Enregistré le 3 juin 2019, à Chicago, É.-U.
En direct du congrès de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO) 2019,
Julien Taieb et Cindy Neuzillet commentent les études marquantes dans les cancers pancréatiques (essais APACT et POLO) et colorectaux (études FOxTROT et TRIBE-2).
TRANSCRIPTION
Julien Taieb — Bonjour, bienvenue sur Medscape en direct de l’ASCO, à Chicago, en ce mois de juin 2019. Je suis le professeur Julien Taieb, je travaille l’Hôpital européen Georges Pompidou où je dirige un service de cancérologie digestive et nous allons voir avec le docteur Cindy Neuzillet, qui travaille à l’Institut Curie Saint-Cloud en oncologie digestive, les actualités du côlon et du pancréas.
Cette année, nous avons eu des études importantes dans le pancréas en situation adjuvante et en situation métastatique pour un petit sous-groupe de patients. Est-ce que tu peux nous commenter ton impression sur la combinaison gemcitabine/nab-paclitaxel en situation adjuvante ?
Étude APACT : y-a-t’il encore une place pour le gem/abraxane ?
Cindy Neuzillet — Tout à fait. On a eu les résultats de l’étude APACT (NCT01964430), un essai de phase trois qui était le pendant de l’étude PRODIGE 24 avec le FOLFIRINOX comparé à la gemcitabine présentée à l’ASCO 2018 et qui était positive et avait montré la supériorité du FOLFIRINOX par rapport à la gemcitabine en situation adjuvante. On attendait donc son pendant avec l’association gem/nab-paclitaxel, qui avait montré sa supériorité par rapport à la gemcitabine seule en situation métastatique dans l’étude MPACT (NCT00844649) présentée en 2013. Cette année, on a eu les résultats d’APACT, qui est une étude internationale guidée par les Américains et qui a donc comparé, chez des sujets (866 patients inclus) opérés d’un cancer du pancréas qui n’avaient pas reçu de traitement préopératoire, la gemcitabine ou l’association gem/nab-paclitaxel pour 6 mois ; cette étude avait pour end point principal la survie sans récidive en lecture centralisée : c’est un point qui a suscité pas mal de discussions, puisque cette étude est finalement négative sur son end point principal, mais en lecture par les investigateurs, il y a une différence en survie sans récidive qui ressortait, mais moyennant quoi ces résultats ne permettent pas de valider le gem/nab-paclitaxel.
Julien Taieb — En pratique donc on voit que les résultats sont nettement moins impressionnants que le FOLFIRINOX, alors que gem/abraxane et FOLFIRINOX en situation métastatique ne sont pas extrêmement différents — il n’y a pas actuellement d’études randomisées mais des études croisées. Est-ce que tu penses qu’il y a encore une place possible pour la combinaison gem/abraxane dans le futur, par exemple pour remplacer la gem/cap pour les patients trop fragiles pour recevoir le FOLFIRINOX en situation adjuvante ?
Cindy Neuzillet — C’était le point de vue des investigateurs. Quand ils ont présenté cette étude, ils ont proposé de dire qu’on pourrait le positionner chez les patients intermédiaires, qui ne sont pas « fit » pour le FOLFIRINOX, mais qui pourraient recevoir plus que la gemcitabine, et en particulier s’ils sont R1, ou s’ils ont des ganglions, des facteurs… ces patients-là, dans l’analyse en sous-groupes, semblaient bénéficier un peu plus de l’association gem/nab-paclitaxel. En pratique, on voyait que c’était quand même assez toxique, qu’il y avait pas mal de toxicité de grade 3 et plus chez ces patients-là, donc ce n’est pas sûr que ce soit si bien toléré. Je pense que dans notre pratique, en France — en plus, on n’a pas accès en termes de remboursement au nab-paclitaxel — cela va rester le FOLFIRINOX en standard et, chez les patients qui ne sont pas fit pour le FOLFIRINOX, le gem ou le gem/cap, pour certains patients.
Étude POLO : bénéfice sur la survie sans progression avec le l’olaparib dans le cancer pancréatique métastatique + mutations germinales BRCA
Julien Taieb — En situation métastatique, il y a eu une étude assez originale, puisqu’on a testé les PARP-inhibiteurs en entretien après une chimiothérapie d’induction chez les patients BRCA germinaux mutés [étude POLO NCT02184195 ]. Que peux-tu nous dire des principaux résultats de cette étude, brièvement, avec ton avis d’expert, sans résumer tous les résultats ?
Cindy Neuzillet — C’est sûr que c’était une étude importante, puisqu’elle a quand même fait la plénière — une étude de plénière en pancréas, cela fait longtemps qu’on n’en avait pas eu. Elle a en effet montré qu’en utilisant un inhibiteur de PARP chez des patients qui avaient une maladie contrôlée par le FOLFIRINOX avec au moins 4 mois de chimiothérapie — mais en pratique on a vu qu’il y avait plus d’un tiers des patients qui avaient reçu plus de 6 mois de chimiothérapie — le fait de donner l’olaparib par rapport au placebo permettait d’augmenter la survie sans progression chez ces patients, qui passait de 3,8 à 7,4 mois ; la survie sans progression sous le traitement de maintenance, donc il fallait ajouter à cela, en termes de survie, la chimiothérapie d’induction, donc ce sont des chiffres qui sont impressionnants. On a des durées de réponse qui atteignent 24 mois chez des patients qui reçoivent l’olaparib, donc ce sont vraiment des résultats qui sont pertinents, c’est la première fois qu’on a une étude avec une thérapie ciblée dans le cancer du pancréas qui donne des résultats avec cette ampleur de bénéfice, parce qu’on avait eu l’erlotinib il y a quelques années, mais qui n’était pas du tout de même ampleur. Simplement, ce qu’il faut souligner, c’est que cela concerne uniquement les patients qui ont des mutations germinales de BRCA, qui représentent 4% à 5% des patients avec un cancer du pancréas, et finalement les deux questions qui vont se poser, sont : (1) l’élargissement potentiel aux patients avec des altérations somatiques, mais qui nécessite qu’on fasse des études dédiées pour pouvoir voir si l’olaparib marche aussi bien sur les mutations somatiques… ce qui est le cas pour l’ovaire, mais qui demande à être démontré pour le pancréas. Et (2) : comment va-t-on s’organiser en termes de screening de ces patients pour les anomalies ?
Julien Taieb — Est-ce que tu étais un peu gênée par le fait que la survie globale n’était pas améliorée dans cette étude, alors que les crossover ont pu exister, mais n’ont pas concerné la majorité des malades ?
Cindy Neuzillet — Oui. Il y avait 15 % des patients qui avaient reçu l’olaparib ultérieurement. Après, c’est vrai que les données de survie n’étaient pas matures, il n’y avait que 46 % des données…
Julien Taieb — Donc on attend plus longtemps.
Cindy Neuzillet — Exactement. Je pense qu’il faut attendre plus longtemps avant de pouvoir faire des hypothèses… et avoir les données de seconde ligne, aussi.
Cancer colorectal : les études FOxTROT et TRIBE-2
Julien Taieb — Du côté du cancer colorectal, je voudrais mentionner deux groupes d’études : le premier en adjuvant, avec FOxTROT (NCT00647530), qui est une étude anglaise innovante qui teste une stratégie peropératoire dans le cancer du côlon, comme on le fait dans le cancer de l’estomac, dans le cancer du rectum, dans les métastases hépatiques colorectales en Europe. L’idée est d’envoyer tout de suite la chimiothérapie et d’opérer les gens ensuite. Cette étude est intéressante parce qu’elle montre que la stratégie est faisable, n’est pas trop toxique, que la morbidité et la mortalité postopératoires ne sont pas augmentées, que la chirurgie carcinologique est même améliorée — on a des régressions tumorales plus importantes bien sûr quand on fait un traitement préopératoire que quand on n’en fait pas. Donc tous ces items sont plutôt positifs. Malheureusement, elle est négative pour son critère de jugement principal qui était la survie sans rechute à 2 ans, ou plutôt le nombre d’événements de rechute à 2 ans, qui est quand même amélioré de 14 % à 18 % – pour les patients ayant reçu le préopératoire 14 %, les autres à 18 % – et à long terme on passe de 21 à 27 %. Ce n’est pas significatif, cela va être difficile de changer les pratiques et il y a, à mon avis, une question majeure sur ce sujet que je connais bien, puisque j’ai fait une étude pilote en France sur le même sujet avec le Dr Karoui, PRODIGE 22, c’est comment bien stager les patients qui vont bénéficier d’un traitement. Il ne faut peut-être pas trop traiter de gens avec un stade 1, même si j’ai vu récemment une communication expérimentale sur des stade 1 traités par chimiothérapie qui avait une meilleure survie que des stades 1 non traités par chimiothérapie, dans des pays qui font ça, en Asie. C’était donc la première étude, très intéressante dans le concept, et qui va nécessiter de nouvelles études randomisées pour valider ce concept de périopératoire dans le cancer du côlon non métastatique opérable.
Julien Taieb — Le deuxième groupe d’études s’intéresse aux trichimiothérapies. On a eu l’étude TRIBE-2, qui avait déjà été présentée à l’ESMO 2017, mais qui a été actualisée, qui teste toujours la combinaison du groupe GONO (de Pise) de trichimiothérapie FOLFOXIRI avec du bévacizumab et qui montre, cette fois, en préplanifiant que les gens aient un stop and go avec le FOLFOXIRI (puisque c’est une étude italienne et non pas française) et aussi, quand on progresse sous la première ligne de chimiothérapie par FOLFIRI, on doit faire du FOLFOX, ensuite. Donc tout est prédéterminé et ils montrent que la trichimiothérapie améliore les choses.
Dans cette étude TRIBE 2, contrairement à l’étude TRIBE originale, il y a même une amélioration du taux de résection secondaire et du taux de résection carcinologiquement complète secondaire. Donc ce sont quand même des arguments pour nous apprendre à mieux utiliser cette trichimiothérapie dans le cancer colorectal métastatique chez les gens qui peuvent la supporter. Et on a eu aussi une étude de trichimiothérapie avec des anti-EGFR avec le panitumumab, qui s’appelle VOLFI, qui avait été très critiquée parce qu’elle augmente très nettement le taux de réponse, et c’était une étude plus intéressante que l’autre sur la trichimiothérapie, car elle teste l’addition d’un anti-EGFR à une trichimiothérapie dans les deux bras et non pas l’addition de l’oxaliplatine à un FOLFIRI/bévacizumab ; en fait, dans cette étude, on voit que cela augmentait le taux de réponse, mais pas la PFS. Et là, on a les résultats de survie globale qui ont été communiqués et qui sont augmentés. Donc, comme pour l’étude FIRE-3 avec la bichimiothérapie, on voit qu’ajouter un anti-EGFR augmente le taux de réponse, augmente la survie globale, mais, et on ne sait pas pourquoi, n’augmente pas la survie sans progression. Donc ce sont encore des choses qu’il va nous falloir explorer. Mais je pense que cela valide l’idée que les anti-EGFR ajoutés à une trichimiothérapie améliorent le devenir des patients, puisque c’est la survie globale qui est, quand même, le critère principal pour nous et le taux de réponse, éventuellement, si on veut opérer. Il est vrai que la trichimiothérapie avec les anti-EGFR est plus difficile à passer d’un point de vue de tolérance, mais je pense que cela va devenir une réelle option, aussi, pour les patients sélectionnés.
Cindy Neuzillet — Et pour notre pratique, est-ce qu’on peut utiliser le FOLFIRINOX à la place du FOLFOXIRI ? Parce que ça a été discuté…
Julien Taieb — C’est vrai. Alors, moi je l’utilise, clairement, en pratique quotidienne et je pense que beaucoup de cancérologues français le font, parce que rentrer 50 nouveaux protocoles de chimiothérapie dans notre ordinateur de prescription n’est pas si simple, et ça passe. Et je pense qu’en France on a tous aussi appris à enlever le bolus définitivement, de toute façon, dans ces traitements agressifs de première ligne. Mais je pense que du coup ces deux études vont vraiment nous faire évoluer dans notre pratique de la trichimiothérapie qui n’est prescrite, en France, que chez 15 % des malades en première ligne… ce n’est pas beaucoup. Tu voulais nous dire autre chose ?
Cindy Neuzillet — Non. C’est très complet.
Julien Taieb — Je vous remercie donc de votre attention et à bientôt pour une prochaine édition sur Medscape.
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Citer cet article: Cancer du pancréas et du côlon : 4 études marquantes - Medscape - 13 juin 2019.
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