Les Gilets jaunes sont-ils fichés par les hôpitaux ?

Véronique Hunsiger

14 mai 2019

Paris,France -- Une centaine de médecins ont signé une tribune sur le site web de l’hebdomadaire L’Express afin d’appeler au boycott du fichier SI-VIC pour les blessés lors des manifestations de « Gilets jaunes » [1]. Le ministère de la santé récuse toute volonté de fichage.

Les médecins se mobilisent contre le fichage

Publiée sur le site de L’Express, le 8 mai dernier, une tribune invitant à « un devoir de désobéissance éthique » signée par cent médecins, hospitaliers et libéraux, témoigne de l’émotion et de l’incompréhension d’une partie de la profession face au recours au dispositif SI-VIC (système d’information pour les victimes) – normalement réservé aux « situations sanitaires exceptionnelles » – lors des samedis de manifestations des Gilets jaunes.

« Nous refusons le fichage des Gilets jaunes blessés arrivant aux urgences, écrivent les signataires. De même que nous nous opposons à tout autre fichage des patients sans leur consentement, visant à une transmission des données en dehors de l’hôpital à des fins autres que médicales ». Parmi eux, des anciens députés médecins comme Gérard Bapt et Bernard Debré, des représentants de sociétés savantes comme Pierre-Louis Druais (Collège de la médecine générale) ou Philippe Deruelle (Collège national des gynécologues et obstétriciens français), des syndicalistes comme Jean-Paul Hamon (Fédération des médecins de France), Philippe Cuq (Union des chirurgiens de France), Jérôme Marty (Union Française pour une médecine libre), Patrick Pelloux (Association des médecins urgentistes de France), des médecins exerçant à l’AP-HP comme Guy Coichard Christian et Christophe Trivalle, tous deux membres de la commission médicale d’établissement (CME) ainsi que des généralistes assidus des réseaux sociaux comme Christian Lehmann, Jean-Jacques Fraslin ou « Jaddo ».

Le Ministère de la santé réfute

Au lendemain de la publication de ce texte, la Direction générale de la santé (DGS) a rappelé que « le système SI-VIC ne comporte aucune information à caractère médical, aucune donnée discriminante, ni données autres que celles strictement nécessaires à l’identification des victimes ». La ministre a, par ailleurs, « condamné fermement les éventuelles utilisations abusives ou inappropriées de ce système ». Au micro de France Info, vendredi dernier, Agnès Buzyn a encore affirmé que « la police ou la justice n’ont pas accès à ce système d’information ». En effet, le dispositif ne doit contenir que des « données relatives à l’identité de la personne, son parcours au sein de l’établissement de soins et le cas échéant la personne à contacter, précise la DGS. Ces données sont accessibles uniquement aux acteurs de santé impliqués dans la gestion de l’événement et, en cas d’attaque terroriste, à la Cellule interministériel d’aide aux victimes ».

L'AP-HP se défend de ficher les patients Gilets jaunes…

L’utilisation de SI-VIC avait déjà suscité des interrogations, au-delà des seuls médecins. Fin avril, la fédération des associations de patients, France assos santé, avait demandé « des explications aux pouvoirs publics » suite aux premières révélations du Canard Enchainé sur l’utilisation de SI-VIC pendant les mouvements sociaux, s’inquiétant « des risques d’instrumentalisation des services hospitaliers à des fins de fichage politique, faisant fi de la protection des données ». France assos santé s’étonnait notamment des « contradictions multiples de la parole publique ».

En effet, l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) avait publié le 20 avril un communiqué de « mise au point sur un prétendu fichage des patients », soulignant que SI-VIC est déclenché à la demande de l’Agence régionale de santé (ARS) et que les informations qui y figurent « ne comportent pas de données médicales, c’est-à-dire aucune donnée sur la nature des blessures prises en charge ». A cette date, plusieurs centaines de blessés avaient été pris en charge, depuis le mois de novembre, dans les hôpitaux de l’AP-HP, les hôpitaux d’instruction des armées et les hôpitaux généraux proches.

…mais reconnait des erreurs dans l’utilisation des fichiers

Quatre jours plus tard, la direction de l’AP-HP reconnaissait néanmoins avoir identifié des « cas d’utilisations inappropriées ». « A la suite des investigations conduites pour vérifier certains éléments parus dans la presse, il apparaît que les onglets de commentaire de l’application ont pu être utilisés pour mentionner des éléments de nature médicale, écrit alors l’AP-HP dans un autre communiqué. Cette pratique n’a été identifiée que de façon marginale ». Quelques jours après, un troisième communiqué indiquait que des commentaires surprenants qui avaient été rapportés dans la presse du type « tatouage tempe gauche » ou « homme black lunettes rouges » ne correspondaient pas à des cas réels mais à des « avatars avec des identités fictives » créés par « un stagiaire » dans le cadre d’une formation. L’enquête diligentée par l’ARS et l’AP-HP visant à rechercher d’autres dysfonctionnements est toujours en cours.

A noter que si la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) avait effectivement donné son accord, en juillet 2016, à l’utilisation du dispositif SI-VIC, elle l’avait accordé à condition que les établissements de santé informent les patients et leurs proches et remettent un document d’informations aux personnes recensées dans le fichier [2]. C’est sans doute la raison pour laquelle le Conseil national de l’Ordre des médecins, après avoir interrogé la DGS, a également saisi la CNIL dès la mi-avril afin de « recueillir son avis sur l’extension du système SI-VIC, qu’elle avait autorisé pour faire face à des situations sanitaires exceptionnelles, dans un contexte qui paraît être bien différent ».

 

 

 

 

 

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