Chicago, Etats-Unis— Lors du congrès annuel de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO), trois présentations ont été consacrées aux dernières avancées de la recherche sur les nouveaux inhibiteurs de fusion NTRK (Neurotrophic Tyrosine Receptor Kinase). Des données positives qui amènent à s’interroger sur l’intérêt d’un dépistage systématique de ces anomalies génétiques et de la sélection des patients à traiter (voir l’éclairage du Pr François Doz en fin de texte).
Pour rappel, les inhibiteurs de fusion NTRK sont les premiers traitements anticancéreux ciblés destinés à une indication « tissu-agnostique » qui ne visent pas un type de tumeur en particulier (sein, poumon…) mais une anomalie génétique rare retrouvée dans une vingtaine de cancers : la fusion NTRK.
Fusion NTRK et inhibiteurs de NTRK
La fusion d'un gène NTRK avec un ou plusieurs autres gènes est à l'origine de récepteurs membranaires NTRK anormaux qui activent la prolifération cellulaire.
Les inhibiteurs de NTRK, dont le premier représentant est le larotrectinib (Vitrakvi®, Bayer/Loxo Oncology), agissent en bloquant sélectivement ces protéines anormales.
Aux Etats-Unis, le larotrectinib a déjà été autorisé chez l'adulte et chez l'enfant dans le traitement des tumeurs présentant une fusion NTRK, quel que soit leur type.
En Europe, l'Agence européenne des médicaments (EMA) est en cours d’évaluation du médicament. Et, en France, dans l'attente d'une autorisation de mise sur le marché, le médicament est disponible depuis février dernier et peut être utilisé dans le cadre d’une ATU de cohorte comme « traitement des patients adultes et pédiatriques atteints de tumeurs solides localement avancées ou métastatiques présentant une fusion NTRK réfractaires aux traitements standards ou en l’absence d’alternative thérapeutique appropriée ».
D’autres inhibiteurs de NTRK sont actuellement à l’étude comme l’entrectinib qui cible également les mutations ROS et ALK.
Larotrectinib : les bons résultats se confirment, notamment sur les tumeurs du SNC
Une première étude sur le larotrectinib[1] a montré l’efficacité et la sécurité du larotrectinib sur le long terme chez des enfants atteints de cancer porteurs de fusions NTRK.
Trente-huit participants d’âge moyen 2,3 ans (0,1 à 14 ans) ont été recrutés dans le cadre de deux essais cliniques sur le larotrectinib dans lesquels ils avaient été inclus après que le séquençage du génome de la tumeur ait révélé des anomalies de la NTRK.
En tout, 18 (47%) avaient un fibrosarcome infantile, 15 (39%) un sarcome des tissus mous, 2 (5%) des cancers de la thyroïde et 3 avaient respectivement une tumeur stromale gastro-intestinale, un mélanome ou un néphrome mésoblastique.
Sur les 34 patients dont les données ont pu être évaluées, le taux de réponse global au larotrectinib a atteint 94% : 12 réponses complètes, 18 réponses partielles confirmées, 2 réponses partielles en attente de confirmation; 2 maladies stables. Dans 84% des cas, la durée médiane de la réponse dépassait un an (durée moyenne de la réponse : 1,6 à 26,7 mois). Les effets secondaires étaient principalement de grades 1 et 2.
La deuxième étude [2], réalisée en collaboration avec l’Institut Curie et Gustave Roussy, a montré que le larotrectinib était efficace chez les patients atteints d'un cancer du cerveau porteur de fusions NTRK; l'agent offrait également un contrôle durable de la maladie en présence d'une maladie métastatique.
L'étude a porté sur 14 patients âgés de 2 à 79 ans atteints de tumeurs cérébrales avec des fusions TRK traitées par le larotrectinib pendant plusieurs mois. Cinq de ces patients avaient un cancer du système nerveux central secondaire sous forme de métastases cérébrales (3 provenant d’un cancer du poumon, 2 issues d’un cancer de la thyroïde), les 9 autres avaient des tumeurs primitives du système nerveux central (3 gliomes, 2 glioblastomes, 1 astrocytome, 3 carcinomes NOS).
Chez les 5 patients atteints de cancers secondaires, 3 patients ont eu une réponse partielle, un n’a pas progressé et un n’a pu être évalué. La durée de la réponse s’est étalée de 9 à 13 mois. Chez les 9 patients atteints de tumeurs primaires du SNC, le contrôle de la maladie a été observé chez tous les patients évalués. Une réponse partielle a été observée chez un patient, 7 n’ont pas progressé, 5 n’ont pas progressé pendant 4 mois et un n’a pu être évalué. La durée du traitement était de 2,8 à 9,2 mois.
« Les résultats ne sont pas aussi spectaculaires que pour les tumeurs situées en-dehors du système nerveux central, mais ils sont encourageants, chez l’enfant comme chez l’adulte », a expliqué le dernier auteur de l’étude, le Pr François Doz, oncologue pédiatre au sein du centre SIREDO (soins, innovation, recherche en cancérologie de l’enfant, l’adolescent et l’adulte jeune) et professeur de pédiatrie à l’Université Paris Descartes, dans un communiqué de l’Institut Curie [3].
Résultats encourageants avec un inhibiteur de TrkA/B/C, ROS1 et ALK
Enfin, un essai de phase 1/1B a rapporté les résultats prometteurs, d’un autre traitement, l’entrectinib, un inhibiteur des tyrosines kinases TrkA / B / C, mais aussi de ROS1 et ALK, chez des enfants et des adolescents atteints de tumeurs solides récurrentes ou réfractaires, y compris de tumeurs du système nerveux central (SNC) [4].
Dans cette étude, 29 patients âgés de 4 à 20 ans (7 ans en moyenne) ont été inscrits et 28 ont été évalués.
Il en ressort que « l’entrectinib a provoqué des réactions remarquables, rapides et durables chez tous les enfants atteints de SNC réfractaire et de tumeurs solides porteurs de fusions NTRK1 / 2/3, ROS1 ou ALK (11 sur 11) comme dans une tumeur neuroblatome mutée par ALK », soulignent les auteurs.
Dans les tumeurs du système nerveux central (n = 6), les chercheurs ont observé une réponse complète ; 3 réponses partielles; une réponse partielle non confirmée et une devait encore être évaluée.
Dans les tumeurs solides extracrâniennes (n = 8), 6 avaient une fusion dont une a obtenu une réponse complète et 5 une réponse partielle. Pour les neuroblastomes (n = 15): une réponse complète a été obtenue.
Globalement, l’entrectinib a été bien toléré. Les toxicités limitant la dose ont été une créatinine élevée, une dysgueusie, une fatigue et un œdème pulmonaire.
Inhibiteurs de TRK : quelles perspectives ?

Pr François Doz
Questions au Pr François Doz, oncologue pédiatre, SIREDO, Paris Descartes
Devrait-on faire des recherches systématiques de ces fusions TRK dans les cancers pédiatriques ?
Les fusions de TRK sont très rares mais, pour ceux qui en sont porteurs, le traitement est très efficace. Ce qui pose la question de l’intérêt et de la faisabilité d’une recherche systématique de ces anomalies génétiques.
Dans certaines tumeurs comme le fibrosarcome infantile, le néphrome mésoblastique, ou le gliome malin du jeune enfant, les fusions TRK sont très fréquentes, il faut donc probablement les rechercher systématiquement au diagnostic.
En revanche, dans toutes les autres tumeurs de l’enfant, elles sont beaucoup plus rares et la recherche de ces fusions au moment du diagnostic n’est pas à l’ordre du jour. Le séquençage de l’ensemble de l’ARN, qui est la technique la plus performante pour détecter toutes les fusions, reste couteuse. Toutefois, les prix baissent peu à peu et il est probable que d’ici quelques années on réalise ces examens en routine.
Actuellement, des études moléculaires extensives sont proposées lorsque les patients sont en échec thérapeutique comme dans l’étude MAPPYACT (voir encadré) en France, INFORM en Allemagne, ITER aux Pays-Bas, et MATCH (Molecular Analysis for Therapy Choice) aux Etats-Unis. A la rechute, les tumeurs des enfants sont biopsiées en vue d’un séquençage ARN pour détecter ces fusions-TRK. Dans le cas où de telles anomalies sont retrouvées, il est proposé aux enfants de participer aux essais thérapeutiques.
Comment sélectionner les bonnes indications de traitement ?
Les résultats de ces médicaments sont très spectaculaires mais il faut être prudent dans les indications. Dans les tumeurs que l’on sait très bien soigner sans ce médicament, ils ne seront probablement pas utilisés en première ligne parce que leurs effets secondaires à long terme ne sont pas connus. Des récepteurs TRK sont présent physiologiquement, notamment au niveau du SNC, nous ne pouvons pas exclure que les inhibiteurs de TRK interfèrent avec le développement de l’enfant, ce qui serait très embêtant. Les enfants qui reçoivent ces traitements devront être suivis à vie en raison des possibles effets secondaires tardifs.
Aussi, nous ne savons pas non plus quand il faut arrêter ces médicaments très efficaces, avec un risque de rebond à l’arrêt.
En revanche, dans les tumeurs très agressives, récidivantes ou inopérables, donner ces médicaments en première intention peut se justifier.
MAPPYACTS : la médecine de précision chez les enfants en échec thérapeutique
Le programme MAPPYACTS (MoleculAr Profiling for Pediatric and Young Adult Cancer Treatment Stratification) est une étude clinique multicentrique principalement soutenu par la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, Imagine For Margo et l’Institut National du Cancer.
Il a été mené sur 500 enfants et adolescents français, italiens et irlandais atteints d’un cancer dont la moitié d’entre eux avaient moins de 13 ans. Sur les 390 patients dont les données ont pu être exploitées [5], 271 (70 %) présentaient au moins une altération génétique, potentielle cible d’un traitement. 72 patients ont pu bénéficier d’un traitement, pour la plupart dans le cadre de l’essai clinique AcSé-ESMART. Certaines des altérations génétiques identifiées concernaient les fusions TRK. En France, ce séquençage génomique a permis d’identifier six jeunes patients porteurs d’une fusion TRK. Pour ces six patients il a été possible de les inclure dans des essais thérapeutiques évaluant le larotrectinib.
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Citer cet article: Inhibiteurs de fusion NTRK: nouveaux résultats encourageants dans les cancers présentant cette mutation rare - Medscape - 24 juin 2019.
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