Dallas, Etats-Unis — Les tests de coagulation de routine et en particulier l’INR (International Normalized Ratio) doivent être évités chez les patients prenant des anticoagulants oraux directs (AOD), a rappelé une équipe américaine, après avoir décrit un cas de mauvais usage concernant un patient sous rivaroxaban (Xarelto®). La description et l’analyse ont été publiées dans JAMA Internal Medicine [1].
« Les AOD étant de plus en plus envisagés comme traitement anticoagulant, il est impératif que les cliniciens intègrent le fait que ces médicaments altèrent les résultats des tests de coagulation utilisés en routine », ont commenté le Dr Namrah Siddiq et son équipe (University of Texas Southwestern Medical Center, Dallas, Etats-Unis).
Le cas qu’ils décrivent est celui d’un homme de 55 ans avec antécédents de fibrillation auriculaire, de diabète de type 2 et d’hypertension. Il se présente aux urgences pour des douleurs abdominales et des vomissements, le lendemain d’une consommation de crudités. Il est sous rivaroxaban et prend également l’antihypertenseur amlodipine et l’antidiabétique metformine.
Hospitalisation inutile
L’examen ne révèle rien de notable. Une radiographie de l’abdomen permet d’écarter une affection aigue et un bilan biologique est effectué. Le diagnostic de gastro-entérite est retenu. Après une perfusion de sérum physiologique, le patient récupère rapidement et une sortie est prévue.
Néanmoins, le test d’INR demandé en routine à l’arrivée du patient donne ses résultats et affiche un taux à 7,4 signalant un risque hémorragique élevé, ce qui a conduit les praticiens à hospitalier le patient. Le traitement par rivaroxaban est interrompu et une injection de 10mg de vitamine K est effectuée. Une consultation en hématologie est demandée.
Finalement, l’INR est considéré comme un test inadapté et non recommandé pour évaluer l’efficacité de l’anticoagulant chez les patients prenant du rivaroxaban. Le patient a alors pu sortir et a repris le traitement par rivaroxaban. Il a donc eu une hospitalisation inutile, coûteuse et potentiellement dangereuse.
« Ce cas met en lumière les dangers encourus par un patient chez qui sont prescrits des tests inutiles », commentent les auteurs. Le recours à l’INR est toutefois très ancré dans les habitudes. Il s’agit actuellement du test de coagulation le plus utilisé et les valeurs sont désormais standardisées, quel que soit le pays.
A réserver aux AVK
Les mesures habituelles du temps de prothrombine (TP) et du temps partiel de tromboplastine (aPTT) ont une fiabilité altérée sous l’effet des AOD. Les différentes thromboplastines peuvent montrer une sensibilité variable aux anticoagulants et l’allongement du temps de Quick est court avec un anti-Xa et peut évoluer au cours de la journée, expliquent les auteurs.
Pour les anticoagulants anti-Xa, l’INR s’avère donc imprécis, ajoutent-ils. Selon une étude rétrospective menée chez 218 patients sous apixaban ou rivaroxaban, les valeurs de l’INR apparaissent très différentes d’un patient à l’autre, avec des taux compris entre 1,1 et 8. Les taux les plus élevés sont observés chez les plus âgés.
L’INR et les tests associés, comme le TP ou l’aPTT, sont à réserver aux patients sous anti-vitamine K (AVK). C’est d’ailleurs ce qui apparait dans le consensus d’experts sur la gestion des hémorragies sous AOD, publié par l’American College of Cardiologie (ACC), qui préconise d’utiliser, si possible, des tests anti-Xa chromogéniques pour évaluer l’effet du rivaroxaban, du l’apixaban ou de l’edoxaban.
Que ce soit avec le dabigatran, qui se combine directement à la thrombine ou avec le rivaroxaban et l’apixaban, qui se fixent sur le facteur Xa, les mécanismes d’actions diffèrent de ceux des AVK. « Il n’y a pas de niveau d’élévation du taux d’INR spécifique des AOD. Les objectifs standards d’INR attendus avec la warfarine ne sont pas applicables dans le cas des AOD ».
Des résultats à ignorer
A l’inverse de la warfarine, « l’effet anticoagulant des AOD dépend de l’intervalle de temps entre la prise du médicament et le recueil de l’échantillon sanguin. L’effet maximal sur les tests de coagulation peut être enregistré dans les deux heures qui suivent la prise de l’anticoagulant. »
Par conséquent, « l’INR ne doit pas être utilisé, ni pour évaluer l’efficacité d’un traitement par AOD, ni pour déterminer le risque hémorragique chez les patients mis sous AOD », commente l’équipe.
Dans le cas clinique évoqué, un test INR inapproprié a conduit à une hospitalisation du patient, à un arrêt non sans risque du traitement par AOD et à une prescription superflue de vitamine K. Autant de mesures qui auraient pu s’avérer néfastes pour le patient.
Si l’INR ou le temps de thromboplastine sont, malgré tout, effectués à l’arrivée aux urgences, « les résultats ne peuvent pas être considérés comme fiables et ne doivent pas influencer sur la prise de décision », ont conclu les auteurs.
Le dosage des AOD plus utile
En cas de saignement sous anticoagulant, la Haute autorité de santé (HAS) est très claire dans ses recommandations de bonnes pratiques: les tests d’hémostase conventionnels, comme le temps de céphalée activée (TCA) et le temps de Quick (TQ) « ne sont pas utiles dans ce contexte ». La prise en charge peut, en revanche, être guidée par un dosage plasmatique de l’AOD.
Les tests biologiques s'avèrent plus utiles pour déterminer la concentration en AOD circulant dans l’objectif d’évaluer le risque hémorragique, lors de situations à haut risque hémorragique ou geste chirurgical urgent (< 72 heures après la prise supposée de l’AOD. Avec un taux < 30 ng/ml, le geste invasif apparait envisageable, le risque de saignement impliquant l’AOD étant minime.
L’inhibition de l’effet anticoagulant peut être envisagée dans le cas du dabigatran avec l’antidote spécifique idarucizumab (Praxbind®, BI). « Son administration en cas d’hémorragie ne doit pas être systématique », précise toutefois la HAS. L’andexanet, antidote des anticoagulants apixaban et rivaroxaban, ayant obtenu un avis favorable, il devrait être prochainement disponible.
Parmi les autres stratégies envisagées pour inhiber les AOD, l’utilisation de facteurs de coagulation (concentré de complexe prothrombinique activé ou non) « est insuffisamment évaluée » et « relève d’un cadre spécialisé ». Si la dernière prise de l’AOD est récente (<6 heures), du charbon actif peut aussi être administré pour limiter l’absorption digestive.
(Voir aussi: Hémorragies sous AOD : quelles options pour inhiber l’effet anticoagulant ?)Actualités Medscape © 2019 WebMD, LLC
Citer cet article: Evaluation de l’effet anticoagulant des AOD: les tests standards hors jeu - Medscape - 15 juil 2019.
Commenter