
Pr Jean Marco
Paris, France - Standing ovation, applaudissements nourris, suivis d’une succession de selfies et d’autographes signés, là sur un badge d’entrée, ici sur un programme… La remise du prix Andreas Gruentzig Ethica au Pr Jean Marco (Institut Pasteur, Toulouse), lors d’une session spéciale du congrès EuroPCR 2019 , a aussi été l’occasion de constater la popularité de ce spécialiste français, pionnier visionnaire de la cardiologie interventionnelle, sans cesse impliqué dans la formation des cardiologues, et porteur de valeurs centrées sur l’échange et le partage d’expérience.
Compagnonnage
Plusieurs centaines de cardiologues du monde entier ont profité de leur présence au congrès pour venir assister à la cérémonie et témoigner de leur reconnaissance et même d’une certaine admiration pour cet homme qui, en plus d’être un cardiologue interventionnel reconnu, s’est consacré, pendant toute sa carrière, à la formation et à l’éducation de ceux qui souhaitent se spécialiser dans la revascularisation par voie percutanée. La communauté des cardiologues interventionnels lui doit notamment le fameux système de compagnonnage, caractéristique de cette discipline, qui permet de se former auprès d’un confrère référent.
« Le Pr Marco a beaucoup contribué à faire progresser la cardiologie interventionnelle. Non seulement il a créé très tôt un cours spécialement dédié à cette discipline, qui est devenu aujourd’hui l’EuroPCR, mais il a aussi insufflé un état d’esprit, qui donne beaucoup d’importance à la transmission et au partage des connaissances entre pairs, avec une tendance à la remise en question permanente. Son empreinte dans cette communauté est extrêmement forte », explique Marc Doncieux, président directeur général d’Europa Group, organisateur d’EuroPCR.
La remise du prix Andreas Gruentzig Ethica s’inscrit d’ailleurs dans cette philosophie puisque ce prix honorifique récompense chaque année « une personnalité ayant contribué de manière exceptionnelle à répondre au besoin de chaque patient, en aidant la communauté des cardiologues à partager leur connaissance, leur expérience et leur pratique ». Alors que l’EuroPCR fête cette année sa 30ème édition, « le choix du Pr Marco est apparu évident », a indiqué Marc Doncieux. Le cardiologue a en effet quitté ses fonctions de directeur du congrès pour partir à la retraite, ce qui l’a rendu éligible pour le prix Ethica, également attribué pour son rôle dans la création de cet événement majeur de la cardiologie interventionnelle, qui rassemble désormais près de 12 000 participants chaque année.
Première angioplastie en 1979
La popularité du Pr Jean Marco n’est pas seulement liée à ses talents de pédagogue. En réalisant sa première angioplastie coronaire percutanée en France en 1979, au CHU de Toulouse, il est aussi considéré comme l’un des pionniers de la revascularisation par voie percutanée. La première opération du genre avait été réalisée avec succès deux ans plus tôt, à l’hôpital universitaire de Zurich, en Suisse, par un cardiologue allemand, le Dr Andreas Gruentzig, l’inventeur de la technique de la dilatation par ballonnet. Cette opération révolutionnaire avait alors marqué la naissance de la cardiologie interventionnelle, faisant rentrer par la même occasion le nom du médecin dans le panthéon de cette nouvelle discipline médicale.
Alors que les techniques de recanalisation des artères commençaient tout juste à se développer, le Pr Marco, qui a suivi et mis en pratique les enseignements du Dr Gruentzig, s’est rapidement consacré lui aussi à la formation, conscient de la nécessité de partager son expérience avec d’autres cardiologues pour faire évoluer les pratiques. Il semble d’autant plus important d’encourager les échanges entre praticiens pour apprendre des erreurs des uns et des autres, que les débuts de la cardiologie interventionnelle se montrent difficiles. Même si beaucoup d’interventions sont concluantes, le risque de complications était en effet élevé, ce qui provoquait des réactions mitigées et parfois même hostiles au sein de la communauté médicale.
« A l’époque, je me suis lié d’amitié avec le Dr Richard Myler, l’un des associés du Dr Gruentzig », raconte le Pr Marco. Dans les années 1980, le Dr Myler multiplie les interventions et devient un référent majeur, après le décès en 1985 dans un accident d’avion de quatre pionniers de la cardiologie interventionnelle, dont le Dr Gruentzig. « Il exerçait alors à l’hôpital de San Francisco où se pratiquaient deux angioplasties par semaine. A chaque fois que je m‘y rendais, il préparait des séances de travail avec une liste des complications rencontrées. On travaillait ensemble sur les erreurs de pratique, en stimulant l’analyse et la réflexion critique. Il y avait une expérience à partager et un besoin d’apprentissage pour améliorer la prise en charge des patients ». Sans le savoir, le cardiologue mettait déjà en oeuvre les principes de l’andragogie, la pédagogie spécifique à l’adulte, qu’il va plus tard adopter et développer pour édifier sa propre approche de la formation.
Principes fondés sur l’andragogie
L’un des principes fondamentaux de l’andragogie est de placer l’apprenant au centre de l’apprentissage et de l’inciter à devenir acteur de sa formation, en partageant ses expériences. Cette démarche rompt avec l’image du formateur perçu comme maitre du savoir et de la transmission, très ancrée dans le milieu médical, que le Pr Marco n’a jamais valorisée. « D’ailleurs, il ne faut plus utiliser le mot expert dans le cadre de la formation d’un adulte », estime-t-il. « Un expert se positionne comme celui qui sait, celui qui va exposer son savoir, sans s’assurer de la compréhension du message. Il faut plutôt parler de formateur, celui capable de se positionner d’égal à égal par rapport à l’apprenant, pour partager des connaissances et apprendre en mettant en avant ses propres erreurs ».
C’est sur ce principe que le Pr Marco a institué le compagnonnage, devenu incontournable en cardiologie interventionnelle. Un cardiologue souhaitant se spécialiser dans ce type d’intervention doit s’appuyer sur l’expérience d’un confrère, qui deviendra le référent qui va le former à la technique et à la prise en charge des patients, en plaçant les besoins de chacun d’entre eux au coeur de la réflexion. « Le compagnonnage permet de stimuler, de guider et de faciliter la critique, l’objectif étant d’acquérir et de consolider ses connaissances pour pouvoir proposer au patient l’option thérapeutique la plus appropriée ». Selon le cardiologue, ce partage de l’information permet aussi d’être plus clairvoyant dans un milieu à fort potentiel économique où l’industrie exerce une influence non négligeable.
Dévoué, passionné mais aussi très exigeant
Ceux qui ont travaillé avec le Pr Marco ont le souvenir d’un homme dévoué et passionné, qui pouvait aussi se montrer très exigeant, pour ne laisser passer aucune erreur. « En plus d’avoir une forte capacité de travail, le Pr Marco est extrêmement rigoureux et très exigeant envers les autres, comme envers lui-même. Il s’interroge sans cesse, évalue les complications survenant chez les patients avec un haut niveau technique et scientifique, vérifie les dossiers en détail pour s’assurer que le traitement est bien adapté, tout en se montrant toujours persuadé qu’il est possible de faire mieux », a souligné le Pr Didier Carrié, cardiologue interventionnel au CHU de Toulouse, qui a travaillé pendant un an auprès du spécialiste, au milieu des années 1980.
« C’est aussi un leader, un passionné soucieux de bien transmettre, de partager les connaissances et qui sait tirer le meilleur de chacun. Tous ceux qui ont eu la chance de travailler à ses côtés ont eu un beau parcours », poursuit le Pr Carrié. Des mots qui font écho à ceux prononcés par le co-directeur d’EuroPCR, le Dr Jean Fajadet (Unité de cardiologie interventionnelle, Clinique Pasteur, Toulouse), un autre grand nom français de cette discipline, lors de la remise du prix Ethica. Le cardiologue, qui a fait équipe avec le Pr Marco pendant de nombreuses années, a aussi salué l’esprit visionnaire, l’indépendance et le sens de l’éthique de son mentor. « J’ai été impressionné par ta capacité à anticiper ce que sera le futur de la cardiologie et de la formation. J’ai aussi été marqué par ta capacité à nous pousser à nous surpasser, dans une évaluation constante de nos actes, sans jamais te montrer satisfait ».
VITAL pour mieux communiquer
C’est avec le Dr Fajadet que le Pr Marco crée à Toulouse, en 1989, le premier cours en langue anglaise dédié à la pratique de l’angioplastie, alors que les bénéfices thérapeutiques apportés par cette nouvelle discipline sont encore contestés. Malgré tout, le cours, qui applique déjà les principes de l’éducation de l’adulte que le Pr Marco ne cesse de peaufiner au gré de ses recherches, connait un succès grandissant. Ce qui pousse les cardiologues à solliciter Europa Group, un organisme professionnel de congrès, pour en gérer l'organisation. En 1997, devant l’affluence exponentielle, le cours est transféré à Paris et devient EuroPCR.
« Le Pr Marco a toujours été animé par la volonté d’avoir un cours où la notion de partage du savoir est la plus forte possible. Il cherche chaque année à innover sur la manière de transmettre, à améliorer ce qui est déjà en place, en s’entourant de spécialistes maitrisant les techniques théâtrales ou d’universitaires travaillant sur l’art de la communication », souligne Marc Doncieux. La démarche se matérialise entre autre sous la forme d’un laboratoire commun intitulé « RiMeC », dont l’objectif est de « ReInventer le Média Congrès ».
L’intérêt du cardiologue pour les méthodes d’enseignement l’amène à étudier, à adopter et à enseigner des principes basés sur des interactions respectueuses et un partage dénué de jugement. Le Pr Marco développe alors la méthode VITAL (Visionary Transformative Adult Learning), mise en pratique pour le congrès EuroPCR depuis une dizaine d’années. Cette méthode est enseignée aux orateurs pendant un séminaire de trois jours afin de leur transmettre les techniques de communication visant notamment à impliquer davantage le public.
« Il s’agit de former les médecins à devenir formateur. Elle nécessite de sortir de sa zone de confort et du schéma des présentations habituelles, se limitant à une succession de diapositives. On apprend à stimuler une audience à partir de cas concrets, à repérer les plus distraits pour les faire participer, à poser les bonnes questions », explique le Pr Marco. « Le formateur doit amener à s’interroger sur ses besoins et sur les difficultés rencontrées dans sa pratique quotidienne, sur les améliorations et les connaissances à apporter pour y répondre, en partant d’exemples partagés et de son expérience personnelle afin de stimuler l’esprit critique ».
Sessions consacrées aux études cliniques
La mise en pratique de la méthode VITAL s’effectue au cours de sessions interactives ou des retransmissions en direct d’interventions, toujours avec le souci de privilégier la qualité et sans tomber dans le sensationnalisme, précise Marc Doncieux. Quitte à interrompre la retransmission dès que les praticiens rencontrent des difficultés. A partir de 2010, de nombreux cours basés sur le même principe sont également organisés à travers le monde, en tenant compte des particularités et des contraintes locales, contribuant ainsi à faire connaitre l‘engagement du Pr Marco en faveur de la communauté.
A Paris, l’une des sessions qui rencontre le plus de succès est dédiée à l’interprétation des études cliniques. « Dans un monde biaisé, où les congrès sont fréquentés par de nombreux ‘experts’ qui veulent transmettre des infos souvent discutables, il est essentiel pour un médecin d’acquérir les connaissances de base et la méthode scientifique pour comprendre n’importe quelle étude et construire sa propre réflexion, pour ensuite la partager avec ses pairs », précise le Pr Marco. Ce sont d’ailleurs les nombreux participants à l’une des sessions « Clinical Research » qui sont venus, par surprise, le saluer sur la scène de l’amphithéâtre à la fin de la remise du prix, brandissant simultanément avec enthousiasme les pancartes YES/NO utilisées pendant les cours pour répondre aux questions du formateur.
De ce succès, le Pr Marco s’est dit fier, tout en restant très humble quant à sa contribution. Interrogé sur son ressenti après avoir reçu son prix, il a d'abord souligné le parcours exemplaire de son confrère le Dr Fajadet, venu très jeune le solliciter en tant qu’interne pour être formé à la cardiologie interventionnelle et aujourd’hui devenu un spécialiste reconnu. « Je suis également heureux de la reconnaissance exprimée sur tout ce qui a été entrepris. J’aimerais désormais que les principes développés soient davantage diffusés ». Son oeuvre est toutefois loin d’être terminée. « Il faut continuer de réfléchir au présent, avec honnêteté et éthique, en considérant les nombreuses erreurs du passé. C’est ainsi que nous pourrons bâtir le futur de la cardiologie interventionnelle».
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Citer cet article: Pr Jean Marco: l’infatigable pédagogue de la cardiologie interventionnelle - Medscape - 17 juin 2019.
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