Chicago, Etats-Unis-- A quelques jours du congrès de l’ASCO 2019, la Haute Autorité de Santé (HAS) a rendu un avis favorable au remboursement de deux thérapies innovantes par lymphocytes CAR T (cellules T porteuses d’un récepteur chimérique), Yescarta® (Gilead) et Kymriah® (Novartis) pour lutter contre certains cancers du sang.

Pr Guillaume Cartron
Toutefois, l’institution a souligné par la même occasion, « l’incertitude quant à l’efficience de ces produits », s’est dite « attentive aux données en vie réelle » et a précisé qu’il n’existait « pas à ce jour de données d’efficacité et de sécurité à moyen et long terme » pour ces thérapies « au coût très élevé ».
Que sait-on des effets secondaires de ces thérapies innovantes à court et à long terme ? Le Pr Guillaume Cartron (hématologie clinique, CHU de Montpellier) répond à Medscape édition française en direct de l’ASCO .
Transformer les lymphocytes T autologues en médicaments
Les CAR T cells sont des lymphocytes T prélevés puis modifiés génétiquement et réinjectés au patient.
Les modifications génétiques consistent à leur faire exprimer un récepteur artificiel, dit chimérique qui cible un antigène présent sur les cellules cancéreuses visées. Ainsi, lorsque les cellules T sont réinjectées au patient, elles se lient aux récepteurs et détruisent les cellules cancéreuses.
Quels sont les principaux effets secondaires à court terme de la thérapie par cellule CAR-T ?
Pr Guillaume Cartron : L’injection des CAR-T cells est associée à trois grands types d’effets secondaires. Ces effets secondaires peuvent être sévères puisqu’ils conduisent les patients en réanimation dans 30 % des cas.
Un des effets secondaires que les patients connaissent bien, parce qu’ils ont déjà reçu de la chimiothérapie, est la cytopénie. Ces cytopénies sont liées à la chimiothérapie lymphodéplétive. Un abstract présenté cette année à l’ASCO a d’ailleurs montré que la toxicité hématologique associée à la chimiothérapie était plus importante que prévu. Il est probable que les mécanismes immunologiques qui se mettent en place après ré-injection des cellules CAR-T augmentent les cytopénies et la durée de ces cytopénies.
Le deuxième événement secondaire est le syndrome de relargage des cytokines (SRC). Pendant très longtemps, nous avons cru que le lymphocyte T venait au contact des cellules tumorales, qu’il s’activait, qu’il tuait les cellules malignes et qu’à cette occasion, il déchargeait de nombreuses cytokines (IL6, TNF…). En fait, un grand nombre de travaux récents laissent penser que c’est plutôt la cellule maligne ou son environnement (macrophages et les cellules endothéliales) qui relarguent des cytokines.
Cet orage cytokinique est à l’origine de syndromes pseudogrippaux, mais peut aussi induire de la tachycardie, et même parfois des arrêts cardiaques et des défaillances viscérales.
Le troisième groupe d’effets secondaires sont les neurotoxicités. La neurotoxicité succède souvent à un SRC. Elle se manifeste par des maux de têtes, de la confusion, des difficultés à parler ou à écrire mais aussi par des crises d’épilepsie, des encéphalopathies, des œdèmes cérébraux, des hémiplagies, des paralysies.
Plus ces effets secondaires sont précoces, plus ils sont graves, mais ils sont transitoires. Ils vont régresser spontanément. Nous ne voyons plus de patients décéder d’œdèmes cérébraux comme au début.
En termes d’apparition de ces effets secondaires, les SRC les plus graves surviennent en 1 à 2 jours et la neurotoxicité quelques jours plus tard. La neurotoxicité peut s’observer jusqu’à deux mois après l’injection mais au-delà de 15 jours, nous estimons que les effets neurologiques les plus graves disparaissent.
En pratique, comment les patients sont-ils surveillés ? Comment ces effets secondaires sont-ils pris en charge ?
Pr G. Cartron : Actuellement, nous hospitalisons les patients 18 jours afin de suivre au mieux l’apparition de ces effets secondaires mais cette période pourrait probablement être raccourcie à 15 jours. Les patients peuvent ensuite être hospitalisés en HAD, rentrer à leur domicile, lorsque le domicile est proche ou aller en maison de convalescence.
Nous les voyons trois fois par semaine le premier mois puis, une fois par mois pendant 3 mois puis, tous les 3 mois. Il est nécessaire de mettre en place une certaine organisation car il faut pouvoir gérer un patient qui doit être ré-hospitalisé.
Concernant le traitement des toxicités, en cas de syndrome de relargage des cytokines, nous donnons des soins de soutien, des antibiotiques, des amines vasopressives mais aussi, parfois, des corticoïdes et une thérapie immunosuppressive. L’administration de l’anti-IL6 tocélizumab permet d’éviter l’escalade des effets secondaires lorsqu’il est donné précocement.
Le traitement de la neurotoxicité repose, lui, sur la dexaméthasone et la prévention des convulsions.
Quid des complications à long terme ?
Pr G. Cartron : Nous avons accepté de modifier des cellules de notre système immunitaire et de les réinjecter. C’est une révolution. Mais, il y a beaucoup d’inconnues sur les effets à long terme. Les lymphocytes T modifiés ré-injectés sont encore présents jusqu’à deux ans dans le corps du patient. Or, nous savons qu’il peut y avoir un passage inter-humain des lymphocytes T. Quel peut être le devenir de ces LT modifiés chez d’autres personnes ? Nous ne le savons pas. Il y a beaucoup d’incertitudes qui entourent la transmission interindividuelle de ces lymphocytes T.
Kymriah, Yescarta : les indications validées
Les thérapies par CAR T-Cells, tisagenlecleucel (Kymriah®, Novartis) et axicabtagene ciloleucel (Yescarta®, Gilead) ont obtenu une AMM européenne le 28 août 2018.
Kymriah est indiqué chez les patients de moins de 26 ans comme traitement de la leucémie lymphoblastique aiguë à cellules B réfractaire ou récidivante et chez les adultes atteints de lymphome diffus à grandes cellules B en rechute ou réfractaires à au moins deux lignes de thérapie systémique.
L'axicabtagene ciloleucel est indiqué chez les patients adultes atteints de lymphome diffus à grandes cellules B en rechute ou réfractaires ou de lymphome médiastinal primitif à grandes cellules B (LBPM) après aux moins deux lignes de thérapie systémique.
Pour l'instant les deux thérapies sont disponibles en France depuis fin juillet dans le cadre d'ATU de cohorte.
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Citer cet article: Cellules CAR-T : que savons-nous des effets secondaires immédiats et à long terme ? - Medscape - 20 juin 2019.
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