Paris, France — Comment expliquer la hausse des cas de cancer du pancréas, qui ont doublé en France en quelques années ? Si une étude prospective [1], dont les résultats ont été présentés lors des Journées Francophones d'Hépato-gastroentérologie et d'Oncologie Digestive (JFHOD 2019), a pu confirmer l’impact du tabagisme, de l’obésité, du diabète et même du groupe sanguin, les soupçons portent essentiellement sur la qualité de l’alimentation.
« Pour avoir un aperçu de la progression du cancer du pancréas, il faut savoir qu’on comptait, en 2006, 6 000 nouveaux cas en France. Six ans plus tard, on en a recensé 12 000 », a souligné le Pr Vinciane Rebours (Hôpital Beaujon, AP-HP, Clichy), lors d’une conférence de presse. Selon les estimations, l’incidence devrait encore doubler d’ici 2030.
Deuxième cause de mortalité par cancer
Cette évolution est d’autant préoccupante que l’adénocarcinome pancréatique reste un cancer difficile à traiter. « Tous les essais menés avec des immunothérapies s’avèrent négatifs », a précisé la gastro-entérologue. Il est, par conséquent, associé à une mortalité élevée. « Il s’agit désormais de la deuxième cause de mortalité par cancer après le cancer du poumon. »
Le tabagisme, le surpoids ou l’obésité, ainsi que les prédispositions génétiques sont les facteurs de risque actuellement validés. Pour identifier de nouveaux facteurs, le Dr Anne-Laure Vedie (Hôpital Beaujon, AP-HP, Clichy) et son équipe ont mené une étude prospective à partir de la cohorte française E3N (Etude épidémiologique auprès des femmes de la Mutuelle générale de l’éducation nationale), qui a inclus près de 100 000 femmes.
« L’influence de certains facteurs sur le risque de cancer du pancréas est encore débattue », a expliqué le Dr Vedie, au cours de sa présentation. « C’est le cas notamment de l’alcool, de l’infection par Helicobacter pylori, de la parodontite associée à une pullulation microbienne stomacale ou du régime riche en protéine alimentaire. »
A l’inverse, « il existerait un effet protecteur avec la consommation de fruits et légumes dans le cadre d’un régime méditerranéen, la pratique d’une activité physique, les hormones chez les femmes et certains médicaments comme la metformine ou les statines, à travers un effet sur l’insulino-résistance ».
Epidémie d’obésité et produits transformés
Pour expliquer la hausse de l’incidence de cancer du pancréas, observée dans l’ensemble des pays industrialisés, l’évolution du tabagisme chez les femmes, davantage concernées par ce cancer, est l’une des pistes envisagées. Une piste écartée en France puisque la proportion de femmes fumeuses, proche des 30%, n’a pas beaucoup évolué depuis les années 1980, a indiqué le Pr Rebours.
En revanche, l’augmentation de l’obésité et du diabète semble être une hypothèse plus sérieuse. « On note que cette majoration de l’incidence du cancer a commencé dans les années 2000. Etant donné qu’il faut 15 à 20 ans d’exposition à un facteur pour percevoir les répercussions, il faut probablement rechercher un facteur de risque apparu dans les années 1980 ». Or, cette période a été marquée par un changement majeur dans les habitudes alimentaires.
Selon le Pr Rebours, « cette épidémie d’obésité, associée à la hausse du diabète, peut expliquer en partie seulement la hausse des cas de cancer du pancréas. On peut aussi envisager l’impact d’une toxicité provenant des aliments consommés, à travers des produits contenant des édulcorants, des sucres raffinés, en général des aliments transformés, connus pour favoriser de nombreux cancers. »
Les pesticides sont également pointés du doigt. « Des clusters avec des pics d’incidence du cancer du pancréas ont été observés en France dans les zones viticoles », où ces traitements sont largement utilisés. Des recherches épidémiologiques sont en cours dans ces régions pour caractériser un éventuel sur-risque associé aux pesticides.
Le tabagisme passif impliqué
Dans leur étude visant à trouver de nouveaux facteurs de risque pour expliquer cette hausse des cas de cancer du pancréas, le Dr Vedie et ses collègues se sont appuyés sur les données de la cohorte française E3N, qui a inclus en 1990 près de 100 000 femmes volontaires nées entre 1925 et 1950, en majorité des enseignantes.
Tous les deux à trois ans, ces femmes sont interrogées sur leur mode de vie et leur état de santé. Les auto-questionnaires portent notamment sur le mode de vie, le régime alimentaire ou sur des paramètres médicaux et socio-économiques.
Entre 1990 et 2012, 334 femmes ont développé un cancer du pancréas. Les résultats de l’analyse ont permis de confirmer le sur-risque associé au tabagisme, les femmes fumeuses ayant un risque accru de 69% de développer un cancer du pancréas (RR=1,69, IC à 95%, [1,22-2,33]).
L’étude montre également que le tabagisme passif augmente les risques, lorsqu’il survient à l’âge adulte (RR=1,26, IC à 95%, [1,01-1,58]), mais aussi pendant l’enfance, le sur-risque lié au tabagisme passif étant même, dans ce cas, plus élevé (RR=1,61, IC à 95%, [1,21-2,13]).
« Notre étude permet de valider le rôle du tabagisme passif à l’âge adulte comme facteur de risque de cancer du pancréas, mais aussi de manière plus surprenante, celui du tabagisme passif pendant l’enfance, ce qui est davantage controversé dans la littérature », a souligné le Dr Vedie.
Le diabète, facteur de risque majeur
Si l’étude ne permet pas vraiment d’identifier de nouveaux facteurs, elle confirme l’influence notable du diabète, qui semble avoir un impact majeur, le risque d’avoir un cancer du pancréas étant alors plus que doublé (RR=2,28, IC à 95%, [1,52-3,41]), tandis que l’obésité (IMC≥30) induit un risque multiplié par 67% (RR=1,67, IC à 95%, [1,15-2,42]).
Par ailleurs, les chercheurs ont observé que les femmes appartenant au groupe sanguin A et encore plus celles du groupe sanguin AB ont un risque accru d’avoir ce type de cancer (respectivement 36% et 70% de risque en plus), qui persiste après ajustement sur l’indice de masse corporelle (IMC), le diabète ou le tabagisme. En revanche, le groupe B ne semble pas associé à un sur-risque.
« Ce risque lié au groupe sanguin a déjà été rapporté dans la littérature », a précisé le Dr Vedie. « On sait que les antigènes déterminant les groupes sanguins présents à la surface des globules rouges se retrouvent également sur les cellules digestives, en particulier sur les cellules pancréatiques ». La présence de ces antigènes aurait un effet protecteur pour ces cellules.
« Cette cohorte a permis de valider les facteurs de risque habituels du cancer et d’avoir davantage d’arguments pour affirmer que le tabagisme passif a probablement un impact sur la survenue du cancer du pancréas. Elle confirme aussi qu’il existe un sur-risque indépendant lié au groupe sanguin A et AB, du moins chez les femmes », a résumé l’intervenante.
En revanche, les chercheurs n’ont pas observé de corrélation entre le risque de cancer du pancréas et l’explosion hormonale exogène ou endogène, l’activité physique ou le régime méditerranéen.
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Citer cet article: Incidence du cancer du pancréas en hausse: tabac, diabète et obésité en cause - Medscape - 23 avr 2019.
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