Le blog du Dr Dominique Savary – urgentiste, réanimateur
Faut-il revoir le dogme du scanner corps entier systématique à l’arrivée au déchocage? Dominique Savary présente deux études sur le bilan d’imagerie des traumatisés sévères.
TRANSCRIPTION
Bonjour, je vous retrouve aujourd’hui sur Medscape pour parler du bilan d’imagerie des traumatisés sévères à propos de deux études récentes : REACT-2 qui est sortie dans Lancet en 2016 [1] et nous allons aussi évoquer une deuxième étude sortie dans Radiology en 2018. [2]
Vous le savez, les recommandations d’experts proposent que lorsque vous prenez en charge un patient traumatisé sévère, il bénéficie à l’arrivée au déchocage d’un body scanner de façon rapide, ce qui améliorerait la survie des patients. Il faut savoir que ces recommandations d’experts reposent sur des études de cohorte où, probablement, on a pris en compte les patients les plus graves.
REACT-2 [1] est intéressante parce que c’est une étude prospective, randomisée, contrôlée, qui a eu lieu sur quatre CHU européens avec des trauma center de niveau 1 (deux centres hospitaliers suisses, deux centres hospitaliers hollandais). La randomisation s’est faite entre réalisation d’un body TDM à l’arrivée pour une partie des patients, et bilan standard pour l’autre partie – bilan standard qui associait radiographie pulmonaire, radiographie du bassin, une FAST échographie, plus ou moins donc un bilan radiologique du rachis, un scanner segmentaire quand il était nécessaire, et une urétrographie rétrograde. Les patients randomisés un pour un l’ont été pendant 32 mois : 541 patients dans le bras body TDM versus 542 patients dans le bras standard ont donc été comparés, avec, il faut le reconnaître et c’est souligné par les auteurs, des groupes qui n’étaient pas tout à fait comparables et probablement des patients plus graves dans le groupe body TDM, avec en particulier un injury severity score qui était plus important — 67 % dans le groupe body TDM versus 61 % dans le groupe standard. Pareil, dans le groupe body TDM, on retrouvait à l’arrivée au déchocage, des patients qui avaient un taux d’hémoglobine et d’hématocrite qui était moindre dans le groupe body TDM.
Les résultats de cette étude sont qu’il n’y a pas de différence de mortalité entre les deux stratégies — c’est très important. Et dans les sous-groupes prédéterminés ou prédéfinis, qui étaient les traumatisés crâniens, et aussi bien sûr les traumatisés les plus sévères, là aussi, pas de différences de mortalité. Par contre, très clairement, ressortait de cette étude que les patients qui avaient bénéficié de la stratégie body scanner ont été beaucoup plus irradiés que les autres. En revanche, cette stratégie permettait de gagner un temps précieux : huit minutes en moyenne étaient gagnées dans le groupe body TDM versus le groupe standard.
Les auteurs concluent que le dogme du body scanner à l’arrivée au déchocage des traumatisés sévères était peut-être à revoir, et en particulier on peut imaginer que certains patients traumatisés sévères sur un contexte de cinétique, mais qui sont stables sur le point hémodynamique, pourraient peut-être avoir un bilan plus léger que le fameux body TDM, mais que, par exemple, dans des structures qui ont moins l’habitude de recevoir, moins de volumétrie de patients traumatisés sévères, la stratégie body TDM est certainement moins complexe.
Dans cette étude du Lancet, des sous-diagnostiques n’ont pas été évalués et c’est pour cela que je voulais aussi vous parler de l’étude [2] qui est sortie dans Radiology l’année dernière, qui s’est intéressée à la deuxième lecture de ce body scanner. Elle a eu lieu dans 26 centres hospitaliers entre 2011 et 2016 et a analysé 2354 body TDM classiques et en proposait donc une deuxième lecture. L’ensemble de ces scanners avait une acquisition classique, à savoir sans injection crâne cervical avec, pour le thorax/abdo/pelvis au temps artériel et un temps portal pour abdo/pelvis. La relecture de ce scanner a été réalisée à 12 heures ou 48 heures par un deuxième radiologue.
Cette étude a montré que, finalement, ce sont 304 scanners où on est passé à côté de lésions, c’est-à-dire 13 % des bilans. Et surtout, parmi ceux-là, ce sont 59 patients qui avaient, sur la relecture, une vraie implication clinique. Donc les auteurs se sont attachés à regarder quels étaient les facteurs de risque de passer à côté d’une lésion manquée et ils ont retrouvé 3 facteurs de risque :
les patients avec des lésions dans plus de deux régions anatomiques,
les patients âgés de plus de 30 ans,
et les patients les plus graves.
Ce qui est peut-être rassurant, c’est que ni l’expérience du radiologue, ni l’horaire de réalisation du scanner ou la charge de travail n’avaient d’influence sur des lésions manquées.
Voilà donc deux études sur le bilan d’imagerie des traumatisés sévères. Il faut peut-être que nous revoyons le dogme du bilan body TDM systématique à l’arrivée au déchocage, mais il faut certainement privilégier une deuxième relecture rapide de ces scanners pour l’ensemble de nos patients.
Je vous remercie et je vous dis à bientôt sur Medscape.
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Citer cet article: Quel bilan d’imagerie pour les traumatisés sévères? - Medscape - 2 juil 2019.
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