France — De nouvelles conclusions ont été apportées à l’Affaire des « bébés nés sans bras » observés dans trois régions françaises.
Après ré-examen de tous les dossiers, un comité d'experts scientifiques (CES) indépendants, mis en place par Santé Publique France (SPF) et l’Anses, est arrivé à la conclusion qu’il existait bien un excès de cas d’anagésie transverse des membres supérieurs (ATMS), un type rare de malformation congénitale des bras, dans le Morbihan (56), mais non dans l’Ain (01).
Les cas situés en Loire-Atlantique (44) sont encore en cours d’investigation. Les résultats devraient être communiqués d’ici la fin de l’année.
Le rapport du comité d'experts scientifiques (CES) a été divulgué à la presse vendredi, après avoir été présenté aux représentants des familles d’enfants concernés [1,2].
Mettre fin à la controverse
Pour rappel, alors qu’environ 150 cas d’ATMS sont dénombrés sur le territoire national chaque année, plusieurs cas regroupés d’anomalies réductionnelles des membres ont été observés dans trois départements en France : l’Ain, le Morbihan, et la Loire-Atlantique entre 2007 et 2014 appelant à lancer des investigations.
Le premier signal concernant ces cas rapprochés de « bébés sans bras » a été donné en 2010, relayé par le registre REMARA (Registre des Malformations en Rhône-Alpes) auprès des autorités en 2011.
Face à l’absence de réaction des autorités sanitaires, le REMARA a lancé une nouvelle alerte en 2018. Depuis, une querelle d’experts s’est installée entre le registre et Santé Publique France, en désaccord sur l’existence ou non d’un cluster de cas (regroupement statistiquement significatif, dans le temps et l’espace) dans l’Ain.
Pour le REMERA, c’est une certitude : « Il n’y a plus de doute sur le fait qu’entre 2009 et 2014, des concentrations anormales de cas (que les épidémiologistes appellent « clusters » ou « agrégats ») de malformations très rares d’enfants par ailleurs en bonne santé sont survenues dans 3 régions de France », écrivait le groupe de travail du registre sur son site début avril.
En revanche, SPF a estimé, fin 2018, que dans l’Ain, d’après son analyse statistique basée sur une autre méthode que celle utilisée par le registre REMERA, il n’y avait pas d’excès de cas « par rapport à la moyenne nationale ».
Pour éclaircir la situation, à la demande des ministres de la santé et de l’agriculture, Santé publique France et l’Anses ont mis en place un comité d'experts scientifiques (CES) pluridisciplinaire indépendant qui a mené une nouvelle analyse en reprenant la même méthode statistique que le registre REMERA, la méthode de Martin Kulldorff, qui compare le nombre de cas observés dans la région où on suspecte un excès, au nombre de cas dans le reste du territoire du registre. Les experts du CES sont allés jusqu’à appeler Martin Kulldorf pour valider avec lui que la technique statistique pouvait bien être utilisée sur des échantillons de seulement 3 cas.
En préambule à toute l’analyse statistique, le CES a réexaminé tous les dossiers médicaux des enfants signalés comme porteurs d’une agénésie transverse des membres supérieurs signalés à Guidel dans le Morbihan et dans les villages de l’Ain.
Il a, de plus, mené 11 auditions auprès d’experts scientifiques, de membres du Comité d’Orientation et de Suivi (ensemble des parties prenantes concernées par les ATMS, et en particulier des parents d’enfants atteints de cette malformation) et de citoyens (à la suite de remontées citoyennes).
Confirmation du cluster dans le Morbihan, infirmation du cluster dans l’Ain
Au final, le comité a conclu à une absence de « cluster » dans l’Ain et à un « cluster » dans la commune de Guidel (Morbihan).
Le réexamen des dossiers patients, qui a été fait de manière anonyme et sans rattachement géographique, a en effet permis d’identifier que certains cas signalés (notamment dans l’Ain) n’étaient pas des ATMS.
Sur la base de ce réexamen, le CES a validé 3 cas d’ATMS en Bretagne (Guidel) dans une période de 18 mois entre 2011 et 2013, et confirmé la suspicion de cluster pour ces cas. « Des investigations complémentaires vont donc être menées dans cette région pour approfondir la recherche d’éventuelles expositions communes », indique SPF dans un communiqué [3].
S’agissant de l’Ain, le CES a confirmé 6 cas d’ATMS entre 2011 et 2015 mais n’a pas conclu, après analyse statistique, qu’il s’agissait d’un cluster.
Pour la Loire-Atlantique, qui ne dispose pas de registre des malformations, la collecte et l’examen des dossiers est en cours.
« Nous trouvons globalement les mêmes résultats que SPF, même si ce n’est pas exactement sur le même nombre de cas, et avec une technique différente », a commenté le Pr Alexandra Benachi, chef de service de gynécologie-obstétrique à l’hôpital Antoine Béclère à Clamart et Présidente du CES qui précise que « le CES a pu travailler en toute indépendance ».
Comment expliquer les différences observées, avec la même méthode statistique, entre le registre REMERA et le CES ?
« Au final, dans l’Ain, la moitié des cas n’étaient pas des ATMS, selon les meilleurs spécialistes du sujet », a souligné le Pr Benachi qui ajoute que « dans le Morbihan, il s’agit de trois cas sur 18 mois dans le même village alors que dans l’Ain, avec une estimation large, il s’agit de 13 cas dans 13 villages différents survenus entre 2006 et 2015. Or, un cluster est une association de temporalité et de localisation géographique qui, pour l’Ain, n’est pas respectée. En Loire-Antlantique, on parle trois cas dans le même village à 22 mois d’écart. Cela ressemble, en revanche, beaucoup à ce qui est observé dans le Morbihan ».
« Cette analyse a montré l’importance, en cas de signal, d’un diagnostic précis de la nature de la malformation congénitale. Ce diagnostic doit être posé par un médecin généticien au sein d’un des Centres de référence maladie rare labellisés pour les anomalies du développement », a précisé pour sa part SPF.
Les cas d’ATMS validés et pris en compte par les experts du CES
-Ville de Guidel (Morbihan, 11000 habitants) : 3 naissances entre 2011 et 2013 sur 18 mois.
-Village de Mouzeil (Loire-Atlantique, 1800 habitants) : 3 naissances entre 2007 et 2008 à 22 mois d’écart.
-Villages de l’Ain : 6 naissances entre 2011 et 2015.
Des investigations supplémentaires ont débuté
Suite à la confirmation d’un cluster de cas à Guidel, des investigations complémentaires ont été annoncées pour rechercher d’éventuelles expositions environnementales communes dans le Morbihan.
Parallèlement, une revue approfondie de la littérature (21 000 publications scientifiques identifiées), qui tient compte notamment des hypothèses citoyennes, a été débutée afin de rechercher d’éventuels facteurs de risque d’ATMS actuellement non identifiés, notamment environnementaux.
« Il s’agit d’une recherche très exhaustive. Nous n’avons pas de risque de passer à côté d’un signal », a commenté le Pr Benachi.
Les résultats de la revue de la littérature feront l’objet d’un second rapport du CES qui devrait voir le jour avant fin 2020.
« Si nous trouvons une substance donnée (chimique, pesticide ou autre toxique) qui a été associée à une anomalie, nous irons d’abord chercher si on la retrouve dans le cluster identifié dans le Morbihan et si nous découvrons un signal, nous irons rechercher dans tous les endroits où il y a des enfants porteurs d’ATMS », a précisé le Pr Benachi.
Notons, qu’en l’absence actuelle d’identification de facteurs de risques d’ATMS et en raison de la rareté de ces malformations, une enquête épidémiologique de grande ampleur aurait nécessité plusieurs dizaines d’années d’observations (une centaine). Le CES ne l’a donc pas recommandé. En revanche, le CES estime que « les connaissances sur les causes des anomalies du développement, notamment environnementales, sont actuellement insuffisantes et recommande de renforcer les moyens de la recherche sur ce sujet ».
Recommandations du CES : nouveau registre, meilleur suivi des familles…
Parmi les autres recommandations du CES suite à ce travail, le comité ne préconise pas la création d’un registre national, mais celle d’un septième registre dans une zone qui a des caractéristiques intéressantes pour la surveillance (lancement imminent de l’appel à candidature) et le renforcement de la qualité, de l’évaluation et de la coopération des registres existants.
Aussi, le CES préconise de renforcer le signalement des malformations en s’appuyant sur les professionnels de santé en pré et post-natal, notamment les échographistes, les obstétriciens et les pédiatres, et sur les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, pour mettre en place un dispositif d’alerte des suspicions de cas groupés qui couvre l’ensemble du territoire.
Parallèlement, le CES recommande la création d’un comité scientifique national des malformations congénitales.
Enfin, il insiste sur la nécessité d’améliorer la prise en charge, le suivi et l’accompagnement des familles.
Pas de signal chez nos voisins
Il n’a pas été observé de progression des malformations en général ou des ATMS en particulier en Europe et en France au cours des dernières années, a indiqué le CES lors de la présentation du rapport à la presse.
Aussi, toujours au niveau européen, EUROCAT, le réseau des registres de malformations en Europe, a indiqué au CES que dans les 10 dernières années, il avait été alerté pour 171 suspicions de clusters de malformations (de tout type) qui avaient toutes été infirmées.
« Notons que pour EUROCAT, le seuil pour définir un cluster est de 5 cas alors que dans notre analyse française nous avons opté pour un seuil de 3 cas pour être sûrs de ne pas passer à côté de quelque chose », a précisé Alexandra Benachi à Medscape édition française.
L’agénésie transverse de membre supérieur (ATMS) isolée
Les agénésies transverses de membre supérieur (ATMS) isolées (un seul membre atteint, pas d’autre tissu/organe impliqué) représentent 1,7 naissances pour 10 000 et environ un quart des anomalies réductionnelles des membres.
Une ATMS se présente comme une anomalie isolée d’un seul membre, avec un aspect d’amputation transversale, le plus souvent au tiers supérieur de l’avant-bras, parfois associé à la présence d’ébauches de bourgeons de doigts.
Son diagnostic peut être difficile du fait qu’elle peut être confondue avec d’autres anomalies de nature différente et d’origines connues (génétiques ou mécaniques comme la maladie des brides amniotiques qui est liée à la présence de brides au sein du liquide amniotique, responsables de l’amputation de structures distales).
Dans le cadre du diagnostic, l’avis d’un généticien syndromologiste est nécessaire pour réaliser l’enquête familiale et environnementale, écarter les diagnostics différentiels. La recherche d’éventuels facteurs tératogènes est également importante, car des malformations des membres ont été rattachées à l’effet tératogène de diverses molécules, le meilleur exemple étant celui de la Thalidomide. Cependant, dans ces cas, les malformations touchent habituellement plusieurs extrémités.
Les causes des ATMS sont en général l’occlusion de petits vaisseaux qui empêchent le développement du membre, le tabagisme aigu ou la thrombophilie.
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Citer cet article: « Bébés sans bras » : la confirmation du cluster de cas dans le Morbihan mène à de nouvelles investigations - Medscape - 15 juil 2019.
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