Paris, France -- Serait-ce la fin de la polémique ? Les experts en cardiologie interventionnelle de l’EuroPCR se sont prononcés en faveur des ballons actifs au paclitaxel dans le traitement de l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI). Ils estiment qu’ils peuvent être utilisés, tant que des données solides ne viendront pas remettre en cause la sécurité de ces dispositifs médicaux.
Pas de panique mais vigilance de rigueur
« Le groupe PCR considère qu’il n’existe actuellement aucune preuve suffisamment forte pour justifier un changement de pratique », a annoncé, lors du congrès de l’EuroPCR2019 , le DrAlexandra Lansky (Yale School of Medicine, New Haven, Etats-Unis), membre du groupe de travail qui s’est penché sur la question [1]. Cette prise de position s’accompagne toutefois d’un appel à la vigilance.
Dans l’objectif d’avoir de nouvelles données sur la sécurité de ces dispositifs, « le PCR encourage vivement à reprendre les essais randomisés SWEDPAD et BASIL-3 », ajoute la cardiologue. Ceux-ci ont été interrompus après la publication de la méta-analyse, qui a soufflé un petit vent de panique dans le milieu de la cardiologie interventionnelle après avoir rapporté un excès de mortalité chez les patients opérés avec des dispositifs recouverts de paclitaxel.
Interrogé par Medscape édition française, le Pr Didier Carrié (CHU de Toulouse) s’est dit satisfait et en accord avec cette nouvelle prise de position. « Des patients ont été traités par des stents au paclitaxel pendant des années, sans qu’aucun signal inquiétant ne soit rapporté. Il faut continuer à utiliser les ballons au paclitaxel [les stents au paclitaxel ne sont plus utilisés, ndr] ».
Selon le cardiologue, les recommandations du groupe PCR ne viennent pas brouiller les messages de prévention. « Cette méta-analyse manquait de rigueur. Il ne faut pas pour autant baisser la garde. Il s’agit de reprendre les dossiers des patients concernés et d’assurer un suivi très rigoureux, qui a fait défaut dans cette étude. »
Surmortalité de 68% à deux ans
Tout a commencé en décembre dernier, lors de la publication de la méta-analyse de l’équipe du Dr Konstantinos Katsanos (Hôpital universitaire de Patras, Río, Grèce) [2]. Celle-ci porte sur 28 essais randomisés comparant les ballons et les stents actifs au paclitaxel aux autres dispositifs d’endo-revasculariation (ballons non enduits ou stent nus) placés au niveau des artères fémoro-poplitées.
Si aucune différence en termes de mortalité n’a été constatée la première année après l’intervention, les chercheurs ont rapporté un risque de décès majoré de 68% dans le groupe paclitaxel à deux ans dans les 12 études qui ont poursuivi la surveillance. A cinq ans, le risque est quasiment doublé (93%) dans trois études randomisées.
A la suite de ces résultats, les essais BASIL-3 et SWEDPAD, visant à évaluer la revascularisation artérielle des membres inférieurs ont été suspendus. BASIL-3 devait comparer les ballons et stents actifs aux stents nus dans l’ischémie sévère, tandis que SWEDPAD porte sur l’ischémie critique (SWEDPAD1) et la claudication intermittente (SWEDPAD2).
En mars dernier, dans une lettre destinée aux médecins spécialistes des maladies vasculaires périphériques, la Food and Drug Administration(FDA) a demandé de renforcer la surveillance des patients et de déclarer tout effet indésirable observé avec les ballons ou les stents enrobés de paclitaxel. Elle a ensuite exigé des données complémentaires aux fabricants de ces dispositifs.
Patients perdus de vue
Plusieurs sociétés savantes américaines ont depuis changé leurs recommandations concernant l’utilisation des ballons et des stents au paclitaxel dans le traitement de l’AOMI, tout comme la Cardiovascular and Interventional Radiological Society of Europe (CIRSE) qui a également opté pour le principe de précaution en préconisant des options thérapeutiques alternatives pour la majorité des patients.
En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a annoncé, en mars dernier, avoir lancé ses propres investigations, sans forcément prendre de mesures exceptionnelles, ni formuler des recommandations, en dehors du devoir d’information envers les patients.
Au cours de sa présentation, le Dr Lanksky a énuméré plusieurs défauts de la méta-analyse de l’équipe du Dr Katsanos, au niveau notamment de la méthodologie, et qui s’avèrent, selon elle, suffisamment importants pour contester les résultats et leur interprétation. Elle a également cité cinq nouvelles études qui n’ont pas pu confirmer cette surmortalité.
Pour la cardiologue, la quantité limitée de données à long terme représente l’une des principales faiblesses de l’étude. « Sur 28 études, seules trois ont un suivi de trois à cinq ans, avec 163 patients qui constituent moins de 20% de la cohorte initiale. Et, seulement 55% d’entre eux ont reçu un ballon actif. » De plus, près d’un tiers de ces patients auraient été perdus de vue et exclus de l’analyse.
Pas d’effet-dose
Par ailleurs, les chercheurs ont attribué l’excès de mortalité à la toxicité du paclitaxel en évaluant l’exposition moyenne pour chaque étude, « ce qui parait très improbable », a commenté le Dr Lanksky, avant de démontrer, courbes à l’appui, que la pharmacocinétique du paclitaxel, surtout sous sa forme cristalline, est bien trop complexe pour établir un tel lien.
La cardiologue pointe également le manque de rigueur dans l’analyse, en indiquant que toutes les causes de mortalité n’ont pas été explorées. Il en est de même pour les critères habituellement analysés pour évaluer la sécurité de ce type de dispositif à long terme.
Publiée en mars dernier, une nouvelle méta-analyse conduite par le Dr Thomas Albrecht (Hopital Neukölln, Berlin, Allemagne) et son équipe n’a pas révélé de surmortalité à deux ans avec les ballons au paclitaxel dans l’endo-revasculariation des artères fémoro-poplitées [3]. L’analyse a colligé les données de quatre études randomisées contrôlées.
Portant aussi sur quatre études pour un total de 1 800 patients traités, la méta-analyse du Dr Peter Schneider (Université de Californie, San Francisco, Etats-Unis) a également échoué à retrouver un excès de mortalité, cette fois à cinq ans, chez les patients traités par ballon actif au paclitaxel, par rapport aux angioplasties avec ballon non actif [4], même avec les doses les plus élevées.
Bientôt de nouvelles données ?
« Cette méta-analyse indépendante démontre que l’utilisation des ballons recouverts de paclitaxel répond à des critères de sécurité. Il n’y a pas de corrélation entre la dose de paclitaxel délivrée et la mortalité », ont conclu les auteurs de cette méta-analyse, publiée fin janvier.
Le Dr Lansky a également cité une large étude de cohorte comprenant plus de 16 500 patients, qui montre non seulement que les dispositifs imprégnés de paclitaxel se révèlent plus efficaces que ceux qui ne libèrent pas de substance active, mais aussi qu’il n’existe pas de différence de mortalité entre les patients traités [5].
« Au moins quatre analyses et une étude à large échelle ont échoué à reproduire les résultats de la méta-analyse. Il n’y a pas actuellement de preuves suffisamment fortes d’un risque accru de mortalité avec ces dispositifs », a souligné le Dr Lansky.
La cardiologue appelle toutefois à la vigilance. « Bien que les résultats de la méta-analyse ne soient pas concluants, ils ne peuvent pas être ignorés », en raison notamment du manque de données sur la sécurité à long terme.
« Le groupe PCR rappelle la nécessité d’avoir des données plus fiables sur le ballon actif de la part des fabricants. » Ces données devraient être présentées par la FDA en juin.
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Citer cet article: Revascularisation périphérique : les experts d’EuroPCR réhabilitent les ballons au paclitaxel - Medscape - 31 mai 2019.
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