Téléconsultations : un développement à deux vitesses (Assurance Maladie versus mutuelles)

Véronique Hunsinger

17 avril 2019

France -- Difficile de dire aujourd’hui qui, du lièvre ou de la tortue, gagnera la course aux téléconsultations. D’un côté, l’Assurance Maladie rembourse depuis le 15 septembre dernier ces actes de la même manière que les consultations de visu, dans des conditions strictes et dans le respect du parcours de soins. De l’autre, les assureurs complémentaires et diverses plateformes proposent ce service dans un cadre moins régulé, au risque d’entretenir une certaine confusion dans l’esprit des patients. Point d’étape et considérations éthiques et financières à l’occasion d’un bilan de 6 mois de téléconsultations dressés par la Caisse nationale d’Assurance Maladie (CNAM).

Montée en charge progressive

Craignant une explosion des dépenses, la CNAM s’était montrée d’une grande prudence au cours des négociations sur la télémédecine avec les syndicats de médecins libéraux, lesquelles avaient abouti à la signature de l’avenant n°6 de la convention. Fin mars, elle a tiré un bilan des six premiers mois de téléconsultations. Entre le 15 septembre 2018 et le 17 mars 2019, l’Assurance a remboursé 7939 actes de téléconsultation. En comparant ce nombre avec le gros milliard d’actes médicaux réalisés chaque année, il apparaît clairement comme une goutte d’eau dans l’océan des consultations réalisées. Cependant, « ce bilan reflète [aussi] une montée en charge progressive, qui s’est accélérée depuis le début de l’année 2019 », souligne la CNAM. « En effet, si le nombre moyen d’actes se situait en dessous de 200 actes par semaine en 2018 (hors celle de Noël), il franchit désormais la barre des 700 actes hebdomadaires depuis la mi-février ». Ce sont les médecins généralistes libéraux qui pratiquent le plus de téléconsultations (40% des actes), suivis des autres spécialistes (32%) et des centres de santé (20%). Le reste des actes est le fait des établissements de santé dans le cadre de leurs consultations externes, ce qui peut paraître étonnant puisque les premières expérimentations de téléconsultation étaient plutôt menées dans le cadre hospitalier.

Pharmacien.ne.s et infirmier.e.s s’y mettent aussi

On rappelle que cette téléconsultation est très cadrée : elle doit être réalisée par vidéotransmission, et les patients doivent déjà être connus du médecin afin qu’« il dispose des informations nécessaires à un suivi de qualité ». En pratique, au moins une consultation physique doit avoir été tenue au cours des douze mois précédant la téléconsultation. Le nombre d’actes pourrait cependant croitre dans les prochains mois, car de nouveaux professionnels de la santé vont entrer dans la danse. Ainsi, en décembre dernier, les pharmaciens ont à leur tour signé un avenant de leur convention, avenant qui portait sur la télémédecine. Il prévoit que les officines devront, « pour organiser des téléconsultations, disposer d’un espace permettant de préserver la confidentialité des échanges ». Le rôle du pharmacien en tant qu’accompagnant de la téléconsultation sera rémunéré par un forfait annuel. Quant aux infirmières et infirmiers libéraux, ils ont pu signer fin mars un avenant de leur convention, qui leur autorise le remboursement d’un nouvel acte d’accompagnement du patient à la téléconsultation, en lien avec le médecin traitant et à partir de janvier prochain.

Entre facilité et bon suivi médical

Dans tous les cas, l’idée de l’Assurance Maladie est que les téléconsultations ne doivent pas faire sortir les patients des clous du parcours de soins. Son directeur avait réagi à l’automne dernier, alors que les publicités pour les plateformes de téléconsultation se faisaient de plus en plus offensives : « ces plateformes commerciales de téléconsultations en ligne font croire que celles-ci vont être prises en charge par l’Assurance Maladie », avait ainsi dénoncé Nicolas Revel lors de l’Université d’été de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). « Il est important de porter ce que nous avons voulu construire dans le cadre conventionnel, car un patient qui consulte des médecins qu’il n’a jamais vus, c’est de la mauvaise médecine ».

Des expérimentations sont néanmoins en cours dans l’Aube, l’Isère et la Manche pour que des « organisations territoriales de médecins » (des maisons de santé pluridisciplinaires, des équipes de soins primaires ou des communautés professionnelles territoriales de santé) puissent organiser des téléconsultations en dehors du parcours de soins, en cas d’indisponibilité du médecin traitant, ou encore en cas d’urgence médicale. En effet, les plateformes utilisent le principe d'exception d'« absence de médecin traitant » pour que leurs téléconsultations puissent être remboursées. Ce qui énerve les syndicats de médecins au point que pour Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF), l’avenant sur la télémédecine doit être « réécrit ». « Les anesthésistes, par exemple, n’ont pas besoin de consultations présentielles dans le cadre pré-anesthésique, et la télémédecine pourrait alors faciliter la vie des personnes âgées ou à mobilité réduite », explique-t-il. « Mais ce cas particulier ne doit pas faire généraliser les consultations non présentielles, sous peine de désintégration définitive du parcours de soins ».

En expansion depuis 4 ans déjà

C’est en 2015 que l’assureur Axa a proposé pour la première fois à ses clients un accès à une plateforme de téléconsultation 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 au départ, dans un souci affirmé de « dépannage », la prise en charge de la téléconsultation étant comprise dans les garanties offertes par la compagnie à ses assurés. Environ 15 000 téléconsultations sont réalisées chaque année dans ce cadre. La plupart des mutuelles se sont ensuite également engouffrées dans la brèche au cours des années qui ont suivi. Actuellement, au moins 20 millions d’assurés y ont potentiellement accès. L’année dernière, le groupe mutualiste VYV a racheté la plateforme de téléconsultation Mesdocteurs, visant les 2 millions de téléconsultations en 2020 grâce à un réseau de 300 médecins généralistes et spécialistes. Et depuis l’entrée en vigueur de l’avenant à la convention médicale, de nouveaux acteurs sont arrivés sur le marché français, à l’instar de la plateforme suédoise Livi.

Une uberisation programmée ?

En janvier, le site de prise de RDV en ligne Doctolib a également déployé un outil vidéo permettant aux médecins de dialoguer avec leurs patients, d’obtenir un télépaiement et d’envoyer l’ordonnance par mail, le tout moyennant un abonnement de 79 euros par mois. Dans ce cas, les téléconsultations sont remboursées.

Plus récemment encore, la start-up Medadom, qui proposait déjà via son site et son application de mettre en relation les patients avec des généralistes, infirmiers ou kinésithérapeutes pour une visite à domicile, a lancé son système de téléconsultation.  « Par ce biais, les patients obtiennent une réponse médicale dans un délai compatible avec leur état de santé, et nous répondons ainsi à la très grande majorité des demandes de soins, même en désert médical », fait valoir Nathaniel Bern, cofondateur de Medadom.

En fin d’année dernière, l’Ordre des médecins avait mis en garde contre cette « uberisation » de la médecine qui « porte en elle un risque fondamental d’atteinte au principe de la solidarité, sur lequel est fondé notre système de soins ».

 

 

 

 

 

 

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