Paris, France — Le champ de la médecine est l’un des domaines de prédilection de l’intelligence artificielle. L’oncologie s’est emparée du sujet (aide au diagnostic, prédiction de la fatigue…), la cardiologie s’y met aussi, alors pourquoi pas les Urgences, et en particulier, la régulation ? C’est la thèse qu’a défendu le Dr François Braun (Pôle urgences, CHR Metz-Thionville) au congrès Urgences SFMU 2019 , non sans rappeler au préalable que le corps humain est quelque chose de complexe et que « le diagnostic ne sera jamais fait tout seul ». « Il faudra toujours de l’humain » a-t-il insisté [1].
Aller plus vite avec l’IA
« La régulation médicale est une activité d’une extrême complexité dans la mesure où le médecin doit gérer de nombreux niveaux d’information, d’analyse et de décisions » a continué l’urgentiste, citant les propos d’Emmanuelle Maître de Pembroke dans le « passionnant mais ardu » ouvrage paru l’an passé, Décider en urgence au Samu centre 15 (voir encadré). Pas de doute, établir un diagnostic nécessite bien les dix années d’étude requises pour être médecin. En revanche, quand il s’agit de prendre des décisions tenant compte de connaissances nombreuses et de données multiples, l’intelligence artificielle peut aider à faire ce que fait déjà l’homme mais beaucoup plus vite [2]. « Et c’est là que ça devient intéressant » a commenté le Dr Braun.
Corti, l’appli qui aide à la régulation en cas d’arrêt cardiaque
La régulation médicale accueille les appels, les qualifie puis les oriente tandis que le SMUR géolocalise et procède aux interventions. L’IA peut-elle optimiser le process ? Oui, à condition de la nourrir avec un grand nombre de datas. « Avec 32 millions d’appels, 15 millions de dossiers de régulation et 700 000 interventions par an, on a largement de quoi fournir les start-ups qui travaillent sur l’intelligence artificielle », considère le Dr Braun. D’ailleurs, celles-ci ont déjà commencer à travailler sur la régulation des appels, et l’une d’entre elles a créé Corti, un logiciel de reconnaissance et d’aide à la décision de l’arrêt cardiaque au téléphone. Mis au point par une entreprise danoise, l’algorithme a été testé aux Etats-Unis et une démonstration de son fonctionnement est à voir ici. On y voit que le dossier de régulation est rempli automatiquement grâce aux données recueillies par reconnaissance vocale, l’ambulance la plus proche est repérée et envoyée sur place, son délai d’arrivée estimé est fourni à l’appelant. Par analyse des mots, de la fréquence vocale, de la fréquence respiratoire, l’IA pose les questions adaptées, « diagnostique » un possible arrêt cardiaque, autant d’informations qui constituent une aide pour l’opérateur quand il reprend l’appel.
Faire la même chose pour la dyspnée
Testée sur 161 650 appels d’urgence pour arrêt cardiaque, l’algorithme a diagnostiqué l’arrêt cardiaque dans 93,1% des cas versus 72,9 % pour les opérateurs aguerris du numéro d’appel d’urgence américain 911 (mais non médecins) et récupéré le diagnostic en 48 sec contre 79 sec pour l’être humain. « On a là un logiciel qui relève encore de la recherche et développement et qui pourrait nous aider demain sur cette problématique de l’arrêt cardiaque, et nous sommes en train de nous rapprocher des chercheurs pour l’introduire en France. A ce jour, nous discutons aussi avec des start-ups pour faire la même chose sur la dyspnée, pour laquelle nous avons beaucoup d’appel et qui est, de plus, un symptôme audible au téléphone. »
Retrouver très vite des éléments pertinents dans le dossier médical
Autre application de l’IA en régulation : le projet LERUDI (pour LEcture Rapide aux Urgences du Dossier Informatisé) ou comment obtenir une synthèse du dossier médical partagé (DMP) aux Urgences pour retrouver très rapidement l’information intéressante, si le motif d’appel, par exemple, est une douleur thoracique ou une douleur abdominale. « Déjà tout un travail a été fait sur l’ontologie, qui a montré que l’on pouvait sur une masse importante de dossiers médicaux retrouver en quelques secondes des éléments pertinents, extraits des courriers hospitaliers dès lors que l’on fournissait le motif d’appel [3 ]» a précisé l’orateur.
Réalité augmentée et objets connectés
Dans le domaine des situations sanitaires exceptionnelles, il existe déjà des outils, des plateformes de réalité augmentée qui permettent de voir en direct, dans les situations de crise, où sont ses équipes. « Plus besoin de mettre des petites étiquettes « UA (urgence absolue) » « UR (urgence relative) », un code couleur tracé à la craie sur les personnes et les lunettes de reconnaissance (type Google glass) portés par les urgentistes permettent de les identifier, de les compter et de les géolocaliser – les informations pouvant être visualisées sur l’écran même des lunettes. Tout cela existe déjà dans le domaine militaire et nous sommes très en retard, a considéré l’urgentiste. Sans compter l’aide apportée par les objets connectés, les serious game, et les outils de simulation comme SimulPhone.
Récupérer l’aiguille dans la meule de foin
Le médecin régulateur a-t-il encore un avenir ? « Oui, bien sûr, rassure l’urgentiste. On parle ici d’intelligence augmentée, non pas d’une intelligence qui va remplacer l’homme mais de celle qui va permettre de faire plus vite et avec une meilleure pertinence ce qu’on fait déjà tous les jours. Pourquoi se priverait-on de quelque chose qui va diminuer notre charge de travail ? » Quel sera alors son rôle ? « Dès lors que l’on va disposer de nombreux éléments qui permettent de faire une partie du travail, le rôle du médecin régulateur sera de récupérer l’aiguille dans la meule de foin, d’avoir cette plus-value médicale lui permettant de déterminer que pour un cas précis, quelque chose qui n’est pas exactement comme le reste. Seule l’analyse du médecin permettra de distinguer les cas particulièrement atypiques ».
Perspectives prometteuses et possibilités à foison
Améliorer la qualité des soins, réduire les coûts, renforcer la sécurité, améliorer l’accès aux soins…à l’heure de l’IA en santé, les perspectives sont prometteuses, et encore plus dans l’Hexagone, avec beaucoup de big data à portée de main via le DMP, le PMSI ou encore, plus spécifique aux Urgences, Fedoru, la Fédération des observatoires régionaux des urgences.
Il y a foison de possibilités de développement, au niveau gouvernemental notamment avec le Health Data Hub mis en place par le Ministère de la Santé, des moyens sont mis sur la table et des start-ups qui ne demandent qu’à travailler, a conclu, le Dr François Braun avant de lancer avec enthousiasme : « allons-y, on ne peut pas rater le virage de l’utilisation de l’IA en médecine d’urgence et particulièrement en régulation médicale ».

Décider en urgence au Samu centre 15
Qualifié de livre « absolument passionnant », par le Dr Braun, mais « extrêmement ardu », à lire en prenant son temps pour intégrer toutes les informations, Décider en urgence au Samu centre 15 est le fruit d’une recherche interdisciplinaire qui vise à « caractériser l’activité décisionnelle des médecins du Service d’aide médicale d’urgence (Samu) centre 15, dont l’une des spécificités est d’effectuer des régulations médicales à distance du patient, par téléphone ». Il répond à des questions aussi diverses que :
A quelles conditions l’équipe de régulation et le collectif de travail constituent-ils des ressources pour décider en urgence ? Comment trier les informations essentielles pour prendre des décisions rapides face à des urgences potentiellement vitales ? L’intuition a-t-elle sa place en soins d’urgence ? Ou encore, comment gérer ses propres émotions ou celles de l’appelant, afin d’éviter qu’elles ne perturbent les décisions ?
Décider en urgence au Samu centre 15, Alain Mouchet et Catherine Bertrand (sous la coordination de), Octares Editions, 2018, 226 p, 25 euros.
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Citer cet article: Urgences : comment l’IA peut-elle aider à la régulation médicale ? - Medscape - 26 juin 2019.
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