Urgences : la grève s’enlise

Philippe Anaton

Auteurs et déclarations

6 juin 2019

Paris, France – Aujourd’hui, jeudi 6 juin sera dédié aux urgences. Car c'est le jour que le collectif inter-urgences a retenu pour organiser sa grande manifestation nationale. C'est aussi ce 6 juin qu'Agnès Buzyn est intervenue lors des journées de la société française de médecine d'urgence (SFMU), en prononçant un discours très suivi. La ministre est revenue sur la crise qui secoue depuis plus de deux mois plusieurs dizaines de SAU en grève. Agnès Buzyn était attendue au tournant, tant il est vrai qu'elle s'est peu exprimée depuis le début de ce conflit social. Sinon pour morigéner les grévistes qui mettaient en danger la santé des patients, ou encore relativiser le nombre de services d'urgences en grève. Les mesures proposées par la ministre ont été accueillies de façon mitigée (Lire Urgences en crise : réactions mitigées aux propositions d’Agnès Buzyn).

82 SAU en grève

Il y a maintenant urgence à dénouer la situation. Selon le collectif inter-urgences, association qui fédère l'ensemble des SAU en grève où siègent également des représentants des syndicats représentatifs (FO, Sud, CGT), 82 SAU sont actuellement en grève sur 500 services d'urgence. Si ce mouvement social a débuté localement, aux urgences de l'hôpital Saint-Antoine, il est désormais national. À l'origine, comme souvent, des agressions de personnel. Les deux syndicats de l'hôpital Saint-Antoine qui ont déclenché le mouvement de grève dénombraient pas moins de cinq agressions contre des personnels soignants aux urgences de Saint-Antoine, depuis le début de l'année 2019. Les revendications des urgentistes en grève portaient donc sur la présence d'un agent de sécurité 24H/24 ainsi que la sécurisation des locaux, mais aussi la titularisation des CDD jour et nuit, le remplacement systématique des congés maternité pour les aides-soignants...

Le 15 avril, une grève nationale aux urgences était déclarée et le 20 mai, on comptabilisait plus de 60 SAU en grève à travers la France. Si le Collectif inter-urgence, volontairement, ne fédère que des personnels soignants non-médecins, les médecins urgentistes ont témoigné leur solidarité vis-à-vis de ce mouvement. Ainsi, le 28 mai, de manière tout à fait symbolique, à l'appel de Samu-Urgences de France, les médecins urgentistes ont débrayé pendant cinq minutes. Trois jours auparavant, le 25 mai, le collectif inter-urgences organisait sa première assemblée générale et décidait de se structurer en association, et la création d'un comité de grève national.

Revendications nationales

Il adoptait également une motion porteuse de nouvelles revendications nationales. Aux demandes d'augmentation salariales (300 euros nets mensuel d'augmentation), les grévistes revendiquent également l'arrêt de la fermeture de lits d'aval, des services d'urgences, y compris la nuit, et des lignes de Smur. Le Collectif réclame aussi la stagiairisation de tous les contrats précaires, une augmentation des effectifs, et l'application du référentiel Samu.

À l'AP-HP, les négociations sont en cours, mais sont loin d'avoir éteint le mouvement social. Le 23 avril, selon un communiqué de l'AP-HP, 61 recrutements supplémentaires ont  été  actés, la  généralisation du taux maximum "travaux dangereux" de 65 euros, et le versement exceptionnel d'une prime d'heures supplémentaires de 250 euros. Une augmentation de 100 euros par mois pourrait également être octroyée dans les SAU de l'AP-HP, en faisant appel aux protocoles de coopération.

Réquisitions de personnel

Ces concessions de la direction n'ont pas eu l'heur de satisfaire les personnels de Lariboisière.  Dans la nuit du 4 juin, la totalité des infirmières et la moitié des aides-soignants des urgences de l'hôpital Lariboisière se sont fait arrêter pour raisons de santé. « S'il n'appartient pas au collectif de se prononcer sur ces mesures, nous ne sommes pas surpris pour autant de voir l'évolution de  la situation. Après deux mois de grève sans aucune réponse du gouvernement, les soignant.e.s sont à bout », témoignait le Collectif Inter-urgences. En cela, ils imitaient l'attitude des personnels soignants de Lons-le-Saulnier (Jura) et de Chalon-sur-Saône qui avaient eux aussi décidé de se mettre en arrêt maladie. Dans ces deux cas, la préfecture a décidé de réquisitionner les personnels, en envoyant la police à leur domicile pour les conduire jusqu'à leur lieu de travail. L'agence régionale de santé Bourgogne Franche-Comté, dans un communiqué, a justifié ces réquisitions de personnel en rappelant que « la déontologie médicale et le sens des responsabilités des professionnels concernés doivent les conduire à placer l’intérêt des patients au-dessus de toute autre considération ». Comme pour répliquer à ces réquisitions le syndicat Jeunes médecins a décidé pour sa part de porter plainte contre X pour mise en danger de la vie d'autrui. « La situation alarmante dans cet hôpital semble cependant encore échapper à la ministre de la santé, Agnès Buzyn, pour qui « la règle dans le monde médical, c'est que quand on fait grève, on met un brassard mais on vient travailler, pour ne pas mettre en danger la vie d'autrui ». Des propos tenus alors même que nos collègues se mobilisent pour une meilleure qualité de soins ! », écrivait le syndicat dans un communiqué. Attitude qu’Agnès Buzyn a  ré-itéré quelques jours plus tard en critiquant les soignants  qui se mettaient en arrêt maladie à Lariboisière. « Ça n'est pas bien », -t-elle affirmé sur les ondes de France Inter le 4 juin, en ajoutant : « Je pense que c'est dévoyer ce qu'est un arrêt maladie ». Parallèlement, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a accusé la médecine de ville, sur RTL le 5 juin, d'être à l'origine de la crise des urgences. « Je comprends ce que vivent aujourd’hui les urgentistes (...) La difficulté de leur métier, l’engagement… Je comprends leur colère et leur désespoir [...] C'est parce que la médecine de ville, libérale, n'est pas au rendez-vous ». Inutile de dire que les propos de ces deux responsables politiques, qui culpabilisent les soignants, a provoqué des remous. La journée du 6 juin - tant la manifestation que le discours d'Agnès Buzyn à la SFMU - est donc décisive pour la suite du mouvement social des urgences. Mais, on peut déjà supputer qu’il ne prendra pas fin aujourd’hui.

Le Cnom prend position

Le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) a également pris position dans le mouvement social des services d’accueil des urgences (SAU). Revenant sur les réquisitions des urgentistes de Lons-le-Saulnier, il prend position et considère que « des réquisitions ou l’aggravation des amplitudes horaires de travail des personnels ne sauraient être une solution à la crise majeure que traversent les services d’urgences des hôpitaux ». Le Cnom appelle « avec gravité, dans le cadre du dialogue social, à l’organisation d’une concertation d’urgence ».

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....