AINS : l’ANSM alerte sur un risque de complications infectieuses graves

Aude Lecrubier

19 avril 2019

Saint-Denis, France -- Une enquête demandée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) confirme que les AINS peuvent avoir un rôle aggravant en cas d’infection.

Dans un communiqué, l’agence du médicament alerte sur un risque de « complications infectieuses graves […] à l’origine d’hospitalisations, de séquelles voire de décès » [1].

Pour rappel, les RCP des AINS possédant une indication dans la fièvre et/ou la douleur non rhumatologique chez adulte et chez enfant ont été modifiées en 2016 afin d’y intégrer le risque de complications bactériennes sévères en particulier cutanées, des tissus mous ou pulmonaires.

La nouvelle enquête a été demandée suite au signalement de deux cas d’empyème cérébral chez des adolescents de 13 et 15 ans ayant pris de l’ibuprofène pour une otite moyenne aigue et une sinusite en février 2018.

Elle a pour but « de construire un signal qui sera évalué dans le cadre européen, avant d'envisager les mesures nationales possibles, en lien avec l'ensemble des acteurs concernés », indiquent les rapporteurs.

L’enquête, qui a porté sur les deux AINS les plus utilisés, l’ibuprofène et le kétoprofène, a été confiée en juin 2018 aux centres régionaux de pharmacovigilance de Tours et Marseille.

L’objectif était de déterminer si ces complications infectieuses graves étaient favorisées par la prise de l’AINS ou si elles traduisaient l’évolution de la pathologie infectieuse initiale.

Un risque de « complications infectieuses graves […] à l’origine d’hospitalisations, de séquelles voire de décès ANSM

 

Des complications infectieuses à l’origine d’hospitalisations, de séquelles et de décès

Il en résulte que sur l’ensemble des cas rapportés depuis l’année 2000 dans la base nationale de pharmacovigilance (BNPV) mais aussi via Eudravigilance et Vigilyze, 337 cas de complications infectieuses avec l’ibuprofène et 49 cas avec le kétoprofène ont été retenus après avoir pris en compte uniquement les cas les plus graves chez des enfants ou des adultes (souvent jeunes) sans facteur de risque ni comorbidité.

Il s’agit d’infections sévères de la peau et des tissus mous (dermohypodermites, fasciites nécrosantes,…), de sepsis, d’infections pleuro-pulmonaires (pneumonies compliquées d’abcès, de pleurésie), d’infections neurologiques (empyèmes, abcès cérébraux,…) ou ORL compliquées (cellulites, médiastinites,...), à l’origine d’hospitalisations, de séquelles voire de décès.

L’ANSM précise que ces complications infectieuses (essentiellement à Streptocoque ou à Pneumocoque) ont été observées après de très courtes durée de traitement (2 à 3 jours), y compris lorsque la prise d’AINS était associée à une antibiothérapie.

« L’analyse de ces cas ainsi que l’analyse des données de la littérature (études expérimentales et études de pharmaco-épidémiologie), suggère que ces infections, en particulier à Streptocoque, pourraient être aggravées par la prise de ces AINS », indique l’ANSM.

L’ANSM a partagé ces résultats avec ses homologues européens afin qu’une analyse collective soit engagée.

En attendant, l’agence a rappelé qu’il fallait privilégier l’utilisation du paracétamol en cas de douleur et/ou de fièvre, notamment dans un contexte d’infection courante comme une angine, une rhinopharyngite, une otite, une toux, une infection pulmonaire, une lésion cutanée ou la varicelle, en particulier en automédication.

Elle a, par ailleurs, déploré l’utilisation encore trop fréquente des AINS en cas de varicelle.

L’ANSM a partagé ces résultats avec ses homologues européens afin qu’une analyse collective soit engagée.

Les résultats détaillés de l’étude

L’analyse des narratifs des 844 cas (639 ibuprofène et 205 kétoprofène) de l’enquête a permis de mettre en évidence plusieurs types d’infections sévères.

Des pleuro-pneumopathies graves

Les auteurs ont dénombré 124 cas de pleuro-pneumopathies graves (113 ibuprofène et 11 kétoprofène), pour la moitié chez des enfants (30% de nourrissons), ou adultes jeunes (âge médian 37ans) sans facteur de risque, après une courte durée de traitement (respectivement 4 j et 2 j).

Le motif de prise ou de prescription était, dans la moitié des cas, une symptomatologie pulmonaire fébrile (toux, dyspnée). Une antibiothérapie était associée à l’AINS dans environ 1/3 des cas. Le germe le plus souvent en cause étant le pneumocoque, et le taux de décès était de 3%.

Des infections graves de la peau et des tissus mous

En parallèle, 158 cas d’infections graves de la peau et des tissus mous (131 ibuprofène et 27 kétoprofène), dont 121 dermohypodermites nécrosantes (cellulites) et 35 fasciites nécrosantes (FN) ont été répertoriées. Et ce pour moitié chez des enfants (34% de nourrissons) et des adultes jeunes (âge médian 46 ans), après une courte durée de traitement (3 j).

Le motif de traitement le plus fréquent chez l’enfant était la varicelle (>50% dont 8 après 2004) ou une réaction locale et chez l’adulte des douleurs dentaires ou une réaction locale.

Une antibiothérapie était associée à l’AINS dans 16% des cellulites et aucun des cas de FN, le germe en cause est le streptocoque pyogenes (78%) en cas de FN (rarement connu en cas de cellulite).

Les taux de décès et de séquelles étaient de 20% et de 41%, respectivement, en cas de FN (6% de décès et 6% de séquelles pour les cellulites), dont 1 décès et 5 séquelles en pédiatrie (dont 5 varicelles).

Des sepsis sévères

Les auteurs ont recueilli les signalements de 44 cas de sepsis sévères (38 ibuprofène et 6 kétoprofène).

« Il s’agit de tableaux cliniques gravissimes, dont certains sont des syndromes de choc toxique, toujours de survenue très aiguë, après un début d’infection relativement banal survenant pour moitié chez des enfants souvent jeunes (36% de nourrissons), et des adultes également jeunes (âge médian 53 ans pour ibuprofène et 39 ans pour le kétoprofène), après une courte durée de traitement (médiane 2 jours) », indique l’enquête.

Le motif de traitement le plus fréquent chez l’enfant était la varicelle (33%), la fièvre ou une pathologie ORL et chez l’adulte, une pathologie ORL, une toux fébrile ou un syndrome grippal.

Une antibiothérapie étant associée à l’AINS dans 15% des cas.

Le germe en cause était le streptocoque pyogenes dans plus de la moitié des cas et le taux de décès élevé (51% dont 65% à streptocoque pyogenes), y compris en pédiatrie (47%), un tiers des décès pédiatriques faisant suite à une prescription pour varicelle.

Complications infectieuses graves à distance du site d’une infection ORL

35 cas de complications infectieuses graves à distance du site de l’infection ORL (34 ibuprofène et 1 kétoprofène) ont été observés. Il s’agit de mastoïdites, d’ethmoïdites, de sepsis compliquant une angine, de syndrome de Lemierre et de médiastinites, pour lesquels 2/3 sont des enfants, souvent jeunes (30% de nourrissons), et un tiers des adultes, également jeunes (âge médian 31 ans), après une courte durée de traitement (médiane 3 jours).

Les motifs de prise ou de prescription étaient l’otite moyenne aiguë, les pharyngites, dysphagies fébriles et angines.

Une antibiothérapie était associée dans environ 1/3 des cas. Le germe en cause était le streptocoque pyogenes dans 42% des cas et le taux de décès de 12%.

Infections graves du SNC

Enfin, 27 cas d’infection grave du SNC (23 ibuprofène et 4 kétoprofène) ont été signalées.

Il s’agit de 15 cas d’empyème cérébral sous ou extradural, de 9 méningites ou meningo-encéphalites bactériennes et de 3 abcès cérébraux, la moitié étant des enfants (souvent > 2 ans), après une durée médiane de traitement de 5 jours.

Les empyèmes survenaient plutôt chez les enfants (75%), étaient plus souvent dus au Streptocoque.

L’ibuprofène était pris ou prescrit pour des céphalées dans le cadre d’une sinusite (pansinusite ou ethmoïdite) ou d’une otite moyenne aiguë et un antibiotique était associé dans 30% des cas.

Les méningites bactériennes sont survenues plutôt chez des adultes (75%), étaient plus souvent dues au Pneumocoque.

L’ibuprofène était pris ou prescrit pour une otite 4 moyenne aiguë ou des céphalées. Un antibiotique était associé dans la moitié des cas. Un quart des patients sont décédés ou ont eu des séquelles.

 

Rappel des règles du bon usage des AINS en cas de douleur et/ou fièvre

-Prescrire et utiliser les AINS à la dose minimale efficace, pendant la durée la plus courte ;

-Arrêter le traitement dès la disparition des symptômes ;

-Eviter les AINS en cas de varicelle

-Ne pas prolonger le traitement au-delà de 3 jours en cas de fièvre

-Ne pas prolonger le traitement au-delà de 5 jours en cas de douleur

-Ne pas prendre deux médicaments AINS en même temps

 

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