Cancers gynécologiques : l’actualité ASCO 2019

Pr Jean-Yves Pierga, Dr Alexandra Leary

Auteurs et déclarations

24 juin 2019

Enregistré le 4 juin 2019, à Chicago, É.-U.

Alexandra Leary et Jean-Yves Pierga analysent les résultats des études dans le cancer de l’ovaire (SOLO3, EWOC-1), du sein (MONALEESA-7, IMpassion 130, KRISTINE) et du col de l’utérus (C-145-04) présentées au congrès de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO) 2019.

TRANSCRIPTION

Jean-Yves Pierga — Bonjour. Nous sommes sur Medscape, en direct de l’ASCO 2019, à Chicago. Je suis Jean-Yves Pierga, oncologue médical à l’Institut Curie Paris et Saint-Cloud et je suis avec le Dr Alexandra Leary.

Alexandra Leary — Bonjour, je suis oncologue médical à Gustave Roussy. Et nous sommes là pour discuter en effet des faits marquants de l’ASCO 2019 en ce qui concerne les cancers de l’ovaire et du sein.

Données supplémentaire sur l’olaparib dans le cancer de l’ovaire

Jean-Yves Pierga — Justement, Alexandra, qu’est-ce qui a été particulièrement marquant cette année sur les cancers gynécologiques et, en particulier, les cancers de l’ovaire ?

Alexandra Leary — Un grand thème cette année a été de démontrer la preuve du concept de l’efficacité des inhibiteurs de PARP en traitement. Depuis longtemps, dans les cancers de l’ovaire, on sait que les inhibiteurs de PARP ont un énorme bénéfice en entretien, après une chimiothérapie. Aujourd’hui, on a eu de résultats qui ont démontré aussi leur intérêt en traitement. L’une de ces études, qui était l’étude SOLO3 (NCT02282020), a randomisé des patientes en rechute platine sensible avec une mutation BRCA à un traitement standard par chimiothérapie ou à un traitement par olaparib. Les résultats ont été vraiment très encourageants puisque le taux de réponse avec l’olaparib seul en traitement était de plus de 70 % par rapport à 50 % avec une chimiothérapie. Donc ces résultats de SOLO3 sont venus conforter le bénéfice d’un inhibiteur de PARP en traitement, en tout cas chez les patientes avec une mutation BRCA en rechute sensible.

Jean-Yves Pierga — D’accord. Et c’est uniquement chez les patientes dont la tumeur a été sélectionnée, justement sur ce caractère mutationnel. Par contre, on n’a pas encore de résultats sur d’autres populations qui a priori ne seraient pas censées répondre à ce traitement ?

Alexandra Leary — Et bien si justement. On a aussi une étude [NSGO-AVANOVA2/ENGOT-OV24 (NCT02354131)] qui a posé la même question chez des patientes en rechute platine sensible peu importe le statut de BRCA, et là elles ont été a randomisées à olaparib seul ou à olaparib avec du bévacizumab. À nouveau, on a des résultats extrêmement intéressants parce que sans chimiothérapie chez une population non sélectionnée sur BRCA, le taux de réponse était de 60 % avec une association de thérapies ciblées. Ces résultats sont très encourageants et il faudra vraiment les suivre parce qu’à ESMO cette année, on va voir une grande étude de phase 1 [PAOLA-1 (NCT02477644)], en première ligne, où on va évaluer le bénéfice de l’olaparib et de bévacizumab en entretien, peu importe le statut BRCA, donc vraiment on ouvre le champ des possibilités pour les inhibiteurs de PARP dans le cancer de l’ovaire.

Et dans le cancer du sein, quels ont été les résultats intéressants ?

Cancer du sein : MONALEESA-7 et IMpassion 130

Jean-Yves Pierga — Dans le cancer du sein, ce sont surtout des résultats qui sont des suivis d’études importantes et qui permettent de conforter l’utilisation de stratégies plus récentes. La première étude importante a été sur les résultats en survie globale de l’étude MONALEESA-7 (NCT02278120). Elle posait la question d’un ajout d’un inhibiteur de CDK, le ribociclib, à l’hormonothérapie de première ligne pour des femmes non ménopausées et qui avaient des métastases d’un cancer du sein exprimant les récepteurs hormonaux. Ces patientes recevaient une hormonothérapie basée soit sur un inhibiteur de l’aromatase, soit du tamoxifène, mais toujours sous couvert d’un blocage du cycle par un agoniste de la LHRH. Et elles recevaient en plus, soit le ribociclib, soit un placebo. On connaissait déjà les résultats et ce qu’on retrouve avec cette classe de médicaments montrant un bénéfice sur la survie sans progression de ces patientes — une augmentation de près de 10 mois de cette survie sans progression — mais là, ce qui était particulièrement important, c’était la première fois la démonstration d’un bénéfice significatif en termes de survie globale, avec un recul médian de trois ans dans cette étude. Effectivement, on avait une différence tout à fait significative sur cette analyse intermédiaire. Donc un point important : ce n’est pas l’analyse finale sur la survie globale, mais cela conforte quand même l’intérêt de ces stratégies, en tout cas en première ligne, pour les patients qui sont en récidive métastatique RH positive.

Alexandra Leary — Oui, un bénéfice en termes de survie globale, nous on a du mal à le faire en ovaire, donc je suis tout à fait admirative.

Jean-Yves Pierga — Et c’est effectivement ce point sur la survie globale qui a également été discuté mais par contre sur d’autres stratégies concernant le cancer du sein, il y eu en particulier une étude importante, car elle est la première à montrer un bénéfice de l’immunothérapie avec les inhibiteurs de check-point dans le cancer du sein : il s’agissait de l’étude IMpassion 130 (NCT02425891), qui a déjà été publiée sur sa première analyse, qui comparait une chimiothérapie par du nab-paclitaxel à la même chimiothérapie plus l’addition d’un agent anti PDL-1 qui est l’atézolizumab. Et ces patientes étaient uniquement des patientes ayant un cancer du sein triple négatif métastatique en première ligne de traitement.

Ce qui avait été montré sur la première analyse, c’est qu’il y avait effectivement un bénéfice significatif en termes de survie sans progression, avec une médiane modeste de différence de 2 mois, mais que dans le groupe des patientes qui avaient une expression du marqueur, la cible, qui était PDL-1, sur les cellules immunitaires infiltrant la tumeur, le bénéfice était plus significatif pour ces patientes. Lorsqu’on regardait aussi ce qui se passait pour la survie globale, l’analyse globale n’était pas statistiquement significative en faveur de l’immunothérapie, mais si on regardait dans le sous-groupe spécifiquement des patientes qui avaient une expression de ce marqueur PDL-1, ce qui représente à peu près 40 % de la population, sur la première analyse on observait une différence de 10 mois sur la survie globale. Cette fois-ci, on nous présentait les résultats avec un peu plus de recul sur la survie, cette différence était toujours présente dans ce sous-groupe avec une différence cette fois-ci seulement de 7 mois, mais toute la discussion est que cette analyse sur ce sous-groupe porte en fait sur un sous-groupe défini, peut-être certes à l’avance, mais qui ne devait être analysé que si la survie globale sur l’ensemble de la population était statistiquement significative. Donc c’est un indicateur fort, important, mais qui peut être discuté sur le plan méthodologique et statistique. Il n’empêche qu’avec ces données, qui sont particulièrement importantes et originales, la FDA a donné son approbation pour pouvoir utiliser ce médicament, en première ligne dans les cancers du sein triple négatifs lorsqu’il y a cette expression du marqueur PDL-1. Est-ce que ce sera le cas pour l’Europe ? Là, c’est tout un débat et vraisemblablement on attendra peut-être d’avoir des résultats un peu plus confortés et solides pour le décider.

Justement, en parlant d’immunothérapie, il semblerait qu’il y a eu aussi des choses particulièrement importantes dans les cancers gynécologiques concernant l’immunothérapie ?

Immunothérapie personnalisée dans le cancer du col 

Alexandra Leary — Il y a une petite étude dans les cancers du col que j’ai trouvé intéressante pour au moins un signal : elle s’appelle C-145-04 (NCT03108495) et testait le principe de la thérapie cellulaire dans les cols. Le traitement est assez lourd, parce que c’est un traitement personnalisé d’immunothérapie où le principe repose sur une exérèse chirurgicale d’une métastase chez une patiente avec un cancer du col en rechute. Cette métastase est ensuite envoyée dans un laboratoire stérile et on en extrait les cellules immunitaires, les lymphocytes, spécifiques antitumoraux pour cette patiente. Ces lymphocytes sont ensuite stimulés et augmentés en laboratoire avant d’être reperfusés chez la patiente. Donc c’est vraiment le principe d’une immunothérapie personnalisée, puisque ce sont les lymphocytes de la patiente contre la tumeur de la patiente. Et le taux de réponse était de 45 %, donc encore petite étude, qui est en cours, mais je trouve que c’est un signal intéressant dans une pathologie qu’on sent bien être une bonne candidate pour les immunothérapies, vu que c’est quand même une maladie virale. Je dirais donc : « à suivre ! »

Immunothérapie dans le cancer du sein : étude KRISTINE

Jean-Yves Pierga —  Effectivement, pour le cancer du sein, les autres tentatives d’immunothérapie, pour le moment, ont plutôt montré l’absence de réponse ; il y avait une combinaison d’une chimiothérapie standard avec l’éribuline et pembrolizumab sur une phase 2 randomisée qui n’a pas montré de bénéfice de l’addition de cette immunothérapie, mais si on reprend aussi les immunothérapies passives qu’on connaît, c’est-à-dire les anticorps ciblant spécifiquement une anomalie, en particulier HER2 dans le cancer du sein, il y a eu deux études en situation néoadjuvante qui comparaient un traitement, un anticorps conjugué, le T-DM1 un avec un autre anticorps, le pertuzumab ; donc cette combinaison des deux, contre une chimiothérapie conventionnelle avec, là aussi, deux anticorps, le trastuzumab et le pertuzumab. L’étude qui a le plus été mise en avant est l’étude KRISTINE (PMID:  31157583 ) qui posait cette question et qui montrait qu’effectivement il pouvait y avoir une réponse importante avec juste des anticorps, mais que cette réponse histologique était inférieure à celle obtenue avec la chimiothérapie classique + les anticorps. Ce qui a été présenté, c’était les résultats avec le suivi et qui montraient aussi que la survie sans événement était inférieure dans le bras juste avec les anticorps. Alors c’était un peu un regret, parce qu’effectivement la tolérance est bien meilleure que d’avoir de la chimiothérapie, mais cependant, ce qui était intéressant, c’était de voir que ce qui diminuait la survie sans événement des patientes, c’était les cas où on avait utilisé ce type de traitement très ciblé quand le marquage d’HER2 était hétérogène, donc la tumeur n’était pas complètement amplifiant HER2 et que, probablement, en retirant ces cas, donc en ciblant beaucoup mieux et en sélectionnant mieux la population, peut-être qu’on aurait un bénéfice équivalent à la chimiothérapie. Donc c’est probablement une piste à suivre, et puis viendront probablement d’autres anticorps ciblant HER2, d’autres anticorps conjugués, qui permettront peut-être d’être éventuellement plus efficace.

Alexandra Leary — D’ailleurs, en parlant des biomarqueurs, j’ai une question rapide : tout est dans la sélection des patients. Donc sur l’étude IMpassion, quel était le cut-off pour le PDL-1 ?

Jean-Yves Pierga — Le PDL était de 1 % avec un anticorps bien défini, et effectivement, c’était uniquement sur les cellules immunitaires et non pas les cellules tumorales, donc c’est un point particulier. Et là aussi, on rentre dans toute la question de la standardisation des techniques de marquage, du choix des anticorps, pour pouvoir extrapoler ensuite ces résultats à d’autres études. Et on attend justement pour pouvoir poursuivre sur cette approche d’immunothérapie, les résultats d’autres essais randomisés : IMpassion 131 (NCT03125902) et IMpassion 132 (NCT03371017), qui posent cette question, mais avec un autre standard de chimiothérapie, en particulier le paclitaxel standard et non pas le nab-paclitaxel qui avait été choisi au départ pour ne pas avoir besoin de recourir à des corticoïdes dans le cadre d’une immunothérapie. Donc si cette étude 131 confirme les résultats de la 130, effectivement, il aura là beaucoup plus d’intérêt, je pense, à utiliser ce type de médicaments, mais en sélectionnant probablement la population qui peut en bénéficier.

EWOC-1 : carbo/taxol est supérieur à carbo chez les patientes âgées fragiles avec un cancer de l’ovaire

Alexandra Leary — La dernière étude que j’aurais mentionnée n’est pas de thérapie ciblée, c’est une étude académique, mais qui je pense est importante : EWOC-1 (NCT02001272). Elle posait une question extrêmement pragmatique, mais qui va avoir une application dès demain sur notre pratique courante. C’était une étude qui essayait de déterminer quel était le meilleur protocole de chimiothérapie pour des cancers des patientes avec un cancer de l’ovaire en première ligne, mais âgées et fragiles. Et ça, c’est quelque chose qu’on ne sait pas aujourd’hui : qu’est-ce qu’on doit donner en première ligne ? C’était une étude académique et les patientes étaient évaluées pour leur degré de fragilité. C’était un questionnaire qui a été développé par le GINECO en France (Lyon) pour évaluer la fragilité des patientes avec un cancer de l’ovaire présenté en première ligne et qui combine une évaluation de leur statut nutritionnel, d’une lymphopénie, du degré d’anxiété, de la capacité de faire des tâches quotidiennes. Et une fois qu’ils avaient sélectionné les patientes qui étaient vulnérables, donc qui avaient un score élevé sur ce score, les patientes ont été randomisées à un traitement standard par carbo/taxol toutes les trois semaines, ce qu’on donne à tout le monde, ou plutôt à une chimiothérapie adaptée à une patiente fragile, du carbo AUC 5 mg/mL/min seul, ou l’association carbo et taxol où les deux étaient donnés toutes les semaines, trois semaines sur quatre. Et on avait même un peu peur qu’il faille faire une analyse intérimaire tôt pour bien s’assurer que le bras carbo/taxol toutes les trois semaines n’était pas délétère au niveau toxicité. Eh bien, on a tous été surpris parce qu’en fait l’étude a démontré que le bras carbo seul (1) était plus toxique au niveau de l’anémie et de la thrombopénie et (2) était clairement inférieur en termes d’efficacité avec une PFS de l’ordre de 7 mois avec carbo seul et de plus d’un an avec les associations. Donc clairement, aujourd’hui… il faut qu’on se pose tous la question en pratique : quand on a des patientes fragiles avec un cancer de l’ovaire, mais on veut quand même essayer d’augmenter leur survie, le carbo/taxol est supérieur à carbo et il ne faut plus faire du carbo en monothérapie. C’est un message important.

Jean-Yves Pierga — Oui, tout à fait. Mais je pense que cela fait partie des messages concernant, effectivement, le problème du sous-traitement… des patients âgés. Et si on décide de les traiter, parce que si on trouve qu’ils sont en état de pouvoir recevoir un traitement, probablement qu’il faut, effectivement, donner le traitement… le plus efficace.

En tout cas, Alexandra, merci pour ce point sur les cancers gynécologiques à l’ASCO 2019 et je pense que nous allons conclure cette discussion sur ce point. Je vous remercie pour votre attention.

 

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