Houston, Etats-Unis --- Cinquantième anniversaire du premier Homme posant le pied sur la lune. Les chaînes de télés y vont de leurs rétrospectives. On connaît par cœur la fin, aussi l’attention se porte sur les images du Centre Spatial de Houston : cette impressionnante assemblée d’ingénieurs vêtus à l’identique : chemise blanche, cravate noire épinglée, collégiens surdoués, concentrés sur leurs écrans, oreillettes vissées, combattant des heures d’insomnie…avec des cigarettes !
Où est Margaret Hamilton ?
Mais ?!!! … où sont les femmes en cet emblématique mois de juillet 1969 ? Aucune dans cette foule de cerveaux !
Ou si peu ! L’une d’elle apparait dans le docu de Canal Plus, image subliminale ? Elles sont trois, je crois, dans la rétrospective de France 5. Trois spécimens de la gente féminine au sourire gêné, comme s’excusant d’être là. On les aperçoit une courte seconde, clin d’œil furtif aux femmes de l’ombre restées à leurs calculettes. Où est Margaret Hamilton qui a conçu le calculateur d’alunissage du LEM ? Et sur les écrans de télévision, pour commenter l’événement, elles sont tout aussi invisibles que dans les salles de la NASA. Reportages, interviews, explications scientifiques sont des attributs masculins. Est-on dans un épisode de la série « Mad Men* » ?
Cinquante ans ont passé, qu’en est-il aujourd’hui de la parité femmes/hommes dans les sciences ? Des progrès visibles, oui ! Mais parité n’est pas garante d’égalité : la médecine en est un bon exemple. On sait que trop souvent la première place d’un article scientifique est souvent refusée à une auteure, l’indice de lecture serait moins bon ! Même discours pour la position à la fin de l’article : celle du mentor (n.m.), comme le montre un article tout récent [1].
Et en médecine ? Les préjugés restent bien ancrés… et chez les femmes aussi
Dans le JAMA, Arghavan Salles (Section of Minimally Invasive Surgery, Washington University St Louis MO) et coll. publient une étude qui met en évidence les bais implicites et explicites fondés sur le sexe concernant le rôle social et la carrière médicale des femmes [2].
Les chercheurs ont utilisé le Test d'Association Implicite (TAI), un outil développé pour explorer les fondements de pensées et sentiments spontanés, qu’ils soient volontairement occultés ou non-conscients. En clair, le TAI mesure des attitudes ou croyances implicites que nous ne souhaitons pas exprimer, ou nous ne sommes pas capables de rapporter. Les auteurs ont isolé les réponses de 42 000 professionnels de santé (82% de femmes) examinant le TAI centré sur le sexe et la profession : Femmes/ Hommes, Famille/Carrière. Résultat : l’avenir des femmes est plus souvent lié à la vie de leur famille et celui des hommes à leur profession. Les réponses explicites vont dans le même sens.
Femmes implicitement liées à la médecine générale, quand les hommes sont des chirurgiens !
Pour aller plus loin, les auteurs ont sélectionné 130 chirurgiens (des deux sexes) leur soumettant une version du TAI centré sur une spécialité (Médecine de ville/Chirurgie) qu’ils jugeraient la plus appropriée au sexe. Comme on pouvait s’y attendre, le genre masculin est implicitement et explicitement lié à la spécialité chirurgicale et le genre féminin à la pratique de la médecine de ville ! Petite exception : les réponses explicitement formulées par les femmes (chirurgiennes) sont moins orientées dans ce sens.
Pour les auteurs : « La connaissance de ce biais implicite associant les hommes avec la vie professionnelle et la chirurgie, les femmes avec la famille et la médecine générale est une étape importante vers la minimalisation de ses effets. »
Dans l’éditorial, F Dossa et N Baxter (Division of General Surgery, University of Toronto, Toronto, Ontario, et Canada. Department of Surgery, St Michael’s Hospital, Toronto, Ontario, Canada) confirment, malgré des incertitudes concernant la valeur du test, la qualité du travail et poursuivent « …plus de recherches sont nécessaires pour comprendre comment nos biais de perception conscients ou non altèrent notre comportement et surtout comment le combattre » [3]. A ce stade, ce ne sont pas tant de nouvelles études qui sont nécessaires mais d’autres comportements !
Place de la femme au sein d’un couple de médecins
Le nombre de femmes médecins est de plus en plus important (46% de femmes en 2018, 52% ont moins de 60 ans). Et le phénomène tend à s’amplifier : en 2018, les étudiantes représentaient 70% des inscriptions à la PACES [4]. Les couples de médecins – qui se sont généralement formés au cours des études – peuvent être amenés à faire face à des défis professionnels et personnels. Sujet qui a fait l’objet d’un point de vue dans le JAMA « Couples de Médecins. Stratégies pour le 21ème siècle” et signé de 2 femmes, Lauren Ferrante et Lona Moady (Department of Internal Medicine, Yale School of Medicine et University of Michigan, respectivement) [5].
« [Pour un couple de médecins] Trouver un poste à la fin des études médicales peut s’avérer difficile, le poste idéal pour chacun des partenaires pouvant ne pas s’accorder » écrivent-elles.
Accorder les carrières des partenaires
Que ce soit au cours des études ou lors de l’installation, le problème de la carrière de l’homme et de la femme se pose. Si les deux veulent et peuvent espérer un poste universitaire, les opportunités peuvent être éloignées géographiquement. En cas d’installation en libéral, il n’est pas non plus certain que les besoins dans chacune des spécialités s’accordent dans la même région. Par ailleurs, en cas de mutation d’un des deux, changer rapidement de lieu d’exercice n’est pas facile, que ce soit au sein d’une équipe universitaire ou en pratique libérale. Et l’on se réfère à l’étude de Arghavan Salles, c’est la femme qui risque de mettre un frein à ses aspirations initiales.
Les contraintes personnelles : les enfants
Sans parler des enfants car « les premières années de la carrière d’un praticien coïncident souvent avec les grossesses et naissances, rappellent Lauren Ferrante et Lona Moady. Chacun des partenaires doit se concentrer et jongler avec les nécessités de s’occuper des enfants tout en assurant ses obligations de praticien, qu’il soit universitaire ou libéral (…) et avec le temps les responsabilités professionnelles et familiales vont augmenter ». On sait que les staffs ont volontiers lieu le matin quand il faut s’occuper des enfants…quant aux participations indispensables aux EPU, congrès, ils imposent un éloignement.
Les tâches domestiques sont maintenant plus régulièrement partagées entre le mari et la femme mais pas forcément d’une façon équilibrée. Les femmes consacrent toujours une présence plus importante auprès des enfants. Une étude auprès de 10 000 couple-médecins aux USA a montré que les femmes médecins dédient moins de temps à leur activité professionnelle que leurs confrères.
« Les femmes réduisent-elles leurs heures pour des raisons sociétales et sous la contrainte ou bien ont-elles peur que naviguer entre deux emplois temps-plein soit un facteur de burn-out ? Peut-on y voir le signe favorable d’une meilleure organisation dans le travail ? » s’interrogent les deux auteures. Il faut prendre garde, ajoutent-elles, que cette réduction de leurs heures de travail n’impute pas leur plan de carrière…
Artémis : les femmes veulent décrocher la lune
S’il y a encore beaucoup de différences entre le statut des hommes et celui des femmes, les fossés commencent néanmoins à être comblés. Quand on visionne ces images d’Apollo 11, on remarque qu’en cinquante années, la parité s’installe et de façon positive. Preuve supplémentaire de cette féminisation : les journalistes femmes ont remplacé les speakerines…
Alors la mission Artémis « sœur jumelle » d’Apollo conduira-t-elle en 2024, un treizième quidam sur la lune et/ou permettra-t-elle à la première femme de se laisser son empreinte sur cet astre (qui lui est, par ailleurs, si souvent associé) ? Assistera-t-on à un nouveau petit pas pour l’homme ou bien à un bond de géante pour la condition féminine ?
*Série diffusée dans les années 2010 qui dépeint les dépeint les composantes de la société et de la culture américaine des années 60, et est imprégnée par les comportements sexistes de ses protagonistes masculins.
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Citer cet article: En médecine aussi, les femmes veulent décrocher la lune - Medscape - 19 juil 2019.
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