Dr Walid Amara, Dr Pierre Socié

Auteurs et déclarations

3 juin 2019

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Enregistré le 23 mai 2019, à Paris, France

Quels sont les progrès techniques dans le domaine de la rythmologie (ablation, Apple Watch…) et les questions que se posent des jeunes cardiologues qui souhaitent s’orienter vers cette spécialité et pratiquer en centre hospitalier? Le point avec Pierre Socié et Walid Amara, rythmologues et membres du Collège National des Cardiologues des Hôpitaux (CNCH).

TRANSCRIPTION

Walid Amara — Bonjour et bienvenue sur Medscape. Je suis Walid Amara, praticien hospitalier à l’hôpital du Raincy Montfermeil et j’ai le grand plaisir de vous accueillir aujourd’hui avec le Dr Pierre Socié qui exerce à l’hôpital de Chartres et qui est rythmologue.

Nous allons parler d’avenir de la rythmologie, mais d’abord je voudrais faire une petite introduction concernant le partenariat entre le Collège National des Cardiologues des Hôpitaux et Medscape. C’est une vidéo, il y en aura d’autres au cours de l’année, vous verrez sur Medscape une page dédiée à l’ensemble du contenu avec, notamment déjà des cas cliniques, et tout un programme qui va se constituer sur l’année. L’objectif est de vous apporter de la valeur et du contenu utile pour votre pratique. Et j’espère que, notamment, cet entretien du jour vous sera utile. Nous voulions en effet parler d’avenir, et c’est pour cela que j’ai avec moi un jeune rythmologue, Pierre Socié… pour parler d’avenir.

Le développement des techniques d’ablation

Le congrès de la Heart Rhythm Society 2019 (HRS) vient juste de se, il y a des nouvelles recommandations qui sont communes, américaines et européennes, sur la prise en charge des extrasystoles ventriculaires et des tachycardies ventriculaires : c’est une assez bonne image de l’avenir. Quel serait pour toi le message clé et ce que tu en tires ?

Pierre Socié L’ablation ventriculaire a commencé il y a maintenant une soixantaine d’années. C’était le chirurgien au bloc opératoire avec des complications énormes ; 60 ans plus tard on en revient avec des recommandations qui sont quasiment à mettre le traitement médical aux mêmes places que l’ablation pour les ESV [extrasystoles ventriculaires] sur cœur sain ou la TV [tachycardie ventriculaire] sur cœur sain — la cardiopathie ischémique en deuxième ligne — donc il y a vraiment une place de plus en plus grande à l’ablation qui est mise vraiment en complément, voire à supplanter le traitement médical.

Walid Amara — Est-ce que tu penses que finalement ces thérapies ablatives vont vraiment se développer dans les prochaines années ?

Pierre Socié Oui, dans le sens où plus ça va et plus le taux de réussite est élevé pour un taux de complications qui est de plus en plus faible, alors qu’avant c’était un traitement médical qui n’était qu’une escalade avec des effets secondaires, des patients qui devaient s’astreindre à prendre des traitements… donc oui, je pense que cela va se développer de plus en plus.

Walid Amara — Est-ce qu’on peut dire aux cardiologues qu’aujourd’hui on peut proposer une ablation d’extrasystole ventriculaire infundibulaire sur cœur sain (après avoir expliqué au patient) en première intention en alternative au traitement médical ?

Pierre Socié En première intention après la balance bénéfice/risque et sur un patient bien informé, sur une localisation infundibulaire du ventricule droit, en effet, cela pourrait se discuter.

Walid Amara — Et quel est le taux de succès dans ce genre d’ablation ?

Pierre Socié Aux alentours de 80 %. On arrive quasiment au taux pour une FA paroxystique au final.

Walid Amara — Tout cela nécessite beaucoup d’investissements dans les hôpitaux — le système de cartographie, l’expérience des opérateurs… c’est énormément consommateur d’énergie, d’argent et de temps. Comment voyez-vous les choses ?

Pierre Socié En pratique c’est comme toute nouvelle technique : il faut toujours s’appuyer sur un centre qui va être formateur, qui va nous apprendre à le faire. D’un point de vue investissement, en pratique, c’est un système de cartographie qui va être rentabilisé par plusieurs types d’ablations et cela va être noyé par la masse de patients, qui va rentabiliser l’investissement initial.

Walid Amara — Une question revient souvent : les cardiologues voient des Holter, des extrasystoles ventriculaires, ils voient 5000, 10 000, plus d’extrasystoles ventriculaires et tous, se demandent « est-ce qu’on a un seuil dans ce texte ? Y-a-t’il quelque chose à faire ? »

Pierre Socié Il y a un seuil, mais qui n’est pas mis forcément en exergue. Assez facilement, ils vont parler en pourcentage, c’est déjà un mot important, ce n’est pas le nombre d’extrasystoles sur 24 heures qui est important, mais surtout le pourcentage, et ils parlent d’environ 10 % d’ESV sur 24 heures qui pourrait être un seuil assez confortable pour pouvoir proposer un geste d’ablation.

Walid Amara — Finalement 10 % (j’ai déjà fait le calcul) nous amène à pas loin de 10 000 extrasystoles. Sur un rythme entre 60 et 70 par minute, cela donne à peu près une idée sur vos logiciels qui vous donnent des chiffres. Moi, j’aime bien regarder le tracé. Si je vois que le tracé a des ESV bigéminées, je me dis que je risque d’en avoir le jour J. Si ce sont des tracés que je ne vois qu’au Holter, j’ai peut-être manqué de chance et de ne pas les enregistrer le jour où je fais la procédure. Alors, bien sûr on a parlé des ESV, mais le gros qui pousse, on est d’accord, c’est la FA [fibrillation atriale], aujourd’hui, avec de plus en plus d’ablations de FA. Dans mon centre, c’est la seule activité qui progresse avec les ablations d’ESV, mais cela reste encore limité. Est-ce que vous avez le même sentiment ?

Pierre Socié Dans notre centre, on a doublé notre activité sur la FA, sur une activité qui continue à être croissante. Cela continue à prendre de la place avec la charge d’organisation, mais c’est normal… on a de plus en plus une demande … On avait longtemps essayé de traiter les patients avec des médicaments et, malheureusement, vu la différence, une fois de plus, d’efficacité du traitement par ablation contre le traitement médical, c’est vrai qu’on va de plus en plus sur ces techniques.

Walid Amara — Pour ne pas rester que sur l’ablation, on va ouvrir la discussion. Il y a plusieurs actualités. L’une est le monitoring. Au congrès HRS, vous voyiez sur les stands plein de présentations de différents outils qui existent, de moniteurs ECG non invasifs, certains de type grand public, notamment la Apple Watch 4 — vous maintenant avez la fonction ECG que vous pouvez utiliser d’ailleurs en France. Et il y avait, notamment, au congrès de l’ACC, la Apple Heart Study qui a finalement montré que ce n’était pas obligatoirement si intéressant que ça de dépister la FA dans le grand public, puisque sur les 400 000 utilisateurs ils avaient 0,5 % de détection d’irrégularités du rythme — c’était avant la fonction ECG — mais par contre, une fois qu’ils avaient des irrégularités du rythme, ils avaient une valeur prédictive positive qui semblait intéressante, qui n’était pas loin de 80 %. Donc cela veut dire que si tu achètes une Apple Watch ou n’importe quelle montre qui va pouvoir faire de l’ECG, la probabilité que tu enregistres un ECG en FA, parce que tu es jeune, est très faible, mais une fois que tu détectes une irrégularité, tu as de fortes probabilités de détecter quelque chose.

Il y a une étude qui a été présentée à HRS qui est DIGITAL-AF II où ce n’était pas la même philosophie, mais ils utilisaient les capteurs de nos téléphones (puisqu’on peut enregistrer une fréquence cardiaque avec nos téléphones juste avec la lumière comme le fait un saturomètre), et sur 60 000 utilisateurs et 45 000 enregistrements, ils permettaient de montrer que bien sûr la prévalence de la FA était proportionnelle à la population, cela allait vers 10 %, 15 %…

Pierre Socié C’est assez révolutionnaire, c’est génial.

Walid Amara — … on va donc avoir plein de nouveaux outils qui vont arriver.

Conseils aux jeunes aspirants rythmologues

Walid Amara — Tu fais partie des jeunes rythmologue en CH et, finalement, les jeunes ont peur de se lancer, de venir faire de la rythmologie… il y a plusieurs questions qui reviennent fréquemment. Est-ce que tu peux nous en dire un mot ?

Pierre Socié Oui. Classiquement, quand on me propose de faire la rythmologie en CH, en effet une des questions qui reviennent est l’accès à la salle de cathé, puisque mine de rien on a un travail qui est expérience-dépendant, donc il faut, pour être rythmologue, mettre des stimulateurs et ablater, tel quel. Et cet accès en CH n’est historiquement pas très compliqué, assez facilité, et c’est vraiment le cas quel que soit l’âge. C’est un message qui est important : est qu’on n’est pas obligé d’attendre 10 ans avant de pouvoir commencer à s’habiller sur une FA.

Une deuxième peur est que décider d’aller dans un CH veut dire se retrouver isolé, seul. En fait, ce n’est pas vrai : on forme assez rapidement un réseau avec nos collègues rythmologues dans d’autres centres, notamment dans des gros centres. Et cela nous permet de continuer à nous former, à apprendre, et au contraire, on n’est pas isolé et on arrive assez facilement à progresser et à développer de réels partenariats.

Il y a une troisième question qui est assez souvent posée : certes, c’est génial de faire des partenariats et d’envoyer nos patients ailleurs, mais du coup on peut se retrouver frustré, justement, par ne pas s’occuper nous-mêmes de nos patients – quoi qui se passe, il y a un lien qui se crée. Ceci est de plus en plus gommé parce que les grosses structures, que ce soit les CHU, les cliniques etc. sont demandeurs de faire ces partenariats, aussi où le médecin vient sur des vacations, suit son patient et vient faire le geste et continue à apprendre dans ces centres. Donc, au final, qu’est-ce qu’on a ? On n’a que des points positifs sur un centre, sur des centres qui restent avec les points clés des CH que sont une ambiance familiale et avoir un peu de temps, aussi, pour sa propre vie personnelle.

Walid Amara — Aux jeunes qui regardent cette vidéo, je ne peux que les encourager à venir travailler avec nous en CH et à faire de la rythmologie. Quand j’ai commencé, il y a 15 ans, j’ai connu une période formidable où on commençait à mettre les premiers défibrillateurs, la resynchronisation, on inaugurait des activités dans notre centre. Et je vois qu’aujourd’hui je suis en train de vivre ça avec la FA, avec la TV, avec plein de choses, et c’est un domaine qui est en perpétuelle progression.

Je remercie encore Medscape pour le partenariat et à très bientôt sur Medscape.

 

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