Enregistré le 23 mai 2019, à Paris, France
Deux mois après les grandes études parues à l’ACC, de nombreuses interrogations demeurent sur l’évolution des TAVI : qui sont les patients à faible risque? Quid de la durabilité des valves, du valve-in-valve, de la diminution des calibres? Les registres incluent-ils suffisamment de patients de sexe féminin? Jean-Pierre Usdin et Nicole Karam commentent les questions en suspens abordées lors de l’EuroPCR 2019.
TRANSCRIPTION
Dr Jean-Pierre Usdin — Bonjour, je suis le Dr Usdin, cardiologue à Paris. Nous sommes au 30e congrès de l’EuroPCR et je suis heureux d’accueillir le Dr Nicole Karam, praticienne hospitalière et cardiologue interventionnel à l’hôpital Georges Pompidou. Nous allons parler du TAVI, mot qui est entré dans le sens commun actuellement parce et qu’il n’est plus besoin de présenter. La preuve, pas plus tard que la semaine dernière, mon voisin est venu me demander ce que je pensais du TAVI qu’on lui avait conseillé !
Première question pour le Dr Karam : il y a à peine deux mois il y a eu le congrès de l’American College of Cardiology où des études extrêmement importantes ont étaient présentées – qu’y a-t-il de nouveau à proposer deux mois plus tard, à l’EuroPCR ?
Dr Nicole Karam — Bonjour et merci pour l’invitation. De mon point de vue, l’EuroPCR est venu compléter les données qu’on a eues à l’ACC. Comme vous le savez, à l’ACC, il y a quelques mois, il y a eu ces deux grosses études sorties dans le New England Journal of Medicine (NEJM) et qui nous ont mis sur la piste du patient à faible risque. Jusque-là, on essayait d’arriver sur ce chemin, on n’avait pas encore les données d’études randomisées, et là nous avons eu ces deux grosses études qui nous ont maintenant « ouvert » toutes les portes pour dire « ça y est, on va faire du TAVI à tout le monde. » Clairement, c’est sûr que ce n’est pas ce qu’il faut faire, mais la question aujourd’hui est de se dire « OK, faible risque, mais quel âge ? » Est-ce que le faible risque à 90 ans c’est le même que le faible risque de 30 ans ? À quel âge on va se dire « OK, on y va pour le TAVI, on ne va pas faire de la chirurgie. » En fait, le plus important pour essayer de répondre à ces questions, c’est la durabilité de ces valves. Et on n’a pas assez de recul pour la simple raison que les premiers patients qui ont eu l’intervention étaient par définition à haut risque, donc pleins de comorbidités et on les a perdus. Donc on n’a pas pu vérifier si la valve allait durer ou pas. Sans compter que les valves n’arrêtent pas de changer, donc la valve qu’on évalue sur 2005 n’est pas la même que celle que l’on pose aujourd’hui. Cela a toujours été le problème et ici, cette année à l’EuroPCR, il a eu une session hotline qui a été dédiée à la durabilité des valves avec 3 grosses études qui sont sorties :
CHOICE, qui était une étude randomisée, avec des patients d’avant 2010, mais qui ont là atteint cinq ans de suivi. On a donc eu le résultat de leur suivi à 5 ans pour essayer de comprendre quel est le taux de dégénérescence de prothèse, et plus important encore, quel est le taux de réintervention (pour la valve) chez ces patients. En pratique, on était, en fonction du type de la valve – est-ce que c’était une auto-expandable ou une valve qu’on dilate au ballon – dans du 3 % à 4 % quand même, ce qui n’est pas énorme.
Après, il y a eu une autre étude de huit ans, EVOLUT Low Risk trial
Mais il y a eu encore une plus grosse étude canadienne avec 10 ans de suivi, PARTNER 3. C’est la première fois qu’on a vraiment des données aussi importantes. Alors il faut savoir qu’il y a une limite : on a quand même perdu des patients. C’est encore une série d’avant 2011, donc des patients à haut risque, qui sont décédés. Mais chez les patients encore vivants au bout de 10 ans, le taux de réintervention pour cette valve atteignait les 7 %, donc cela reste acceptable. Et concernant la dégénérescence vraiment significative, on était dans des chiffres qui étaient plutôt aux alentours de 10 %, donc pas dans des chiffres effroyables ou inquiétants. Tout en sachant, encore une fois, que ce n’est pas la même valve que l’on pose aujourd’hui et qu’on a perdu beaucoup de patients de vue.
Dr Jean-Pierre Usdin — …Il y a eu une publication dans le NEJM récemment où, justement, une femme — je crois que c’était une femme de 70 ans — a été réopérée par TAVI, c’est assez ordinaire. Le taux de complications est assez faible d’ailleurs, et dans ces deux études, PARTNER 3 et puis l’autre, où on a des accidents vasculaires cérébraux qui sont vraiment à très faible risque, on est très étonné, parce que c’est ce dont on avait peur initialement dans les premiers TAVI qu’on a mis. Et on arrive effectivement, maintenant, à des taux très faibles. Mais il ne faut pas oublier que c’est une intervention qui n’est, quand même, pas du tout banale et il faut être un expert. Et votre modestie, dût-elle en pâtir, je trouve que c’est de la haute performance, parce qu’il faut quand même éviter les fuites paravalvulaires et bien placer la valve, et il y a aussi le problème de l’insertion des pacemakers — ce sont des choses qui sont effectivement extrêmement importantes.
Que vous voyez-vous dans le futur ? Comment peut-on se projeter dans l’avenir avec ces différentes techniques ? Va-t-il y avoir une amélioration en ce qui concerne les cathéters, les valves, etc. ? Comment voyez-vous les choses ?
Dr Nicole Karam — Je suis contente que vous ayez soulevé la question de valve in valve, parce que c’était très amusant cet article du NEJM : c’était une patiente qui était encore jeune… En fait, le valve-in-valve est devenu pour nous quelque chose routinier, on est amené à le faire pour des bioprothèses chirurgicales dégénérées, comme pour des TAVI. En fait, ce qui était amusant dans cet article du NEJM c’est qu’ils disaient « là, elle est encore jeune, donc on va poser le deuxième TAVI » et la question, c’est jusqu’où on va ? En poupées russes, va-t-on au troisième TAVI en valve-in-valve ? Pour le moment, on n’a pas de recul, mais le valve-in-valve est devenu assez régulier pour nous. Pour être honnête, on a presque un meilleur guidage, puisqu’on a la valve devant nous en fluoroscopie. Si on connaît un peu les valves, cela devient presque… je ne dirais pas plus facile, mais un peu quand même.
Après, dans l’avenir, dans l’évolution, c’est sûr que tout le monde s’active pour essayer de diminuer les calibres des valves. Comparativement aux premières valves, où c’était forcément un abord chirurgical, avec des gros calibres pour essayer de rentrer dans l’artère fémorale, aujourd’hui on est à du 14 French, ce qui est vraiment petit, donc on est à moins de 5 mm. En fait, on continue à diminuer : les gens parlent de 10, de 9… donc je pense qu’on ne va pas tarder à arriver à des valves de plus en plus petites et cela va permettre d’élargir encore plus la gamme de patients qu’on peut traiter si j’ose dire, parce qu’il nous reste encore des patients qu’on est obligé de récuser parce que l’artère fémorale est trop petite. C’est vrai qu’on peut utiliser d’autres voies, on peut faire la carotide, la sous-clavière, mais c’est sûr que la fémorale offre le luxe d’être faite sans anesthésie…
Dr Jean-Pierre Usdin — On fait quasiment 90 % de fémorale en France…
Dr Nicole Karam — En France, ce sont à peu près ces chiffres. Si on regarde vers d’autres pays, comme en Allemagne, notamment dans des centres qui n’ont plus d’anesthésiste sur leur TAVI, ils forcent un peu sur la fémorale et là, on peut avoir des chiffres qui atteignent les 97 %. Donc, en fait, le problème pour ces centres pour le refaire et de faire revenir un anesthésiste et un chirurgien et leur dire « maintenant, je veux une carotide ou une transapicale »… cela devient compliqué. Donc les gens ont envie de rester sur la fémorale…
Dr Jean-Pierre Usdin — Où est-on chez les patients qui vont avoir éventuellement une angioplastie coronarienne ? Est-ce qu’on a des valves qui permettent, après ? Est-ce que c’est dans les tuyaux, ces valves qui permettent de faire une angioplastie, après ?
Et la deuxième question est : vous dites qu’on est maintenant de plus en plus sur les artères fémorales très fines — est-ce qu’on va pouvoir effectivement proposer cette intervention aux femmes, qui sont, à mon avis, assez peu représentées dans toutes ces études ? Vous qui êtes une grande spécialiste de la médecine des maladies cardiovasculaires chez la femme, je pense que vous allez pousser…
Dr Nicole Karam — J’avoue qu’en tant qu’intéressées par le sujet des cardiopathies de la femme, nous sommes plutôt contentes de voir que les femmes dans le TAVI sont assez bien représentées comparées à d’autres maladies cardiovasculaires. On a l’habitude, quand il y a des études randomisées ou même des registres, d’avoir très peu de femmes, et en fait, dans les registres de la vie sur le TAVI, on a plus de 50 % de femmes, donc on est contentes, pour une fois on peut comprendre ce qui se passe chez la femme. Dans les études randomisées, il arrive qu’une étude passe ait un peu moins de femmes, mais les chiffres restent très acceptables. Donc pour une fois, on comprend vraiment où se place la femme. C’est sûr qu’on a affaire à des artères un peu plus fines chez les femmes, et bien sûr cette idée de diminuer le calibre des cathéters va permettre d’aller vers cette population, donc je pense que les femmes peuvent effectivement bénéficier de cette amélioration.
Dr Jean-Pierre Usdin — Et pour les coronaires ?
Dr Nicole Karam — Pour les coronaires, c’est vrai que quand on est amené à le faire — on a tous dilaté un patient en passant à travers son TAVI — c’est compliqué, cela dépend du type de la valve, du type de la prothèse ; il y en a qui sont plus grandes que d’autres et donc qui viennent plus devant les artères coronaires ; il y en a qui sont plus courtes, cela devient plus facile. Mais je pense que c’est une des questions qui se posent, aussi quand on se dit qu’on va commencer à mettre des TAVI à 50 ans parce qu’on se dit « si le patient fait un infarctus dans 10 ans, qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je peux repasser ? » Et c’est un des problèmes. Après, quand on veut, on n’y arrive, encore une fois, mais en fonction du type de valves…
Dr Jean-Pierre Usdin — Il faut être plutôt habile quand même en tout cas.
Dr Nicole Karam — Il faut être plutôt habile, exactement.
Dr Jean-Pierre Usdin — D’accord. Je pense qu’on arrive à la fin de ce résumé, qui est trop bref. En tout cas, je voudrais citer une phrase que j’ai vue dans un éditorial de Catherine Otto, qui est chirurgienne, cardiologue à Seattle : « il ne s’agit pas de remplacer une valve défaillante par une prothèse imparfaite. » Donc je vous remercie beaucoup, Dr Karam, de nous avoir accordé cet entretien.
Dr Nicole Karam — Merci.
Citer cet article: Évolution des TAVI : de nombreuses questions en suspens - Medscape - 28 mai 2019.
Commenter