Nouvelle mise en examen de l'anesthésiste de Besançon : 17 autres cas d'empoisonnements suspects

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

6 juin 2019

Besançon, France – Alors qu’un nouveau verdict doit tomber aujourd’hui dans l’affaire de l’infirmier allemand, Niels Högel, à qui l’on impute plus de 200 décès (voir encadré), retour sur l’affaire de l'anesthésiste Frédéric Péchier mis en examen pour 24 empoisonnements présumés, ayant conduit à 9 décès. Une affaire hors norme avec des éléments concordants mais pas de preuve flagrante.

Les éléments l'accablent, mais les preuves flagrantes manquent

A l'issue d'une garde à vue mi-mai, l'anesthésiste Frédéric Péchier a été mis en examen pour « empoisonnement sur personne vulnérable » « avec préméditation ». Décrit par la presse française comme un réanimateur brillant, admiré de ses confrères des deux cliniques de Besançon où il exerçait, il est accusé d'avoir empoisonné 24 patients, venus pour des interventions chirurgicales sans risque, et qui ont fait un ou plusieurs arrêts cardiaques sur la table d'opération. Neuf d'entre eux n'ont pas pu être réanimés. Laissé en liberté sous contrôle judiciaire, le Dr Péchier, qui ne peut plus exercer sa profession, nie être l'auteur de ces empoisonnements présumés. Il encourt une peine de prison à perpétuité. Mais si tous les éléments mis à jour par les enquêteurs l'accablent, les preuves flagrantes manquent. En attendant la décision de la cour d'appel de Besançon qui examinera le 12 juin prochain l'appel du parquet contre la décision de laisser en liberté sous contrôle judiciaire le Dr Frédéric Péchier, retour sur cette affaire hors-norme. 

Mise en examen

En février 2017, l'Agence Régionale de Santé (ARS) de Bourgogne Franche-Comté est saisie par la justice alertée par la direction de la clinique Saint-Vincent à Besançon où deux patients viennent d'être victimes des événements indésirables graves (EIG) au bloc opératoire en moins d'une semaine. Rappelons ici que les accidents d'anesthésie sont très rares en France : 1 mort pour 15 000 patients. L'enquête de l'ARS montre que les deux patients ont reçu doses létales de potassium et d’anesthésiques, et met en lumière d'autres cas d'accidents cardiaques suspects lors d'interventions chirurgicales.

Dès le début du mois de mars 2017, le Dr Frédéric Péchier, responsable du planning des dix anesthésistes de la clinique Saint-Vincent (250 lits), est mis en examen pour sept empoisonnements avec préméditation entre 2008 et 2017, dont deux mortels.

Parallèlement à l'instruction ouverte pour les sept premiers empoisonnements, une enquête préliminaire concernant des dizaines d'autres incidents suspects est ouverte. Menée pendant deux ans, elle vient de conduire à la nouvelle mise en examen du Dr Péchier. Cette fois, la justice le soupçonne de 17 nouveaux cas d'empoisonnements. Ce sont donc en tout 24 empoisonnements, dont neuf mortels, dont est accusé l'ancien anesthésiste-réanimateur, qui a interdiction d'exercer la médecine depuis sa première mise en examen.

24 empoisonnements présumés, 9 décès bien réels et un anesthésiste réputé

Qu'ont en commun les 24 victimes ? Pas grand-chose. Si ce n'est que leurs interventions chirurgicales ne présentaient pas de difficultés particulières. Et qu'elles ont été réalisées soit à la clinique Saint-Vincent, soit à la polyclinique de Franche-Comté pour trois patients.

En étudiant les personnels des deux cliniques et les emplois du temps, les enquêteurs ont croisé le chemin du Dr Péchier, le seul dénominateur commun de tous ces incidents graves.

En conférence de presse, le procureur de la République Etienne Manteaux a expliqué que si l'anesthésiste de 47 ans n'avait jamais été pris sur le fait, il existait un « faisceau d'éléments concordants » contre lui.

Il a détaillé le mode opératoire qui consistait à « polluer les poches de soluté de réhydratation ou des poches de paracétamol avec des anesthésiques locaux ou du potassium ». Etant donné les doses potentiellement létales retrouvées, les enquêteurs ont écarté l'hypothèse de l'accident médical : nul doute pour eux, il s'agit d'actes criminels délibérés.

« Frisson de la réanimation » ? Vengeance ?

Quel est le mobile ? Pourquoi vouloir provoquer artificiellement des arrêts cardiaques ? Dans un premier temps, c'est le « frisson de la réanimation » qui a été privilégié : réanimer un patient en arrêt cardiaque, c'est être le sauveur. En somme, ce serait le syndrome du pompier pyromane.

Mais le parquet semble s'orienter vers une autre piste, celle de la vengeance, dans la mesure où les "événements indésirables graves" (EIG) sont survenus en période de conflits entre le Dr Péchier et ses collègues. Un rapport d'expertise psycho-criminologique a été rédigé par deux psychologues profilers qui n'ont jamais rencontré Frédéric Péchier. Leur rapport qui a été remis à la justice fin avril, avant la deuxième mise en examen accrédite cette thèse.

Après avoir eu accès en exclusivité à ce rapport, L'Est Républicain cite la conclusion de l'expertise clairement en défaveur de Frédéric Péchier : « de nombreux traits de personnalité et événements de vie viennent légitimement alimenter une suspicion quant à son éventuelle culpabilité. ». Reprenant les mots du rapport, le journal de la presse régionale écrit à propos de Frédéric Péchier : « l’empoisonneur mystère, « un criminel averti » dont le mode opératoire révèle « une froideur affective », se nourrissait d’un désir de vengeance à l’égard de ses collègues. « Les anesthésistes et leurs compétences sont perçus comme un danger qu’il faut éliminer […] et les patients sont des victimes utilitaires » ».

Libre sous contrôle judiciaire

Reste qu'à l'issue de son interrogatoire, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de Besançon a décidé de laisser le Dr Péchier en liberté sous contrôle judiciaire, comme il l'est déjà depuis deux ans.

Le parquet, qui demande sa détention provisoire, a fait appel de cette décision. Réponse le 12 juin prochain.

L'ancien anesthésiste, lui, continue de clamer son innocence.

L'infirmier « pompier pyromane » allemand 

Son nom n'est pas connu en France mais il glace outre-Rhin : Niels Högel, déjà condamné à perpétuité pour 6 meurtres en 2015, était infirmier en soins intensifs. Le verdict d'un nouveau procès est attendu ce jeudi 6 juin.

Pendant sa courte carrière, de 1999 à 2005, il a aggravé volontairement l'état de santé de patients en leur administrant des surdoses d'antiarythmiques. Et ce, afin d'exercer ses talents de réanimateur, mais aussi pour tromper l'ennui, semble-t-il. L'infirmier pourrait ainsi avoir tué plus de 200 patients. Le Süddeutsche Zeitung a qualifié cette série de meurtres comme étant « la pire commise en Allemagne par un individu depuis la guerre ».

Ce procès a été aussi une remise en cause des responsabilités au sein des établissements où l'infirmier a pu faire ses expériences mortelles pendant cinq ans. Cinq ans, c'est très long.

 

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