Paris, France Paris, France — En quoi l’obésité de l’enfant diffère-t-elle de l’obésité de l’adulte ? Si l’alimentation est en cause dans les deux cas, « le rôle de la génétique est beaucoup plus prépondérant dans l’obésité infantile », a souligné le PrPatrick Tounian (Hôpital Trousseau, AP-HP, Paris), lors des Journées Francophones d'Hépato-gastroentérologie et d'Oncologie Digestive (JFHOD 2019 ) [1].
« La majorité des enfants et des adolescents obèses le restent à l’âge adulte, tandis que près de 80% des adultes qui deviennent obèses ne l’étaient pas pendant l’enfance », a précisé le Pr Tounian. Un constat qui suggère l’implication inégale, selon l’âge, des facteurs génétiques et environnementaux dans l’évolution de la charge pondérale [2].
Pour le pédiatre, si l'apprentissage d'une bonne hygiène alimentaire reste essentiel, les messages de prévention et les injonctions à adopter une meilleure alimentation ne vont pas empêcher les enfants prédisposés de devenir obèses. Ils sont peu efficaces pour résoudre un problème de surcharge pondérale pendant l'enfance.
Un point de vue loin d’être partagé par tous les spécialistes de l’obésité infantile. Lire : Obésité infantile : les interventions de proximité sont un succès.
En revanche, si la position du Pr Tounian sur la prise en charge de l'obésité infantile fait polémique, il a fortement insisté sur une notion beaucoup plus consensuelle : la nécessité de changer de regard sur l’obésité infantile pour mettre fin aux discours culpabilisants, qui ont des effets plus néfastes, selon lui, sur l’enfant, que l’excès de poids en lui-même.
Basculement à neuf ans
De nombreux travaux ont été menés pour évaluer l’influence de la génétique dans le développement de l’obésité. Récemment, une étude internationale s’est faite remarquer par sa large cohorte de près de 88 000 paires de jumeaux dizygotes et monozygotes, constituée pour évaluer l’impact des facteurs génétiques et environnementaux sur l’évolution pondérale de 0 à 20 ans [2].
« Les résultats montrent que l’environnement partagé, c’est à dire l’impact de la famille sur le comportement de l’enfant, a bien un léger effet sur le poids pendant les premières années de vie. Mais, à partir de 9 ans, on peut considérer que les parents n’ont plus d’influence sur le changement de poids de leur entant », a commenté le Pr Tounian.
En ce qui concerne les facteurs environnementaux globaux, qui incluent les facteurs socio-culturels, économiques ou les comportements alimentaires, « accusés en permanence d’être en cause dans l’obésité de l’enfant », leur influence est « quasi-nulle à partir de 9 ans ». Le poids évolue alors « presque indépendamment de l’environnement ».
Les auteurs ont ensuite mené une autre étude sur plus de 140 000 paires de jumeaux adultes de plus de 20 ans [3]. « On constate que l’influence des facteurs génétiques prédomine tout au long de la vie. Nous sommes bien inégaux dans la prise de poids. Mais, cette influence diminue avec l’âge: plus on vieillit, plus on est sensible aux excès alimentaires. »
Des traitements pour compenser la génétique?
Les recherches en génétique de l’obésité ont identifié plusieurs gènes impliqués notamment dans le contrôle de la sensation de faim ou de satiété au niveau de l’hypothalamus, via la leptine. Cette hormone induit une chaine de réactions, qui peut être altérée par de nombreuses mutations.
De récentes données ont révélé l’intérêt du setmélanotide, un agoniste du récepteur de type 4 de la mélanocortine (MC4R) intervenant à la fin de ces réactions, chez les patients ayant un déficit de récepteurs de la leptine, identifié comme étant la cause d’une obésité sévère [4]. Une patiente de 21 ans prise en charge au service de l’hôpital Trousseau a ainsi perdu 51 kg en 42 semaines, a précisé le Pr Tounian. « L’effet est comparable à celui de la chirurgie bariatrique ».
« On peut ainsi envisager de compenser les défauts génétiques situés en amont de l’activation de MC4R », selon le spécialiste. « Je suis persuadé que ces traitements sont l’avenir de la prise en charge de l’obésité précoce ».
Prévalence de l’obésité infantile stabilisée
Autre élément suggérant que l’obésité de l’enfant est majoritairement d’origine génétique : « il n’y a pas d’épidémie d’obésité chez l’enfant », poursuit le Pr Tounian. « On assiste désormais à une stabilisation de la prévalence de l’obésité dans cette population, alors qu’elle continue de progresser chez l’adulte. »
Dans ses dernières recommandations consacrées à l’obésité et au surpoids de l’enfant et de l’adolescent, la Haute autorité de santé (HAS) indique que cette prévalence s’est stabilisée depuis les années 2000. En 2006, elle a été évaluée en France à 3,5% chez les enfants de 3 à 17 ans. Concernant l’adulte, la prévalence de l’obésité a presque doublé en 15 ans, passant de 8,5% en 1997 à 15% en 2012.
Contrairement à ce qui est souvent avancé, « la prévalence de l’obésité infantile n’augmente plus dans les pays industrialisés depuis une vingtaine d’années ». Celle-ci a plutôt tendance à se stabiliser lorsque tout un territoire présente des conditions de vie homogènes, « ce qui confirme l’influence majeure du recrutement des enfants prédisposés génétiquement ».
Les données épidémiologiques montrent d’ailleurs que les pays les plus concernés par l’obésité infantile ne sont pas ceux où les adultes obèses sont les plus nombreux [5]. Concernant les garçons, les iles Kiribati, dans l’océan Pacifique, se retrouvent en tête, avec une prévalence de plus de 40% d’obésité et de surpoids chez l’enfant, suivis des iles Samoa et du Chili (entre 30 et 40%). La Grèce se situe en cinquième position (30%).
S’agissant des jeunes filles, les iles Kiribati sont toujours en première ligne, avec une prévalence de plus de 60%, suivies d’autres micro-états du Pacifique et, en cinquième position, du Koweït (prévalence à 40%). A noter que les Etats-Unis, où l’épidémie d’obésité s’accentue, ne font pas partie des 20 pays les plus touchés par l’obésité infantile.
Faible impact de la prise en charge
« Dans le cas des îles Samoa, des recherches ont montré l’implication d’un gène qui diminue les dépenses énergétiques au niveau cellulaire et favorise le stockage sous forme de lipides ». Ce variant génétique, qui aurait permis aux ancêtres des habitants de ces iles de survivre à des périodes de famine, se retrouve dans plusieurs populations de l’océan Pacifique.
Selon le Pr Tounian, la prise en charge de l’obésité est tout aussi complexe chez l’enfant que chez l’adulte. Toutefois, « les complications somatiques graves restent rares dans cette population ». Sur 1 000 enfants atteints d’obésité pris en charge à l’hôpital Trousseau, une quarantaine seulement ont développé des complications (diabète, syndrome des ovaires polykystiques, stéato-hépatite, apnée du sommeil…).
« En pédiatrie, il y a toutefois un avantage: beaucoup de jeunes enfants obèses guérissent spontanément », a ajouté le spécialiste, qui rappelle que seuls 30% des enfants obèses avant 5 ans le restent à l’âge adulte. Tandis qu’au delà de 10 ans, l’obésité se maintiendra chez l’adulte dans les trois-quarts des cas.
Par ailleurs, l’impact de la prise en charge pendant l’enfance reste minime sur l’évolution de la charge pondérale. C’est ce qu’ont démontré le Pr Tounian et son équipe dans une étude qui a inclus 174 enfants obèses suivis en consultation et contactés 11 ans plus tard, à un âge moyen de 21 ans [6].
Dans 35% des cas, les personnes contactées ont retrouvé un poids normal (IMC≤25), tandis que les autres conservaient un surpoids (IMC>25). La durée du suivi, l’âge à la première consultation et l’efficacité de la prise en charge ne sont pas apparus comme des facteurs prédictifs du devenir pondéral, contrairement au niveau socio-économique des parents.
Halte à l’adultomorphisme
« La précocité et l’efficacité de la prise en charge de l’obésité de l’enfant n’ont pas d’influence sur le devenir pondéral ou le risque cardiovasculaire à l’âge adulte. On peut donc considérer, que le traitement de l’obésité de l’enfant n’est pas une urgence. Il a pour unique but d’améliorer la qualité de vie immédiate, sans se préoccuper de l’avenir », estime le pédiatre.
En ce sens, le discours culpabilisant est à proscrire. « Il faut savoir laisser un enfant gros et attendre que sa motivation soit suffisante pour supporter les contraintes d’un régime », ce qui peut nécessiter plusieurs années. D’autant plus, que les études ont tendance à montrer que la prévention de l’obésité est inefficace chez le jeune enfant.
« Je crains même que les messages de prévention induisent à l’inverse des dommages collatéraux, en culpabilisant les parents et en stigmatisant les enfants obèses. On constate d’ailleurs une explosion des troubles du comportement alimentaire. On voit même en consultation des nourrissons en restriction énergétique car les parents ont peur qu’ils deviennent obèses. »
L’obésité de l’enfant ne doit donc pas être confondue avec celle de l’adulte. « Il faut arrê-ter de faire de l’adultomorphisme, en appliquant à l’enfant obèse des principes qui ont fait leur preuve uniquement chez l’adulte. »
Actualités Medscape © 2019 WebMD, LLC
Citer cet article: L'enfant obèse n'est pas un adulte obèse en petit - Medscape - 12 avr 2019.
Commenter