Les jus de fruits, toujours suspectés d’augmenter la mortalité

Claude Leroy

Auteurs et déclarations

4 juin 2019

Atlanta, Etats-Unis --- De nombreuses études ont montré que les boissons sucrées telles les limonades ou le ‘thé glacé’ sont néfastes à la santé. Une étude américaine de cohorte suggère que les jus de fruits sans sucres ajoutés ne vaudraient pas vraiment mieux. Si des réserves importantes peuvent être objectées à cette étude, il n’en reste pas moins qu’elle va dans le sens d’une nocivité plus que suspectée du fructose.

Jus de fruits sans sucres ajoutés : pas forcément plus sains

En mai dernier, le JAMA Network Open a publié en ligne les résultats d’une analyse réalisée par Lindsay Collin (Département d’Epidémiologie de l’Université Emory, à Atlanta) et son équipe sur 13 440 adultes âgés d’au moins 45 ans au départ et inclus dans l’étude REGARDS (Reasons for Geographic and Racial Differences in  Stroke ) [1]. Cette dernière évaluait les facteurs contribuant à accroitre le risque d’AVC chez des adultes recrutés au hasard parmi des blancs non hispaniques vivant dans le Sud-est des Etats-Unis et parmi les Noirs résidants dans le reste du pays. Au sein de cette cohorte, un supplément quotidien de 12 onces (environ 350 ml) de jus de fruits –indépendamment de la consommation éventuelle d’autres boissons sucrées – était associé à 24% d’augmentation du risque de décès toutes causes confondues. Par ailleurs, l’ajout d’une autre boisson sucrée s’est montré associé à 11% d’augmentation de ce risque. Les auteurs plaident donc pour une réduction de la consommation de toute boisson sucrée, y compris les jus de fruits sans sucres ajoutés.

« De nombreuses personnes considèrent les jus de fruits comme un choix plus sain que les boissons artificiellement sucrées, à l’instar des limonades », rappellent Marta Guasch-Ferré et Frank Hu, de l’Ecole de Santé Publique T.H. Chan, à Harvard dans un commentaire acccompagnant l’article [2]. Cependant, ces boissons « contiennent souvent plus de sucre et autant de calories que les limonades. »

Une consommation de boisson sucrée quasi généralisée

Les participants à l’étude REGARDS ont été recrutés entre février 2003 et octobre 2007. Ils ont répondu au questionnaire Block 98, qui porte sur la fréquence des différentes prises alimentaires et plus précisément sur la consommation de 110 aliments au cours de l’année précédente. Les critères d’évaluation étaient la mortalité toutes causes confondues et la mortalité pour cause cardiaque. Les données du suivi ont été collectées jusqu’en 2013 pour l’analyse, qui s’est terminée en 2018. L’âge moyen des participants s’élevait à 63,6 ans (déviation standard : 9,1 ans). Il s’agissait à 59,3% d’hommes, à 68,9% de Blancs et ils étaient majoritairement en surpoids ou obèses (70,6%). Pratiquement chaque participant (97,4%) rapportait consommer l’un ou l’autre type de boisson sucrée, cette consommation constituant en moyenne 8,4% (déviation standard : 8,3%) de la prise calorique quotidienne totale. De ces 8,4%, 4 étaient attribuables aux jus de fruits, le solde correspond à d’autres boissons sucrées.

168 décès de cause cardiovasculaire

Au cours du suivi, 1 000 personnes sont décédées toutes causes confondues, dont 168 de cause cardiovasculaire. En comparaison avec la plus faible consommation de boissons sucrées, définie comme étant inférieure à 5% de la prise calorique totale, le hazard ratio de la mortalité pour cause cardiovasculaire associée à une consommation élevée (plus de 10% de la prise calorique totale) s’élevait à 1,44 (IC 95% : 0,97 – 2,15). Pour la mortalité toutes causes confondues, le hazard ratio s’établissait à 1,14 (IC 95% : 0,97 – 1,33). Ces chiffres ont été calculés après ajustement sur les facteurs socioéconomiques et démographiques ainsi que sur la qualité de l’alimentation et le niveau d’activité physique. Après ajustement supplémentaire sur la prise calorique totale, le HR pour la mortalité cardiovasculaire redescendait légèrement à 1,31 (IC 95% : 0,86 – 2,00).

En considérant la consommation de boissons comme une variable continue, les auteurs notent que tout supplément de 350 ml de boisson sucrée était associé à un HR de 1,15 (IC 95% : 0,97 – 1,37) pour la mortalité cardiovasculaire et à 1,11 (IC 95% : 1,03 – 1,19) pour la mortalité toutes causes confondues. Dans le détail, le HR de la mortalité cardiovasculaire était de 1,11 (IC 95% : 0,90 – 1,39) pour les boissons sucrées en général et à 1,28 (IC 95% : 0,96 – 1,16) pour les jus de fruits. Tandis que celui de la mortalité toutes causes confondues devenait respectivement 1,06 (IC 95% : 0,96 – 1,16) et 1,24 (IC 95% : 1,09 – 1,42).

Une puissance statistique modérée

Si, dans leur analyse statistique, les auteurs ont adopté un p < 0,05, il n’en demeure pas moins que la majorité des intervalles de confiance à 95% débutent sous l’unité et doivent donc nous inciter à la prudence face à la représentativité de l’étude et aux conclusions qui pourraient en être tirées. Les auteurs admettent plusieurs limitations, dont le nombre relativement réduit de décès au cours du suivi relativement bref, le fait de s’être basés sur des questionnaires pour évaluer les prises alimentaires, l’impossibilité de détailler les différents types de boissons sucrées, et l’éventualité de facteurs confondants non mesurés.

D’autres points incitent à la réflexion, dont le nombre élevé de personnes en surpoids ou obèses ou encore le fait que la prise calorique totale était exprimée en grammes et ne précisait pas les principales catégories consommées (protéines, lipides et glucides). Qu’en était-il également de la présence éventuelle d’additifs dans les jus de fruits ? Et quid des conservateurs ? Les auteurs reconnaissent que des études complémentaires, avec des cohortes plus importantes et un suivi plus long, devraient permettre d’y voir plus clair, notamment grâce à une puissance statistique plus marquée. Quoiqu’il en soit, cette étude ne va certainement pas à contre-courant d’une idée qui fait son chemin dans le monde médical : non, la consommation de jus de fruits ne contribue pas nécessairement à une meilleure santé.

Le fructose, alias suspect n°1

Les diabétologues sont nombreux à s’en méfier, et pour cause : le foie, qui est le siège principal du métabolisme du fructose, transforme le fructose notamment en triglycérides, ce qui peut augmenter l’incidence des événements cardiovasculaires et donc la mortalité. L’accumulation de graisse intra-abdominale est également favorisée. A cela s’ajoute encore une augmentation des taux de marqueurs de l’inflammation.

Par ailleurs, induisant pas ou peu de réponse insulinique, la consommation de fructose entraîne peu de sensation de satiété et est donc peu freinée.

Enfin, pour oublier l’idée qu’un jus de fruit d’orange pressée « c’est naturel », on peut rappeler que boire 1 litre de jus est assez simple, mais qu’il en irait tout autrement d’avaler les 20 à 30 oranges (avec les fibres qu’elles contiennent, un bonus préventif contre le cancer colorectal) qui ont été nécessaires pour l’obtenir. Comme quoi la transformation des aliments consiste parfois dans des gestes qu’on pense – à tort – bénins.

Les auteurs de l’étude et Marta Guasch-Ferré n’ont pas déclaré avoir de liens d’intérêt.

Frank Hu a reçu des émoluments divers du National Institutes of Health, de la California Walnut Commission, de Metagenics Inc, de Standard Process et de Diet Quality Photo Navigation sans lien avec l’étude évoquée dans ces lignes.

 

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