée de tritium aqueux a déjà fait l’objet d’alertes par le passé. On se rappellera qu’en 2013, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait ainsi demandé à EDF une surveillance renforcée des eaux souterraines de la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme, 26) et d'identifier la cause d'une "présence anormale" de tritium dans ces nappes. Le directeur de la centrale EDF du Tricastin, avait alors fait savoir que tout était sous contrôle et, selon lui, cet incident n'avait pas été classé sur l'échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, rapportait Le Monde[4].
Le tritium, c’est quoi ?
Le tritium est l’isotope radioactif de l’hydrogène, son noyau est constitué d’un proton et de deux neutrons représentés sous la forme 3H ou T. On le retrouve essentiellement dans le milieu naturel sous la forme d’eau tritiée (HTO), légèrement plus lourde que l’eau (H2O). La quantité de tritium présente dans le monde a fortement augmenté avec le développement de l’utilisation de l’énergie nucléaire, et particulièrement après les essais aériens d’armes nucléaires, essentiellement jusqu’en 1963. Le tritium se forme dans les réacteurs nucléaires par les fissions ternaires de certains isotopes de l’uranium et du plutonium et par des réactions neutroniques sur des éléments légers du circuit primaire, c’est ce dernier qui constitue la majeure partie de ce qui est rejeté par le réacteur sous forme gazeuse et liquide. Une autre partie provient des rejets des usines de retraitement de combustibles irradiés. De 1985 à 1989, les usines de La Hague ont rejeté 2,6.1014 Bq par an de tritium gazeux dans l’atmosphère et principalement, 4,37.1015 Bq d’eau tritiée par an dans le milieu marin [5].
Le tritium : un « lanceur d’alerte »
Si l’association (créée en 1986, suite à la catastrophe de Tchernobyl) publie ce communiqué préoccupant, ce n’est pas tant pour prévenir du danger que représente l’eau tritiée en elle-même – en admettant que les valeurs relevées sont sans impact sur la santé car en-dessous des seuils définis comme "admissibles" – mais bien parce que le tritium constitue, selon elle, un « lanceur d’alerte ».
En effet, explique-t-elle, si un accident grave sur une des centrales nucléaires sur la Seine, la Vienne ou la Loire devait se produire, il n’y aurait alors pas que le tritium qui serait rejeté et ce sont des millions de personnes qui risqueraient d’être privées d’eau potable. « Comment les autorités vont-elles faire pour assurer les besoins vitaux de ces personnes ? » s’interroge l’ACRO, d’autant qu’à sa connaissance « aucun plan n’est disponible pour le moment ». L’association demande donc que « la pollution radioactive soit prise en compte dans les plans « ORSEC eau potable » qui doivent être établis pour le 31 décembre 2020 au plus tard et qu’ils fassent l’objet d’une consultation du public ».
Autres revendications de l’association de protection de l’environnement :
que les rejets radioactifs soient soumis au principe pollueur-payeur, comme les autres polluants.
que les contrôles des eaux de consommation par les Agences Régionales de Santé soient plus fréquents quand des polluants sont détectés, « avec au minimum une mesure par an, quel que soit le nombre de personnes desservies ». A ce jour, en effet, la fréquence des contrôles dépend du volume d’eau distribué. Ainsi, pour les petites communes, il n’y a qu’une mesure de tritium tous les cinq ans.
Exposition chronique de faible niveau et de longue durée : des lacunes
Précisons que l’Europe a adopté la limite de potabilité (proposée par l’OMS) qui est de 10 000 Bq/L pour le tritium. Une valeur très élevée et qui peut ne pas être acceptée, comme ce fût le cas au Japon pour l’alimentation après la catastrophe de Fukushima, indique l’ACRO.
Par ailleurs, l’IRSN considère que la valeur de l’actuel facteur de pondération, utilisé pour la gestion du risque radiologique lié aux expositions humaines au tritium, reste « pertinente dans le contexte global du système d’évaluation du risque élaboré par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) » [5]. L’Institut rappelle toutefois que les « données expérimentales sur lesquelles se fonde la valeur de ce facteur comportent des lacunes, en particulier pour ce qui concerne l’exposition chronique de faible niveau et de longue durée à des molécules organiques tritiées », ce qui est le cas avec l’eau de boisson.
L’IRSN recommandait donc en 2010 que « soient comblées les lacunes de connaissances sur ses effets sanitaires et environnementaux, grâce à la réalisation, dans un cadre de coopération internationale, de programmes expérimentaux de recherche représentatifs des conditions réelles d’exposition ». « Ces travaux permettraient notamment de produire des modèles réalistes d’évaluation des risques à des fins de radioprotection de l’homme et des écosystèmes » concluait-il.
Observatoire citoyen de la radioactivité
Les citoyens habitant le long des côtes de la Manche et de la Mer du Nord peuvent participer à la surveillance de la radioactivité (qu’elle soit d’origine naturelle ou artificielle) au sein de l’Observatoire Citoyen de la Radioactivité dans l’Environnement, mis en place par l’ACRO. Dans le cadre de campagnes organisées par l’association, chacun est invité à effectuer des prélèvements dans les écosystèmes. Les mesures de radioactivité sont ensuite réalisées organisées par l’ACRO.
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Citer cet article: Eau potable radioactive : une association jette un pavé dans la mare - Medscape - 22 juil 2019.
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