Urgences en crise : réactions mitigées aux propositions d’Agnès Buzyn

Stéphanie Lavaud, avec Vincent Richeux

7 juin 2019

Paris, France — En pleine crise des urgences, et alors que les soignants étaient dans la rue à l’appel du Collectif Inter-Urgences, l’intervention de la Ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, lors du congrès Urgences qui se tient en ce moment à Paris, était très attendue. Après avoir témoigné de sa compréhension vis-à-vis de la détresse des personnels des urgences, la ministre a fait un certain nombre de propositions, lesquelles ont reçu un accueil pour le moins partagé [1,2]. De leur côté, les grands représentants du monde de l’urgence, la Présidente de la Société Française de Médecine d'UrgenceAgnès Ricard-Hibon, le Président de Samu-Urgences de France, François Braun et le Président du Conseil National de l’Urgence Hospitalière, Pierre Carli se sont dits plutôt «optimistes» lors de la conférence de presse organisée par la SFMU et SAMU-Urgences de France après l’allocution [3]. En revanche les réactions, recueillies à chaud après le discours, auprès de médecins urgentistes exaspérés et dans l’attente de mesures concrètes susceptibles de transformer leur quotidien à l’hôpital sont, elles, nettement moins enthousiastes, pour ne pas dire totalement désabusées. Quant au Collectif Inter-Urgences, il appelle à la poursuite de la grève !

Compréhension et empathie

Face à un amphi bondé, alors que la colère gronde dans les services d’urgences et dans la rue, la ministre a d’emblée joué le jeu de l’apaisement en faisant preuve de compréhension et d’empathie. « Avant toute chose, j’aimerais vous faire part de mon état d’esprit, parce que j’entends votre colère et à l’évidence je la comprends » a-t-elle démarré. Avant d’ajouter « les urgences sont en détresse, je le sais. Ces difficultés, je ne les regarde pas avec une distance froide de gestionnaire. Ces difficultés, elles suscitent à juste titre l’indignation de nos concitoyens, parce qu’ils connaissent votre engagement. Aux urgences, plus qu’ailleurs, les professionnels sont soumis à une pression très forte ».

Une nouvelle mission

Si Agnès Buzyn dit être consciente du ras-le-bol des personnels des urgences « N’ayons pas peur des mots : le quotidien est devenu insupportable pour beaucoup d’entre vous », il n’est pas sûr que les annonces, au nombre de 5, faites lors de son allocution, réussissent à apaiser les esprits d’autant que la première est la demande d’un rapport confié au Pr Pierre Carli, président du Conseil National de l’Urgence Hospitalière et au député (et urgentiste) Thomas Mesnier (attendu pour novembre 2019) . Bien que la ministre ait demandé « solennellement » que cette mission soit menée « sans tabous, sans réticences et sans fausses pudeurs », difficile de voir dans ce qui pourrait ressembler à un Xième rapport sur le sujet une réponse concrète et immédiate aux attentes de terrain. Même si le Pr Pierre Carli l’assure : « il ne s’agira pas d’un nouveau rapport mais bien d’une feuille de route » où il sera question de la « globalité de la prise en charge », y compris en amont des Urgences.

Lifting des locaux et crédits fléchés

La deuxième annonce, qui concerne la poursuite et l’accélération des travaux de rénovation architecturale des urgences, peut, elle aussi, surprendre même si la ministre l’affirme : « cette mesure est peut-être symbolique mais elle n’a rien de cosmétique : travailler dans des locaux modernes et propres, c’est bien la moindre des choses ». De nouvelles instructions en ce sens seront donc données aux Agences régionales de santé (ARS).

Mesure plus axée sur la surcharge de travail aux Urgences, la ministre annonce des financements en cas de situations exceptionnelles. Il s’agira de crédits spécifiques directement fléchés que les ARS pourront débloquer de façon ponctuelle pour permettre aux établissements de santé concernés de faire face à augmentation très importante de l’activité d’un service d’urgence. « Je souhaite […] que l’on accompagne sur un plan financier, plus directement et plus spontanément, les établissements qui font face à un surcroît d’activité et à des afflux exceptionnels, a déclaré Agnès Buzyn. Sans attendre, chaque ARS devra apporter son soutien aux hôpitaux qui traversent des épisodes de tension. Il faut leur donner les moyens, sans délai, de rétablir des conditions de travail décentes pour les équipes ».

Prime de risque et une prime de collaboration

D’un point de vue plus concret, la prime de risque qui vise à reconnaitre l’exposition des personnels à des conditions de travail difficiles, voire dans certaines situations à des agressions verbales et mêmes physiques – déjà appliquée dans certains types de structures d'accueil, en particulier psychiatriques –,devrait être homogénéisée pour le personnel paramédical. « Une prime modulable existe dans la fonction publique hospitalière pour reconnaître l’exposition des soignants à ce type de risque : il se trouve que cette prime n’est pas portée partout à son juste niveau, et que des inégalités existent entre hôpitaux pour des situations pourtant analogues » a reconnu la ministre.

Mais la vraie surprise vient peut-être de la création de la prime de coopération (qui pourrait être autour de 100 euros, selon le Dr François Braun) pour le personnel paramédical – un corollaire du développement de la délégation de tâches des médecins aux autres personnels soignants. « Mon intention est que chaque soignant ainsi délégué touche, très rapidement, une nouvelle prime, la prime de coopération » a assuré la ministre.

Mesures de nature à redonner de l’espoir

Interrogée en conférence de presse sur l’intervention d’Agnès Buzyn, Agnès Ricard-Hibon a d’abord tenu à préciser que « la ministre est venue, c’est une bonne nouvelle » faisant allusion à un planning chargé de la ministre en plein examen un projet de loi de santé au Sénat et à un contexte « tendu ». La présidente de la SFMU y a vu sa « fidélité et son attachement aux professionnels de l’urgence », évoquant un « signal très fort du ministère ». Selon elle, Agnès Buzyn a annoncé « des mesures concrètes à court, moyen et long terme qui vont dans le bon sens », tout en reconnaissant que « ce n’est pas nouveau » et que les échanges et le travail en commun sont engagés depuis quelques années déjà. « Point important », ajoute-t-elle, la ministre « entend les messages, elle les comprend et les partage » et « les mesures annoncées sont de nature à redonner de l’espoir ».

Mieux rémunérer les paramédicaux et faire gagner du temps médical 

De son côté, le Dr François Braun a considéré au vu des différentes annonces qu’«il serait difficile de ne pas être satisfait » mais maintenant nous allons être extrêmement attentifs à ce que les décisions de la ministre arrivent bien sur le terrain ».

Deux propositions ont retenu l’attention du Président de Samu-Urgences de France : « la prime de risque » à discuter au niveau de chaque établissement, « ce qui est très positif ». Mais il se dit « particulièrement intéressé par la prime de coopération », dont il n’avait pas entendu parler avant. « Donner, un, la possibilité de confier à des collaborateurs paramédicaux formés et, deux, surtout, apporter une rémunération supplémentaire à ces paramédicaux en fonction des coopérations me semble être une piste intéressante et d’avenir. D’une part, « cela rémunère bien mieux les paramédicaux », d’autre part, « cela va nous faire gagner du temps médical ». L’ordre de grandeur pourrait être « aux alentours de 100 euros, en fonction des compétences que l’on va déléguer », en tout cas c’est une annonce « tout-à-fait nouvelle » s’est-il réjoui.

Recentrer la médecine d’urgence sur son cœur de métier 

Interrogé sur la question des effectifs, le Dr Braun a jugé qu’il y a deux façons de l’aborder : « soit on considère, et c’est ce que nous préférons, qu’il faut avant tout recentrer la médecine d’urgence sur son cœur de métier ; c’est-à-dire que les 4 à 5 patients sur 10 qui viennent dans les services d’urgence, alors qu’ils devraient pris en charge ailleurs, doivent être pris en charge ailleurs (par la médecine générale ou par la médecine hospitalière). Si on est dans cette logique, alors les effectifs sont suffisants au jour d’aujourd’hui. Pourquoi a-t-on l’impression qu’ils sont insuffisants ? C’est parce qu’on a doublé notre activité sans doubler les effectifs, mais surtout, on a élargi notre activité à une activité pour laquelle nous ne sommes pas formés [les patients ne relevant pas de l’urgence]; donc recentrons-nous sur notre cœur de métier et les effectifs sont suffisants. En revanche, si on nous dit de continuer à faire tout ce que les autres ne veulent pas faire, alors il faut multiplier par 3 les effectifs. ».

Décevant

Reste à savoir si le mouvement de protestation qui dure et prend de l’ampleur au sein des Urgences va être désamorcé par le discours de la ministre. Aura-t-elle convaincu de patienter ? Rien n’est moins sûr à en croire les remontées du « terrain ».

Les réactions à chaud de deux médecins urgentistes, recueillies à la sortie de l’allocution d’Agnès Buzyn, laissent entrevoir un tout autre ressenti quant à la réception du message de la ministre. Pour l’un d’eux : « C’est très décevant. Elle est venue apaiser les urgentistes avec un discours sans substance. Il n’y a aucune action concrète. Elle espère nous satisfaire avec des primes, mais ce que l’on veut ce sont des effectifs supplémentaires pour prendre en charge correctement nos patients, dans des conditions de sécurité satisfaisante ».

Tandis qu’une autre urgentiste interrogée, elle aussi, lors du congrès SFMU se plaint également du manque d’effectif. « Elle [la ministre] nous demande de patienter encore un an et demi pour voir arriver les nouveaux urgentistes formés dans le cadre du diplôme de médecine d’urgence. Mais, cela ne va rien régler. Beaucoup de ces médecins vont exercer temporairement, comme nous tous ».

« Le problème est sociétal. On paye aujourd’hui les conséquences d’une politique menée il y a plus de dix ans. L’une des solutions serait de réouvrir les hôpitaux de proximité. C’est une erreur monumentale de les avoir fermés. Les médecins généralistes se sentiraient moins seuls, oseraient davantage s’installer dans des zones isolées, ce qui réduirait la pression sur les urgences ».

Explosif

Quant au Collectif Inter-Urgences qui, volontairement, ne fédère que des personnels soignants non-médecins, et manifestait hier dans la rue, sa réponse est claire. Regrettant de n’avoir pas été reçu par la Ministre et ne voyant de réponse à ses demandes, il appelle, sur les réseaux sociaux, à pour suivre le mouvement de grève.

Sur ce dossier qui pourrait bien prendre une dimension explosive pendant la période estivale – habituellement très tendue même en « période normale » –, la ministre est attendue au tournant et en est visiblement consciente : « Je vous donne rendez-vous dans les prochaines semaines pour faire avancer tous nos engagements. Je suis à vos côtés, n’en doutez jamais » a-t-elle déclaré pour clôturer son discours.

A suivre…

 

Crédit photo : compte twitter du Collectif Inter-Urgences

 

 

 

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