Quelles sont les données, dans la littérature, en faveur d’un allégement de l’antibiothérapie? Dans quelles pathologies et chez quels patients peut-on raccourcir la durée du traitement? Le point avec Aurélien Dinh et Christian Perronne.
TRANSCRIPTION
Christian Perronne — Bonjour, je suis Christian Perronne, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital de Garches et j’ai le plaisir d’accueillir le Dr Aurélien Dinh, praticien hospitalier dans le service et grand spécialiste des antibiotiques. Il mène des recherches sur l’allégement du traitement antibiotique. Actuellement, on est tous, dans tous les pays, très préoccupés par l’augmentation de la résistance aux antibiotiques. Il y a de moins en moins de nouvelles molécules, donc il faut les épargner et c’est pour cela qu’on essaye d’évoluer vers de nouvelles recommandations dans les stratégies d’allégement.
Avant de laisser la parole au Dr Dinh, je voulais dire qu’il y a déjà quelques années dans les écoles en France, le Pr Didier Guillemot avait montré[1] que quand les médecins prescrivaient à trop faible dose ou trop longtemps, cela sélectionnait plus de résistances.
Donc, où en est-on actuellement, dans les publications, dans les études sur la durée du traitement ?
Aurélien Dinh — Effectivement, les choses ont beaucoup changé, et ceci est lié en partie à l’émergence de résistances et à l’absence de nouvelles molécules. Autrefois, c’est une question qu’on ne se posait pas, et globalement les gens étaient traités… Je me rappelle, quand j’ai fait mes études, on disait « trois semaines, quand on ne sait pas ». Maintenant on a des études qui essayent d’évaluer des traitements de plus en plus courts avec des questions qui sont : « Jusqu’où aller ? Chez qui ? Et quels sont les critères qui permettent de traiter de manière raccourcie ? Tout en restant bien sûr efficace, puisque le prérequis est d’avoir une sécurité équivalente et de ne pas mettre en danger les patients.
Christian Perronne — Pourquoi peut-on maintenant se permettre de raccourcir ? Quelles sont les données qui commencent à émerger ?
Aurélien Dinh — Sur le rationnel, il y a effectivement l’émergence de résistances et, comme vous l’avez dit, Didier Guillemot avait montré que des traitements courts permettaient d’éviter l’émergence de résistance ; il y a aussi tous les autres avantages qui sont mis dans la balance, c’est-à-dire : un traitement plus court entraînerait peut-être moins d’effets indésirables, on aurait certainement un coût allégé (et aussi un moindre coût parce qu’on a moins d’effets indésirables), une compliance du patient améliorée puisque c’est plus facile de dire qu’on va bien prendre le traitement pendant 7 jours plutôt que 21 jours, et puis in fine, peut-être une qualité de vie améliorée ; on peut aussi inverser le paradigme et se dire qu’un traitement court est peut-être plus efficace qu’un traitement plus long.
Christian Perronne — Mais quelles sont les preuves ? Est-ce qu’il y a des études qui le montrent ?
Aurélien Dinh — Il y a des données, et globalement on a vu des recommandations émises par l’Assistance Publique et par la Haute Autorité de Santé (HAS) qui a mentionné, qu’effectivement, la plupart des infections communautaires n’avaient pas besoin d’être traitées plus de 7 jours et qu’au-delà de 7 jours, il fallait justifier. Cela repose, d’abord, sur une tendance vers le raccourcissement, et les preuves, on commence à les avoir. On a mis longtemps avant d’avoir des preuves un peu solides.
Par exemple, la pyélonéphrite : c’est une infection urinaire, une cause fréquente. Il y a eu deux grands essais randomisés avec la lévofloxacine, le premier par Peterson[2], qui avaient montré que 5 jours comparés à 10 jours étaient aussi efficaces. Alors, c’était 5 jours de forte dose versus 10 jours de petite dose, qui est effectivement ce qu’on aimerait ne pas faire.
Christian Perronne — Quand j’étais assistant, c’était trois semaines…
Aurélien Dinh — Effectivement. Et quand on reprend les vieux travaux, les vieux textbooks de 1950, c’était 42 jours IV pour la pyélonéphrite et c’est vrai que maintenant on a des données à 5 jours[3]. Et la recommandation reste 7 jours.
Si on s’intéresse aux infections respiratoires, pendant longtemps on a dit au moins 10-14 jours — on sait que les docteurs prescrivent 10 jours, en gros, globalement, quand on fait une enquête de pratique — mais la recommandation est à 7 jours. Une équipe hollandaise (Rachid el Moussaoui et Marc Bonten) avait déjà publié dans le BMJ en 2006 [4] une étude qui montrait, chez les patients qui avaient une pneumonie, une amélioration à J3, l’arrêt du traitement à J3. Ils avaient randomisé en faisant versus placebo. C’est une étude de bonne qualité, des méthodologies sont très solides et ils avaient démontré qu’il n’y avait pas de différence. Donc on voit bien que l’antibiothérapie agit au début comme un phénomène pour diminuer le contenu bactérien, et qu’après, l’immunité du patient reprend le dessus. Alors la question est : quand peut-on arrêter ?
Christian Perronne — Peut-être que cela marche justement chez des gens en bonne santé. Y-a-t’il des patients à risque, qui ont des maladies sous-jacentes, des immunodéprimées, chez qui cela serait risqué ?
Aurélien Dinh — À l’heure actuelle, en effet, on ne peut pas se le permettre, chez ces populations particulières — les patients très immunodéprimés ou qui ont des abcès, des infections dont la source n’est pas contrôlée — puisqu’on n’a pas de données et qu’il y a un risque qui n’est pas encore évalué. Mais dans 90% de nos prescriptions d’antibiotiques, en tout cas sur le territoire, c’est du communautaire, du patient non-immunodéprimé, on peut raccourcir encore, parce qu’on sait que globalement les docteurs prescrivent plus long. Et c’est intéressant de voir que, par exemple en France, la recommandation d’une durée de traitement pour la pneumonie est à 7 jours, mais aux États-Unis elle est déjà à 5 jours[5] – pour autant, les docteurs font encore 9 jours.
Christian Perronne — Il y a eu tout un mouvement d’opinion quand ces allégements ont commencé, en disant « attention, c’est très dangereux, on va voir apparaître une augmentation de maladies bactériennes qui avaient disparu, voire par exemple des pleurésies purulentes qui vont revenir, des maladies respiratoires plus graves. » Est-ce que, finalement, on l’a observé dans les différents pays qui ont allégé ?
Aurélien Dinh — À l’heure actuelle, dans le début de cet allégement, on ne voit pas de signaux. Et les études, que ce soient des essais randomisés ou des cohortes qui suivent un plus grand nombre de malades mais pour lesquels l’intervention est moins rigoureuse, ne retrouvent pas de signaux négatifs des durées de traitement, et encore une fois, on inverse même le paradigme en ce moment, à dire qu’on s’aperçoit que plus on traite les gens, plus ils font des infections ultérieures, parce qu’on perturbe les microbiotes barrières. Cela reste un peu conceptuel, mais effectivement, les patients traités plus longtemps ou traités à tort, font des sepsis ultérieurement et probablement plus que les autres. Donc il faut peut-être penser que c’est aussi une famille de molécules qui est un peu dangereuse, contrairement à ce qu’on avait l’habitude de penser au préalable.
Christian Perronne — Tu as piloté des études dans l’infection osseuse — l’ostéite chronique, la spondylodiscite, l’infection vertébrale — on en est où ? Est-ce qu’on peut vraiment alléger dans l’os, parce que l’os avait la réputation d’être impénétrable par les antibiotiques, il fallait traiter très longtemps, on traitait souvent trois mois les infections osseuses…
Aurélien Dinh — Alors, tout à fait. Même aux États-Unis, la recommandation pendant longtemps était de 6 mois, voire un an, et voire parfois à vie. On a effectivement fait un travail avec Louis Bernard qui a été publié dans le Lancet , [6] pour l’étude DTS qui, dans les spondylodiscites, avait comparé 6 à 12 semaines, donc la barrière base versus l’échelle haute. On s’est aperçu qu’il n’y avait pas de différence en termes de guérison. Donc toutes les spondylodiscites sont maintenant traitées 6 semaines dans notre service et c’est la recommandation qu’on fait de manière générale.
Chez l’enfant, par exemple dans l’arthrite, il y a des données de Peltola [7] qui montrait que 10 jours suffisaient. Alors il y avait quelques biais à l’étude, elle a mis longtemps à recruter, les molécules ont changé, peut-être que les pratiques ont changé. Pour une infection sur prothèses, il y a un gros essai français en cours avec un suivi à deux ans, qui est passionnant, et pour lequel on attend de manière imminente les résultats, et qui compare, encore une fois, 6 à 12 semaines de traitement.
Christian Perronne — Pour résumer, peux-tu nous dire qu’est-ce qui, dans les grandes indications, est déjà passé dans les mœurs ou est déjà officialisé dans les recommandations en France pour les allégements de traitement ?
Aurélien Dinh — Pour la pyélonéphrite non compliquée, on est passé en quelques années de 21 à 7 jours ; pour la pneumonie, on est passé de 10 à 7 jours ; pour les infections chirurgicales intra-abdominales, on peut passer à 4-5 jours maximum — quand elles sont bien opérées, il n’y a pas de problème ; et pour les infections ostéo-articulaires, on sait que par exemple les spondylodiscites n’ont plus besoin d’être traitées 12 semaines, on peut traiter 6 semaines. Pour les infections sur prothèse, on attend les résultats de cet essai qui devrait rester le gold standard pour nous apporter des réponses solides.
Christian Perronne — C’est une belle avancée. Pour terminer, une précaution chez les sujets à risque, les immunodéprimés et les terrains particuliers : il ne faut peut-être pas trop alléger pour l’instant, tant qu’on n’a pas de données solides dans ces populations.
Aurélien Dinh — Voilà. Soit il faut générer les données et s’y atteler, soit… chez les patients immunodéprimés, fragiles ou simplement âgés, il faut pour l’instant ne pas trop raccourcir sans avoir les essais [… ].
Christian Perronne — Et le dernier point que l’on n’a pas abordé pendant la discussion mais que j’avais évoqué avec Didier Guillemot : il ne faut pas qu’un médecin donne une dose trop faible d’antibiotique, cela a tendance à sélectionner les mutants résistants. A-t-on des données qui sont arrivées là-dessus?
Aurélien Dinh — Oui, tout à fait. On s’aperçoit qu’effectivement la règle est de « taper fort, pas longtemps », et non pas « petite dose, longtemps », ce qu’on a tous tendance à faire, par erreur probablement. C’est vraiment : « traitement court, forte dose ».
Christian Perronne — Merci beaucoup et à une prochaine fois.
Medscape © 2019 WebMD, LLC
Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.
Citer cet article: Infections communautaires : pour une antibiothérapie forte et courte - Medscape - 9 août 2019.
Commenter