POINT DE VUE

Changement de regard sur la dissection coronaire spontanée

Pr Ph Gabriel Steg

Auteurs et déclarations

12 juillet 2019

Le blog du Pr Gabriel Steg – Cardiologue

TRANSCRIPTION

Gabriel Steg — Bonjour. Aujourd’hui, je voudrais vous parler de dissection coronaire spontanée, une affection qui a longtemps été considérée comme une rareté, une friandise de coronarographiste qui touchait volontiers des femmes jeunes, qui était une rareté décrite dans des séries de cas cliniques dans la littérature et dont on ne savait pas très bien d’où elle venait, qu’est-ce qui prédisposait à cette affection et surtout comment la traiter.

On disait traditionnellement que cela représentait environ 1 % des infarctus du myocarde chez la femme, 1 % à 4 % des infarctus du myocarde coronarographiés et jusqu’à un tiers des infarctus survenant chez la femme avant l’âge de 60 ans.

Comme vous le savez, le diagnostic n’est pas aisé même après une coronarographie dite normale et il faut souvent avoir recours à une imagerie endocoronaire utilisant l’OCT ou l’échographie endocoronaire pour faire la preuve du diagnostic.

Au mois de mars cette année, l’équipe de Jacqueline Saw à l’université de Vancouver, au Canada, qui est une des équipes qui depuis longtemps s’intéresse aux dissections coronaires spontanées, a publié un travail unique qui est une série prospective multicentrique colligeant des cas de dissection coronaire spontanée avec une revue systématique des données cliniques et des films de coronarographie[1].

Cette série nous donne des enseignements extrêmement précieux qui vont changer notre regard sur la prévalence, la présentation, les facteurs favorisants et la gestion de cette affection.

Le premier enseignement dans cette série de 750 cas, c’est la confirmation d’une très grande prépondérance féminine : 89 % des sujets affectés étaient des femmes. Mais ce qui est nouveau, c’est l’observation que plus de la moitié de ces femmes était post-ménopause, contrastant avec la perception habituelle qu’il s’agirait d’une affection de la femme jeune.

Deuxième observation, les facteurs déclenchants : dans plus de 50 % des cas, on retrouve un stress psychologique notable au moment du déclenchement des symptômes et dans un tiers des cas, on retrouve un effort physique intense, typiquement port de charge lourde ou effort similaire.

Troisièmement, les facteurs prédisposants : on sait qu’il y a une association entre dysplasie fibromusculaire et dissection coronaire spontanée.

Dans la série de Jacqueline Saw, bien que la dysplasie fibromusculaire n’ait pas été systématiquement recherchée chez tous les patients et patientes affectés par une dissection coronaire, un tiers environ des sujets avait une dysplasie fibromusculaire avérée – et il est probable que ce chiffre ne va faire que monter si le screening pour la dysplasie se fait plus généralisé.

Deuxième élément, les maladies associées : maladie inflammatoire systémique dans 5 % des cas, contexte péripartum dans 5 % des cas, connectivite dans 4 % des cas.

Le traitement de ces dissections coronaires a été — comme cela est généralement prôné — largement conservateur. Dans 84 % des cas, il y a eu un traitement médical sans angioplastie, sans revascularisation coronaire par pontage. Dans 14 % des cas, il a été nécessaire de faire une angioplastie coronaire, dans 1 % des cas un pontage — les résultats de ces revascularisations ont été médiocres avec un taux d’échec élevé, un taux de récidive important.

Mais, il est très clair qu’il y a des patients et des patientes avec dissection coronaire spontanée où il n’est pas possible de poursuivre un traitement conservateur, soit qu’il y ait une ischémie évolutive menaçante avec sus-décalage de ST, par exemple, et douleurs persistantes, soit qu’il y ait des récidives ischémiques à plusieurs reprises sous traitement médical bien conduit. Et on est parfois forcé d’intervenir dans un contexte de sauvetage myocardique. Le pronostic des dissections coronaires spontanées reste mitigé avec un taux d’événements à 30 jours de l’ordre de 10 %.

Ce qui est intéressant, c’est que ce taux d’événements et de complications est nettement plus élevé chez les femmes enceintes dans la période péripartum, puisqu’il est de 20 %, confirmant qu’il s’agit d’une situation clinique à risque.

Et, donc, on passe de la notion d’une affection rare, voire rarissime, et décrite de façon épisodique à la notion d’une affection relativement fréquente dont nous devons tous, cardiologues cliniciens qui prenons en charge des sujets avec douleurs thoraciques et infarctus du myocarde, être avertis avec un haut degré de vigilance pour le diagnostic et devant toute coronarographie normale ou subnormale le diagnostic doit être évoqué et, si c’est nécessaire, confirmé, au besoin, par une imagerie endocoronaire.

Une fois le diagnostic affirmé et avec une vigilance qui est accrue, encore, lorsqu’il existe des facteurs de risque de dissection, essayer à tout prix de maintenir un traitement médical et, enfin, ne pas considérer que le diagnostic est écarté parce que le sujet n’est pas une femme jeune : il existe des dissections coronaires spontanées chez l’homme, il existe des dissections coronaires spontanées — et elles sont même fréquentes — chez les femmes postménopausées.

Il est certain qu’au fur et à mesure que notre degré de vigilance et d’alerte s’accroît, nous allons reconnaître de plus en plus de dissections coronaires spontanées. C’est, donc, une affection que chaque cardiologue doit connaître et nous devons poursuivre les efforts d’étude et de suivi clinique de ces patients et patientes afin de déterminer quelles seront la ou les stratégies thérapeutiques optimales.

Je vous souhaite un bel été. À bientôt.

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