Paris, France--« En quoi l’obésité de l’enfant diffère-t-elle de l’obésité de l’adulte ? ». Elles n’ont rien à voir, a répondu le Pr Patrick Tounian, chef du service nutrition et gastroentérologie pédiatriques de l’hôpital Trousseau, le 23 mars dernier, lors une session consacrée au sujet aux Journées Francophones d'Hépato-gastroentérologie et d'Oncologie Digestive (JFHOD 2019)[] 1] (Lire L'enfant obèse n'est pas un adulte obèse en petit).
Lors de son intervention, le spécialiste de l’obésité infantile a rappelé que le rôle de la génétique était beaucoup plus prépondérant dans l’obésité infantile que dans l’obésité adulte[1].
Il a par ailleurs indiqué que : « la précocité et l’efficacité de la prise en charge de l’obésité de l’enfant n’ont pas d’influence sur le devenir pondéral ou le risque cardiovasculaire à l’âge adulte ». Un constat qui s'appuie notamment sur une étude réalisée dans son service hospitalier qui a montré que la prise en charge de l’obésité infantile influençait peu l’évolution pondérale onze ans plus tard [2]. Il appelle donc à mettre le holà aux discours culpabilisants envers les enfants en surpoids ou obèses.

Dr Véronique Nègre
La prise en charge de l’obésité infantile sans intérêt ? Ce n’est pas l’avis du Dr Véronique Nègre , présidente de l’Association pour la Prise en charge et la prévention de l’Obésité en Pédiatrie (APOP) et pédiatre au CHU de Nice. Interview.
Medscape édition française : L’obésité qui survient pendant l’enfance ou l’adolescence est-elle réellement différente de celle de l’adulte ?
Dr Véronique Nègre : Oui. Nous sommes d'accord sur le caractère spécifique de l'obésité pédiatrique par rapport à celle de l'adulte. L’obésité qui commence pendant l’enfance n’est pas la même que celle qui débute à l’âge adulte. Il y a un rôle important de la prédisposition génétique dans l’enfance.
Nous sommes aussi d’accord sur la nécessité absolue de ne pas culpabiliser les familles, ni mettre au régime les jeunes enfants (ni les plus âgés d'ailleurs). Les recommandations de la Haute Autorité de Santé de 2011, auxquelles j’ai participé, indiquent clairement qu’il ne faut pas faire de régime et qu’il n’y a pas d’aliments interdits.
Cette crainte du Pr Tounian est légitime parce que l’on voit bien qu’il est difficile de sortir cette idée de la tête des gens. Il y a parfois des réactions excessives des parents, des restrictions, plus souvent envers les petites filles. Le fait de dire à une petite fille : « attention ne mange pas ça, ça va te faire grossir », diaboliser les aliments ou parler en permanence des calories est une catastrophe…. Il a été montré que ce type de messages est lié à un risque de surpoids ultérieur.
Partagez-vous le point de vue selon lequel la prévention et la prise en charge de l’obésité infantile sont inefficaces en raison de la part prépondérante des prédispositions génétiques chez l'enfant ?
Dr Nègre : Nous ne sommes absolument pas d’accord sur ce point. On peut influer sur l’évolution de la courbe de corpulence. La prise de poids excessive est très précoce. Elle survient souvent entre 3 et 6 ans et nous pensons qu'il faut intervenir dès que possible [2].
Nous avons montré, en particulier au travers du travail qui se fait dans les Réseaux de Prévention et de Prise en charge de l'Obésité Pédiatrique (Réppop) [3] que la prise en charge précoce, pluridisciplinaire et de proximité, par des professionnels formés, dans une démarche d’éducation thérapeutique, sans stigmatiser l'enfant au sein de la famille est efficace sur le coup et à distance de l'intervention (voir encadré en fin d'article).
Par ailleurs, les résultats d'autres travaux, notamment de la vaste étude randomisée contrôlée Icaps (Intervention auprès des collégiens centrée sur l’activité physique et la sédentarité) [4] réalisée auprès de collégiens sans surpoids dans le Bas-Rhin vont dans le même sens.
Dans cette étude, des collèges témoins ont été comparés à des collèges où a été proposée une activité physique facile d’accès en plus des cours classiques d’EPS.
Au bout de 4 ans, la différence de prévalence du surpoids est très nette (4,2% versus 9,8%, différence d'IMC = 0,3 kg/m2 (p=0,05)). Il y a donc un levier d’action autour de l’environnement, et notamment l’activité physique, pour prévenir le surpoids à l'adolescence.
Pourtant le Pr Tounian fait référence à une étude qui ne montre pas de changement très important sur la courbe de poids à long terme chez 174 enfants obèses pris en charge à l’hôpital, dans son service. Comment l’expliquez-vous ?
Dr Nègre : Cela ne me surprend pas. Nous savons que le suivi hospitalier ne marche pas. Ce qui est efficace, c’est la prise en charge de proximité où le médecin traitant et les professionnels de proximité sont impliqués.
Il dit aussi que les complications liées à l'obésité infantile sont rares...
Dr Nègre : Le Pr Tounian indique que les complications restent rares mais nous savons qu’elles se mettent en place très tôt. Les enfants ne développent pas de diabète à un âge pédiatrique mais j’en vois qui ont un diabète à 17 ans. Les stigmates de pré-diabète, nous les observons très tôt.
L'un de ses arguments pour dire que l'obésité infantile est peu liée à l'environnement est qu'elle s'est stabilisée depuis les années 2000 dans les pays développés alors que celle de l'adulte continue d'augmenter. Qu'en pensez-vous ?
Dr Nègre : Cette stabilisation est aussi observée chez l’adulte et elle n’est pas stabilisée au même niveau dans des pays développés qui sont pourtant proches génétiquement.
En France, nous nous situons autour de 17-18 % de surpoids mais en Grèce, le taux est de 30 %, et il est presque 30 % en Angleterre. Nous sommes proches au niveau génétique, pourtant il y a de grandes différences, ce qui suggère un rôle de l'environnement.
En parallèle, dans les pays en voie de développement, nous assistons toujours à une explosion des chiffres, à des taux bien plus élevés que partout. Je veux bien imaginer qu’il y ait une part de génétique mais il est indéniable qu'il s'agit de pays qui sont très vite passés d’une alimentation culturelle, ancestrale au modèle américain. Nous ne pouvons pas dédouaner complètement l’environnement. Dans 90 % des cas, je dirais que l'obésité infantile est liée a des prédispositions génétiques couplées à un environnement favorisant.
En pratique, comment travaillez-vous avec les familles d'enfants qui ont des problèmes d'obésité ?
Dr Nègre : Il est important de faire comprendre aux parents le degré de prédisposition génétique de leur enfant et de leur expliquer les leviers qu'ils ont en main.
Il ne s’agit pas forcément de leviers liés au contenu de l’assiette parce que le contenu de l’assiette d’un enfant obèse n'a pas à être différent de celui d’un enfant mince.
Les campagnes du PNNS sur l’amélioration de l’équilibre alimentaire sont valables pour tout le monde.
Il ne faut pas mettre l’enfant au régime, l’empêcher de manger ce qu’il aime. En revanche, nous allons conseiller aux parents d’améliorer le contenu de l’assiette de toute la famille que l’enfant soit en surpoids ou pas.
Nous allons conseiller à l’ensemble de la famille de bouger davantage. Il s'agit d'une dynamique familiale de bonne santé pour tout le monde.
Nous ne focalisons pas les difficultés sur l’enfant obèse.
Ensuite, pour l’enfant obèse en particulier, nous allons essayer de comprendre le pourquoi de cette obésité avec la famille. Il s’agit souvent d’enfants qui, du fait de leur prédisposition génétique, ont un appétit au-delà de leurs besoins. L’enjeu de l’accompagnement est d’aider les parents à comprendre ce qui se passe et de leur donner la force de ne pas priver l’enfant mais de lui montrer que les quantités sont très importantes afin d'arriver à les limiter. On peut vraiment aider sans être délétère.
Réseaux de Prévention et de Prise en charge de l'Obésité Pédiatrique : une stratégie efficace
Les Réseaux de Prévention et de Prise en charge de l'Obésité Pédiatrique
(RéPPOP) proposent une prise en charge de l'obésité infantile de 2 ans, multidisciplinaire et de proximité, basée sur un suivi régulier coordonné par un médecin généraliste ou pédiatre avec d'autres professionnels de santé (diététicien, psychologue, enseignant en activité physique adaptée …). Cette prise en charge est-elle efficace ?
Une étude menée par Véronique Nègre et présentée lors du congrès de l'Association Française d'Etude et de Recherche sur l'Obésité (AFERO) fin 2018, montre un réel bénéfice pour les patients [5].
L'étude a consisté à évaluer l'impact du travail de l’ensemble des 9 Réppop existant en France sur la corpulence de 6 947 enfants d'âge moyen 10,5 ans ± 3 ans. L'évaluation a été réalisée à la fin des 2 ans de prise en charge et plusieurs années après.
Il en ressort qu'entre le début et la fin de la prise en charge (13,5 [8,1] mois en moyenne), 72,9% des enfants ont diminué leur corpulence (Δ Z score IMC moyen = - 0,30 ± 0,6 DS).
Aussi, à distance de la prise en charge, soit environ 5 ans après le début de l'étude, selon les 4 thèses analysées (nombre d’enfants inclus de 44 à 151, 55,6 à 64,7% de filles), le Δ Z score était de -0,31 ± 0,9 DS, -0,42 ± 0,8DS, -0,49 ±0,9DS ou -0,63 ± 0,8 DS.
« La prise en charge de l’obésité pédiatrique multidisciplinaire et de proximité proposée par les Réppop conduit à une amélioration significative de la corpulence de l’enfant et, encore plus intéressant, cette amélioration de la corpulence se poursuit à distance de la prise en charge », concluent les auteurs.
Le Dr Véronique Nègre n’a pas de liens d’intérêt en rapport avec le sujet.
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Citer cet article: Obésité infantile : les interventions de proximité sont un succès - Medscape - 12 avr 2019.
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