Psychotraumatisme(s) des migrants : quand penser à l’EMDR

Aude Lecrubier

28 juin 2019

Paris, France — D’après le dernier rapport de la Comede, Comité pour la santé des exilés, entre 2013 et 2017, sur l’ensemble des demandeurs d’asile reçus par l’association, près de 7 sur 10 souffraient d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT), a rapporté Camille Thomas, directrice Asile et Integration du groupe SOS Solidarité, lors d’une conférence intitulée « Traumatisme et exil : enjeux et espoirs » qui a réuni, le 20 juin, plusieurs acteurs du secteur médico-social [1].

Le trouble de stress post-traumatique

Ce trouble anxieux sévère survient à la suite d'une expérience vécue comme traumatisante avec une confrontation à des idées de mort et se manifeste par des flash-back envahissants, des comportements d’évitements pour échapper aux situations qui pourraient rappeler l’événement traumatisant, et par une hypervigilance avec souvent une impression de danger permanent. Le TSPT peut induire des troubles du sommeil (cauchemars, insomnie…), une dépression, des comportements suicidaires, des addictions, des troubles de la personnalité et des troubles somatiques.

Les migrants sont une population particulièrement à risque de TSPT en raison de confrontations fréquentes à un ou plusieurs événements traumatisants (traumatisme complexe) dans leur pays d’origine, sur le parcours de l’exil mais aussi dans le pays d’accueil où ils vivent dans l’insécurité et la précarité.

Lors de son intervention, Corine Torre, chef de mission France pour MSF a, en effet, dénoncé les traumatismes liés à la politique de « non-accueil ». « Ces personnes sont traumatisées par les passages en centres de rétention successifs, par leur parcours de rue, leur parcours juridique, par le fait qu’on ne leur donne pas la possibilité de se loger, de s’intégrer, de travailler », explique-t-elle.

De l’absence de soins au développement d’une technique prometteuse

Retour sur l’EMDR

Lors de sa présentation, Lola Petiot a rappelé les principes fondamentaux de l’EMDR expliquant que la technique s’appuie sur un processus physiologique naturel qui se déroule au cours de la nuit, pendant le sommeil paradoxal, lorsque le cerveau classe les informations. Pendant ce traitement de l’information, nos yeux bougent de droite à gauche (mouvements oculaires rapides).

 

Lorsque des personnes (ou leurs proches) ont été confrontées à un risque de mourir, à des menaces, à une altération de l’intégrité physique, elles subissent un choc émotionnel qui va empêcher le cerveau de traiter l’information de cette manière, ce qui va engendrer les symptômes du TSPT.

 

L’objectif de l’EMDR est de remettre en route ce processus de traitement de l’information.

 

La thérapie EMDR utilise une stimulation sensorielle bi-alternée (droite-gauche) qui se pratique par mouvements oculaires. Pour cela, le patient suit les doigts du thérapeute, écoute des stimuli auditifs ou le thérapeute tapote alternativement les genoux du patient ou le dos de ses mains.

 

« Ces processus permet de redigérer l’information », explique la psychologue.

 

Au début de la séance, le praticien demande au patient de se concentrer sur le souvenir traumatique, en gardant à l’esprit les aspects sensoriels les plus perturbants, ainsi que les pensées et ressentis négatifs qui y sont associés.

 

Le praticien pratique alors des séries de stimulations bilatérales alternées rapides pendant lesquelles le patient reste silencieux. Entre chaque série, le patient dit ce qu’il a ressenti (image, son, odeur, sensation physique).

Le praticien continue les stimulations jusqu’à ce que le souvenir ne génère plus de perturbations, ait perdu sa vivacité.

Ensuite, toujours avec des stimulations bilatérales alternées rapides, il aide le patient à associer à ce souvenir une pensée positive, un lieu sûr. Il s’agit de la phase de stabilisation.

Une séance d’EMDR dure généralement 90 minutes, pendant laquelle le patient peut traverser des émotions intenses.

Avant de débuter l’EMDR, des entretiens préliminaires permettent de construire une relation de confiance avec le praticien ; de choisir avec lui la problématique à traiter en priorité, puis les souvenirs traumatiques à l’origine de ces difficultés et enfin de mettre en place des outils psychocorporels de stabilisation émotionnelle qui peuvent être utilisés en cours de séance ainsi qu’en pratique autonome entre les séances.

Encore des réserves sur la technique EMDR

Malgré plusieurs études scientifiques aux résultats positifs, notamment chez les réfugiés syriens[2,3], de nombreux psychologues, psychothérapeutes et psychiatres restent réservés sur l’efficacité et la sécurité de l’EMDR dans cette population de réfugiés.

 

« Les psychiatres de la Comede et de MSF sont très réticents sur l’utilisation de la technique chez les migrants », a confirmé Corine Torre.

La principal raison leur inquiétude porte sur le risque de survenue d’une dissociation et/ou d’une décompensation liée(s) au retour sur le traumatisme pendant les séances d’EMDR chez des personnes en situation de fragilité et de précarité.

Selon Alain Brunet , Professeur de psychiatrie à l’université McGill, chercheur à l’Institut Douglas de Montréal (Canada)[4], l’EMDR est « une belle découverte » qui de façon empirique « a montré son efficacité », mais « lorsque l’événement traumatique a engendré des troubles profonds, l’EMDR n’est pas sans risque et mieux vaut l’éviter. Les séances peuvent en effet entraîner des épisodes dissociatifs sévères, qu’il est ensuite difficile de traiter », écrit-il dans un interview pour La Croix[5].

Interrogée sur cette question par Medscape édition française, Lola Petiot a répondu qu’il était parfois nécessaire de faire des aménagements pour éviter que la personne ne tombe dans la dissociation et qu’il revenait au clinicien dument formé de s’adapter. « De nombreuses personnes retournent les deux pieds dans le passé et il faut aménager le protocole. Par exemple, faire des stimulations alternées plus courtes, faire revenir la personne dans le présent plus souvent. Si la personne est complètement dissociée, elle n’est plus dans le présent et le cerveau ne peut plus entamer le processus de retraitement », a-t-elle expliqué.

Efficacité contestée sur les traumatismes complexes

Autre bémol concernant l’EMDR, son efficacité sur les traumatismes complexes, fréquents chez les réfugiés, est contestée.

Pour le Pr Brunet, l’EMDR pourrait être moins efficace sur « les traumatismes complexes, en particulier lorsqu’ils ont eu lieu dans l’enfance et ont affecté en profondeur le développement psychique de la personne.  Car ce type de trauma a des répercussions à de nombreux niveaux, affectant la personnalité, les modalités d’attachement, etc. »

Sur ce point, Lola Petiot, reconnait que lorsque le traumatisme est complexe, le traitement sera plus long « parce qu’il va falloir travailler sur les différents réseaux de mémoire » mais pour la psychologue, la technique est également efficace sur les traumatismes complexes. « L’EMDR n’est pas une solution miracle. Elle ne peut pas tout régler mais sur le traumatisme, en tant que tel, il y a un avant et un après », souligne-t-elle.

L’EMDR n’est pas une solution miracle mais sur le traumatisme, en tant que tel, il y a un avant et un après Lola Petiot

Etre accueilli comme un être humain

Lors de la conférence organisée par le groupe SOS Solidarité, Hinde Maghnouji, psychologue clinicienne a, souhaité rappeler à la salle que toutes les réponses ne pouvaient pas venir de la prise en charge psy.

« Je crois que l’appel permanent au psy déresponsabilise les pouvoirs publics. Ce qui soigne, c’est aussi l’accompagnement institutionnel, d’être accueilli comme un être humain. Le psy n’a pas une baguette magique », a-t-elle martelé.

Un avis partagé par Lola Petiot : « Le traumatisme est un tout. Il englobe la façon dont on le vit mais aussi la façon dont l’entourage et la société y répondent », souligne-t-elle.

 

Comment se former à l’EMDR ?

Découverte en 1987, la technique est recommandée officiellement pour le traitement du TSPT depuis juillet 2012 par l'OMS et en France depuis juin 2007 par la Haute Autorité de la Santé et 2015 par l’Inserm.

En France, il existe trois formations à l’EMDR agréées, ouvertes aux professionnels de la psychologie et de la psychiatrie. Deux sont privés : à Toulouse et à Paris. L’une, universitaire est délivrée à Metz. Cette dernière se déroule sur deux ans. Pour obtenir une accréditation, il est nécessaire d’avoir pratiqué avec de nombreux patients.

 

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