Urgences : le Pr Riou dénonce les couloirs de la honte

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

2 juillet 2019

Paris, France — Dans une tribune du journal Libération , le Pr Bruno Riou* dénonce ce qu’il nomme « les couloirs de la honte », à savoir, les patients condamnés à attendre aux Urgences pendant de longues heures sur des brancards faute de place dans les services d’hospitalisation [1]. Si la dégradation de l’offre de soins n’est pas nouvelle, et l’urgentiste la pointait déjà du doigt en 2010, le problème n’a fait que s’amplifier ces dernières années au point que les urgences hospitalières sont « au bord de l’asphyxie ».

Réformer en priorité l’aval

Rien de nouveau sous le soleil des Urgences, pourrait-on dire. En dépit des grèves persistantes des personnels dans de nombreux services en France, de manifestations, de réponses partielles et plus concrètes de la Ministre, rien n’y fait. Le malaise des Urgences persiste et signe, à l’instar du Pr Riou qui prend la plume dans Libé. Devant le manque de réactions et l’absence de solutions concrètes pour désengorger l’amont et l’aval des Urgences, l’urgentiste dénonce les couloirs de la honte dans les services d’urgence, encombrés de « lits brancards » où des patients, en particulier les plus âgés, meurent faute de lits d’hospitalisation (voir encadré en fin d’article).

Si les urgences sont « au bord de l’asphyxie » parce que « les autres acteurs du système de santé ne veulent plus ou ne peuvent plus faire ». Un diagnostic partagé par le Dr François Braun, qui avait évoqué, lors du dernier Congrès Urgences, la nécessité de « recentrer la médecine d’urgence sur son cœur de métier ». La solution à apporter en priorité diffère, elle, selon les acteurs du système. Pour certains, il faut avant tout réformer l’amont : « d’aucuns considèrent qu’une proportion notable (estimée raisonnablement à 30 %) pourrait bénéficier d’une prise en charge ambulatoire dans d’autres structures (si elles existaient) » écrit le Pr Riou. Mais lui est d’avis qu’ « il ne s’agit pas du problème principal ». Selon le signataire de la tribune « le problème le plus grave auquel doivent faire face les urgences hospitalières, c’est l’absence d’aval suffisant et sa conséquence immédiate, les longues files de patients couchés sur des lits brancards pendant de très nombreuses heures dans ce qu’il convient d’appeler «les couloirs de la honte ».

No bed challenge toujours d’actualité

Par couloir de la honte, il faut comprendre ces fameux « lits brancards » où les patients stagnent en attendant une prise en charge adéquate, et parfois meurent, en particulier les plus âgés faute d’avoir été transférés plus tôt dans un autre service de l’hôpital (voir encadré). Une pratique contre laquelle les urgentistes alertent depuis le 10 janvier 2017 à travers le « No Bed Challenge » où concrètement les services d’urgence qui le souhaitent peuvent déclarer quotidiennement le nombre de patients restés sur des brancards la nuit par faute de lit d’hospitalisation.

Une façon pour Samu Urgence de France « de sensibiliser fortement nos décideurs, nos collègues, les patients … aux difficultés majeures de l’aval des Urgences ».

Un virage ambulatoire mortel  

Un message qui persiste et auquel les pouvoirs publics n’ont semble-t-il pas été très sensible. Ce manque de réactivité, le Pr Riou l’explique par le fait « que ces patients des urgences ont souvent besoin d’une hospitalisation plus prolongée que les patients dits programmés », ne répondant donc pas aux impératifs du « virage ambulatoire décidé de manière technocratique et imposé aveuglément par l’outil budgétaire ». Autres causes identifiées pour l'urgentiste : restriction budgétaire de l’hôpital public, concurrence entre établissements, tarification à l’activité (T2A), vieillissement et précarisation de la population, proportion croissante de patients souffrant de maladies chroniques invalidantes, etc.

Effet homéopathique

Quant aux solutions proposées par la Ministre de la Santé à cette non-gestion de l’aval, qui constitue, pour le Pr Riou, le « plus grand dysfonctionnement dont souffrent les urgences hospitalières », elles n’ont visiblement pas convaincu l’urgentiste, loin s’en faut. Si « ce phénomène délétère n’est pas pris à bras-le-corps et de manière urgente », l’urgentiste reste persuadé que « toutes les mesures de la loi «Ma santé 2020» soumises au vote ou celles qui seront proposées par la commission Mesnier-Carli » n’auront qu’un « effet homéopathique » sur le carcan qui asphyxie les urgences hospitalières. 

Réformer l’amont, l’aval, repenser l’organisation des services eux-mêmes, faire pénétrer les nouvelles technologies dans les hôpitaux… « Peut-être est-il temps de réfléchir vraiment à un nouveau système plutôt que de colmater l’existant avec de vieux pansements » pour reprendre les propos l’urgentiste Mathias Wargon, dans un blog paru le https://www.huffingtonpost.fr fin juin [2].

Au final, qu’elles que soient les solutions proposées, toutes méritent d’être étudiées, sans être exclusives les unes des autres, avec un même objectif : le « zéro lit brancard ». Et dans une certaine urgence.

Des psychiatres d’accord à 200%

Publié dimanche, la tribune du Pr Riou a trouvé écho chez d’autres professionnels de santé, en particulier les psychiatres, dont le secteur connait lui-aussi une grave crise. Dans des messages sur twitter, deux d’entre eux, les Prs Antoine Pelissolo (Henri Mondor, Créteil) et Bernard Granger (Hôpital Tarnier, Paris) se sont déclarés à 200% d’accord avec l’analyse de l’urgentiste, la mettant en parallèle avec la psychiatrie, et dénonçant l’un et l’autre le « principe du « virage ambulatoire » appliqué globalement et sans discernement, sur des arguments comptables, sans prise en compte des conséquences sur les soins somatiques et psychiques », pour reprendre les termes du Pr Bernard Granger.

L’attente aux urgences augmente la mortalité

Au-delà des polémiques médiatiques, sait-on si l’attente aux urgences augmente la mortalité ? La question a été évaluée par équipe française du Pôle anesthésie-réanimation–douleur–urgences au CHU de Nîmes [3]. L’étude a porté sur l’ensemble des patients admis en 2017, soit plus de 60 062 personnes. Parmi elles, 15 496 ont dû être hospitalisées pour raison médicale après admission dans le service des urgences de l’hôpital. 6 997 l’ont été pour une étiologie médicale, dont 2 546 (36 %) sans attente et 4 451 (64 %) après une attente. Après pondération, les chercheurs ont mis en évidence un taux de mortalité intrahospitalière de 7,8 % chez les patients qui avaient attendu, contre 6,3 % chez ceux qui avaient été hospitalisés rapidement [7,6 (4,7– 12,0) vs 7,1 (4,3–11,5) ; p < 0,01]. « On peut estimer que parmi ces patients en attente, un sur soixante meurt très vraisemblablement du fait de cette attente », a expliqué le Dr Pierre-Géraud Claret, urgentiste au CHU de Nîmes, lors de la présentation de l’étude aux congrès Urgences SFMU. Des résultats « concordants avec la littérature internationale » et montrant la nécessité « de trouver des solutions pour réduire cette surmortalité » [3].

*Le Pr Bruno Riou est membre du Conseil national de l’urgence hospitalière et doyen de la faculté de médecine, Sorbonne-Université.
 

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