Cancers de la prostate et de la vessie : les avancées présentées à l’ASCO 2019

Pr Karim Fizazi, Dr Constance Thibault

Auteurs et déclarations

5 juin 2019

Enregistré le 3 juin 2019, à Chicago, É.-U.

En direct du congrès de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO)Karim Fizazi et Constance Thibault commentent les avancées dans le cancer de la prostate avec les études ARAMIS, ENZAMET et TITAN, et les carcinomes urothéliaux avec les essais CALGB 90601 et EV-201.

TRANSCRIPTION

Constance Thibault — Bonjour, je suis Constance Thibault, oncologue médicale à l’Hôpital Européen Georges Pompidou, à Paris, en direct de Chicago où se déroule le congrès de l’ASCO 2019. Nous allons vous parler des principaux résultats et actualités à rapporter dans les cancers de la prostate et de la vessie avec le Pr Karim Fizazi, de l’Institut Gustave Roussy.

Cancer de la prostate : ARAMIS, ENZAMET et TITAN 

Karim Fizazi — [Dans le cancer de la prostate, il y a eu] essentiellement des données de phase 3 et quelques informations sur des nouvelles cibles. Mais, réellement, pour la pratique ce sont les études de phases 3 qui sont importantes. Il y a eu des phases 3 portant sur le patient métastatique d’emblée et une autre étude de phase 3 portant sur les patients non métastatiques, mais résistants à la castration — il s’agit de l’étude ARAMIS[1] qui comparait le darolutamide à un placebo chez des hommes qui sont en échec, le plus souvent d’un traitement local et d’une hormonothérapie, avec une progression biologique, un PSA qui augmente, mais pas de maladie détectable sur le scanner ou sur la scintigraphie osseuse. L’essai est très positif en faveur du darolutamide — on le savait déjà depuis quelques mois — avec un bénéfice clair sur le critère de jugement principal qui est la survie sans métastases. Les données sont encore immatures pour la survie, mais avec une tendance forte : à trois ans, on a des taux de 73 % et 83 % en faveur du darolutamide. Et surtout, ce qui a été présenté à l’ASCO[1], ce sont les données de qualité de vie, et de manière générale, de PROs, de patient-related outcomes, montrant que la qualité de vie se maintient sous darolutamide, que ce médicament permet également d’éviter la détérioration des symptômes locaux, parce qu’un certain nombre de ces patients ont en fait une rechute locale qui va entraîner des symptômes, des rétentions urinaires, des infections urinaires qui, clairement, sont diminuées avec le darolutamide, avec en plus un profil de tolérance qui est remarquable. En gros, on ne voit pas les effets secondaires que l’on voit avec d’autres médicaments : pas d’excès de chutes ou de factures, pas d’hypertension artérielle, pas de problèmes cognitifs, donc on a un médicament qui, dans l’ensemble, est vraiment très bien toléré. Les choses avancent donc pour ces patients, on a maintenant trois essais qui montrent que très probablement l’utilisation plus précoce de ces médicaments fait la différence.

Constance Thibault — D’accord. C’est très intéressant. Et dans les cancers de la prostate métastatiques, est-ce qu’il y a eu des avancées ?

Karim Fizazi — Deux gros essais qui étaient attendus, qui utilisaient l’un et l’autre un inhibiteur du récepteur des androgènes de nouvelle génération — l’enzalutamide pour l’étude ENZAMET[2], et l’apalutamide pour l’étude TITAN[3] Dans les deux cas, deux essais clairement positifs sur la survie sans progression et sur la survie globale, finalement confirmant ce que l’on savait déjà avec l’abiratérone par LATITUDE et par STAMPEDE, mais avec deux autres médicaments avec des profils de tolérance qui sont, bien sûr, un peu différents, on le sait déjà. Donc cela ne fait que rajouter à l’histoire avec deux informations importantes : la première porte sur les patients qui ont un faible volume ou une faible charge tumorale — dans l’essai STAMPEDE on avait déjà un bénéfice qui avait été montré à l’ESMO pour ces patients avec l’abiratérone, y compris en survie globale. C’est donc confirmé dans les deux essais — TITAN avec l’apalutamide et ENZAMET avec l’enzalutamide. C’est important parce que cela veut dire que même chez ces patients oligométastatiques il faut utiliser, très probablement, l’un de ces médicaments précocement pour pouvoir gagner en survie sans progression et en survie globale. Et puis, on reste un peu sur notre faim : savoir, si jamais on traite un patient, essentiellement un patient qui est très métastatique, par une association hormono-chimiothérapie, est-ce que là il faut rajouter un de ces médicaments ? On ne sait pas trop. Dans TITAN, ces patients étaient rares, seuls 10 % d’entre eux recevaient une hormono-chimiothérapie et c’est très difficile de tirer quoi que ce soit de l’essai tellement le nombre de patients est limité. Dans ENZAMET, avec l’enzalutamide, ces patients étaient plus fréquents — il y avait 500 patients sur les 1100 de l’essai, ce n’est pas la majorité, mais c’est quand même relativement important — et pour ces patients il y a un bénéfice en survie sans progression, mais avec le suivi actuel on ne voit pas de bénéfice, en tout cas significatif en termes de survie globale. Donc cela va être difficile de savoir, dans notre avenir immédiat, ce qu’il faut faire chez ces patients. Alors, soit on fait hormonothérapie + abiratérone ou enzalutamide ou apalutamide – là les choses sont claires, soit on fait hormonothérapie et chimiothérapie, mais faut-il faire les trois ? Pour l’instant on ne le sait pas trop. Peut-être que PEACE-1 répondra à la question et on est à l’heure actuelle en train de modifier le plan statistique de PEACE-1 de manière à se mettre dans la meilleure situation pour pouvoir répondre proprement à la question. Voilà en gros pour la prostate avec une ou deux petites choses sur les nouvelles molécules.

Carcinomes urothéliaux

Karim Fizazi — On ne va peut-être pas parler que de la prostate. Constance, peux-tu nous de la vessie ? On a quand même eu ce matin des nouvelles, en particulier sur des phases 2 et puis une ou deux phases 3. Tu peux nous faire un petit résumé ?

Constance Thibault — Oui. Il y a eu plusieurs communications intéressantes. Je dirais que la première était une étude de phase 3 avec le bévacizumab[4] en association avec la chimiothérapie en première ligne de traitement dans les carcinomes urothéliaux métastatiques qui, finalement, était malheureusement négative. C’était une étude CALGB 90601 (NCT00942331) [4] avec plus de 500 patients inclus et randomisés entre chimio seule ou chimio + le bévacizumab, qui est négative sur son critère de jugement principal qui était la survie globale. Je pense que cette étude devrait exclure, finalement, les antiangiogéniques du panel thérapeutique dans les cancers de la vessie métastatique.

Une autre communication était intéressante, de part en fait la classe thérapeutique : les anticorps conjugués sont finalement des chimiothérapies plus ciblées — parce que c’est vrai que ces dernières années on entendait beaucoup parler à la fois de l’immunothérapie dans les cancers urothéliaux et puis, plus récemment, les thérapies ciblées avec les anti-EGFR — là, finalement, cela remet un peu la chimiothérapie au goût du jour avec, notamment, l’enfortumab, qui est un anticorps conjugué qui va cibler, en fait, la lectine 4 qui se trouve présente principalement sur les cellules tumorales et sur presque toutes les cellules tumorales et qui est conjugué en fait à une chimiothérapie cytotoxique, avec cette fois-ci des résultats qui nous ont été présentés sur la phase 2, qui s’appelle EV-201[5], qui avait inclus plus de 100 patients. C’était des patients quand même assez lourds — la majorité avait des métastases viscérales et ils avaient tous déjà reçu et de la chimiothérapie et de l’immunothérapie — avec, cette fois-ci des taux de réponse objective vraiment intéressants à plus de 40 % et, donc 12 % de réponse complète. C’est quasiment du jamais vu à un stade aussi avancé des carcinomes urothéliaux, donc on a très hâte de voir les résultats de la phase 3 qui est actuellement en cours y compris en France, où certains centres recrutent des malades.

Et puis, l’autre nouveauté qui finalement ne va, pour l’instant, pas changer notre prise en charge, c’est à nouveau l’immunothérapie, mais qui, cette fois-ci, n’est pas donnée en énième ligne, mais plutôt en maintenance. Alors, on dit maintenance parce qu’en fait plus une switch–maintenance parce que c’était évalué dans le cadre d’une phase 2 avec le pembrolizumab, qui était donné en post-chimiothérapie pour les patients qui ne progressaient pas sous ce traitement-là. Les patients étaient donc randomisés, c’était une phase 2 randomisée contre placebo avec une différence significative en termes de PFS, qui était le critère de jugement principal. Les bémols, je dirais, c’est que cela reste quand même une petite étude est que si on compare, par exemple, les données avec la vinflunine, qui a aussi été évaluée en switch-maintenance, on est à peu près dans les mêmes chiffres. Est-ce que cela changera nos traitements dans quelques années ? Je ne suis pas certaine parce que c’est vrai qu’on attend les résultats de l’immunothérapie en première ligne de traitement, que ce soit en monothérapie ou en combo avec la chimio, et que finalement si les études de phase 3 sont positives, est-ce qu’il aura encore une place pour la switch-maintenance après juste de la chimiothérapie ? Peut-être pas. En tout cas, il y a d’autres phases 3 qui sont en cours et qui permettront peut-être, quand même, de répondre à cette question de l’intérêt de la switch-maintenance, et, notamment, l’étude JAVELIN[6] avec l’avélumab, qui a posé aussi cette question. Voilà pour les principales…

Karim Fizazi — Super ! Eh bien, ce n’est pas mal pour un ASCO… avec de bonnes nouvelles. Tu te rends compte ? On a vécu pendant longtemps avec, si on est honnête, finalement une seule ligne de traitement dans le cancer de la vessie, puis on est arrivé au cours des dernières années avec une deuxième ligne, qui est l’immunothérapie, qui comme tu le dis va peut-être passer en première ligne. Et là, il y a une troisième ligne qui apparaît avec des réponses qui sont remarquables. C’est chouette !

Constance Thibault — Oui, oui. Vivement le prochain congrès !

 

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