Cancer du sein : une IA réussit à prédire le risque de fatigue sévère après traitement

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

19 juin 2019

Chicago, Etats-Unis -- Pour la première fois, une intelligence artificielle (IA) a pu prédire le risque de développer une fatigue sévère après traitement pour un cancer du sein, selon des travaux dévoilés au congrès de l’ASCO 2019[1].

Plus précisément, l’IA a pu identifier des clusters de polymorphismes génétiques associés à la survenue d’une fatigue cognitive post-traitement.

Prédire et tenir compte de la fatigue pour adapter les traitements

Plus d’un quart des patientes souffrent d’une fatigue sévère dans les mois qui suivent la fin d’un traitement contre le cancer du sein, parfois pendant un à deux ans.

« Il ne s’agit pas d’une fatigue légère mais d’une fatigue intense qui peut aller jusqu’à empêcher les patientes de sortir de chez elles », a précisé le Pr Fabrice André (oncologue spécialisé dans le cancer du sein à Gustave Roussy et directeur de recherche Inserm) pour Medscape édition française.

Des médecins-chercheurs de Gustave Roussy, en collaboration avec le Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, ont donc travaillé au développement d’un test capable de déterminer, au moment du diagnostic de cancer du sein et avant la mise en route des traitements, quelles femmes étaient susceptibles d’être affectées par la fatigue.  

L’objectif est de déterminer chez quelles patientes il vaudrait mieux, dans la mesure du possible, éviter certains traitements et proposer, si envisageable, des alternatives thérapeutiques mieux supportées.

Des polymorphismes génétiques associés à la fatigue cognitive

Pour ce faire, le Dr Inès Vaz-Luis et coll. (médecin-chercheur, responsable de la consultation fatigue à Gustave Roussy) se sont appuyés sur la cohorte CANTO (CANcer TOxicities), promue par Unicancer et coordonnée par le Pr André.

Après avoir sélectionné 3825 patientes atteintes d’un cancer du sein qui n’étaient pas fatiguées avant leur traitement, ils ont séquencé leur génome afin d’identifier les différents polymorphismes génétiques (Gwas, variations dans la séquence des gènes réalisées avec Genmed).

 
Il ne s’agit pas d’une fatigue légère mais d’une fatigue intense qui peut aller jusqu’à empêcher les patientes de sortir de chez elles. Pr Fabrice André
 

Puis, ils ont identifié, grâce à une méthode d’intelligence artificielle (méthode basée sur de l’agrégation de modèles des forêts aléatoires, PRFR*), une combinaison de polymorphismes génétiques susceptibles d’être associés à chaque catégorie de fatigue (physique/émotionnelle/cognitive) un an après traitement par chimiothérapie/radiothérapie/chirurgie.

Les chercheurs ont utilisé les échelles EORTC C30 pour évaluer la fatigue globale et EORTC FA 12 pour la fatigue physique/émotionnelle/cognitive. Ils ont considéré que l’asthénie était sévère si l’augmentation du score était au-dessus du troisième quartile.

« Nous avons observé que la survenue de plusieurs polymorphismes génétiques intervenant sur la transmission du signal entre deux synapses entraîne un plus grand risque de souffrir d’une fatigue cognitive à la suite d’un traitement contre le cancer du sein. Il s’agit d’une fonction biologique qui est probablement causale », a rapporté le Pr André.

Tableau : Résultats par types de fatigue

Type de fatigue

Echantillons

Taux (%)

Variables cliniques (N)

SNPs avec p<0,001 (N)

Performance PRFR* (aire sous la courbe, p)

SNP seul

Performance PRFR* (aire sous la courbe, p)

SNP+clinique

Globale

377/161

13

0

309

0,42 (0,89)

NA

Physique

283/121

19

0

277

0,44 (0,78)

NA

Emotionnelle

515/220

21

3

257

0,42 (0,96)

0,42 (0,96)

Cognitive

820/351

17

6

299

0,59 (0,01)

0,61 (0,003)

*preconditioning random forest regression

Des implications pratiques ?

Interrogé sur les implications pratiques de ces résultats, le Pr André a souligné qu’« à ce stade, l’IA permet de prédire la fatigue aussi bien que la clinique » et que « la prochaine étape sera d’intégrer les deux : la combinaison de polymorphismes génétiques identifiée l’IA et la clinique ».

Différents facteurs cliniques sont, en effet, connus pour être associés au risque de présenter une fatigue chronique après un traitement contre un cancer du sein : le jeune âge, le tabagisme, les comorbidités, l’anxiété, la dépression, la présence de symptômes de fatigue avant le traitement, le fait de ne pas travailler…

Concernant la modulation des traitements pourvoyeurs de fatigue, le Pr André a souligné que des travaux étaient en cours pour préciser l’impact des différents traitements mais que des données suggéraient que l’hormonothérapie était fortement impliquée.

« L’intuition des médecins est que la chimiothérapie est associée à la détérioration de l’état de santé global. Mais, s’il semble bien que la chimiothérapie soit toxique sur le fonctionnement neuropsychologique des femmes pré-ménopausées, en fait, l’impression de détérioration globale de l’état de santé qui survient à moyen terme serait plutôt associée à l’hormonothérapie ».

« Ceci pourrait amener à proposer des hormonothérapies un peu plus courtes mais combinées avec des anti CDK4, aux femmes qui seraient à risque de développer une fatigue, par exemple », conclut le Pr André.

 

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