L’hépatite E devenue première cause d’hépatite aiguë virale en France

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

11 avril 2019

Paris, France Selon de récentes données, près d’un quart de la population française a été en contact avec le virus de l’hépatite E (VHE). Au cours d’une intervention aux Journées Francophones d'Hépato-gastroentérologie et d'Oncologie Digestive (JFHOD 2019), le Pr Jean-Marie Péron (Service d’hépatologie, hôpital Rangueil, CHU de Toulouse) a rappelé l’importance de rechercher ce virus, face à des symptômes évoquant une hépatite virale [1].

Le constat peut paraitre surprenant. Alors que l’infection par le VHE a longtemps été considérée comme sporadique et limitée à quelques cas importés, elle est désormais la première cause d’hépatite aiguë virale. « Il s’agit finalement d’un virus très présent, qui circule beaucoup au sein de la population », souligne l’hépatologue.

Avec l’évolution des connaissances scientifiques et des techniques de diagnostic, on commence à en savoir un peu plus sur cette hépatite. « Dans 95% des cas, la maladie est asymptomatique. Mais, lorsqu’elle est symptomatique, le risque de développer une hépatite grave s’élève à près de 3 %. »

« Infection autochtone fréquente »

L’arrivée récente de tests diagnostiques plus performants et une meilleure connaissance de la maladie chez les médecins a conduit à une forte hausse des cas symptomatiques diagnostiqués. Entre 2002 et 2016, le nombre de cas déclarés d’hépatite E est ainsi passé de 9 à 2 292, selon une étude de Santé Publique France[2] .

Avant la mise en place, en 2002, d’un réseau de surveillance au niveau national, « l’hépatite E autochtone apparaissait comme émergente en France », commentent le Dr Elisabeth Couturier et ses collègues de Santé Publique France. « L’hépatite E est reconnue à ce jour comme une infection autochtone fréquente », après une hausse « considérable » des dépistages, initiée en 2010.

Les formes symptomatiques ressemblent à celles de l’hépatite A avec présence d’un ictère dans près d’un cas sur deux, précise l’agence de santé publique. « L’incubation est de 2 à 8 semaines (40 jours en moyenne). Les hépatites fulminantes sont exceptionnelles ».

Selon le Pr Péron, « la guérison est la règle chez les patients immunocompétents. En revanche, il existe un risque d’évolution chronique lorsque l’infection survient chez un patient immunodéprimé, par exemple sous traitement anti-rejet après une greffe d’organe ».

L’étude rapporte également une hausse régulière des hospitalisations pour hépatite E. On a ainsi dénombré 57 personnes hospitalisées en 2004 et 653 en 2016, avec des incidences plus élevées dans les régions du Sud (Midi-Pyrénées, Corse, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Languedoc-Roussillon). Les auteurs évoquent une transmission par consommation de produits à base de foie cru de porc.

Comment prévenir la maladie?

Dans les pays industrialisés, on retrouve quasiment que les génotype 3 et 4 du virus de l’hépatite E. Les génotypes 1 et 2 se cantonnent aux pays en voie de développement où le virus circule sous forme d’épidémie.

Plusieurs espèces animales sont susceptibles d’héberger le virus de génotype 3 et 4 (cerf, poulet, rat, lapin, furet, chauve-souris…), mais le principal réservoir animal du VHE est le porc. Dans les élevages de porcs, l’ouest de la France, 65% des animaux sont infectés.

Le mode de transmission le plus fréquent est alimentaire, par la consommation de produits contaminés, consommés crus ou peu cuits. « La liste des aliments mis en cause comprend viande et abats de sanglier, de cerf notamment la fressure (cœur, rate, foie, poumons), foie de porc (frais, séché), produits à base de foie cru de porc (saucisse de foie, figatelli, fitone, saucisse de foie séché) », énumère Santé publique France.

Selon l’agence, la prévention des cas autochtones d’hépatite E repose sur les mesures générales d’hygiène individuelle et des mesures prises lors de la préparation des aliments ou de leur consommation :

  • lavage des mains à la sortie des toilettes, avant de préparer les repas, après contact avec des animaux ou les produits d’origine animale ;

  • nettoyage des ustensiles et surfaces après manipulation de produits à base de foie de porc cru, de viande de sanglier, de cerf ;

  • cuisson à cœur des aliments destinés à être consommés cuits ;

  • non consommation d’eau non traitée (puits, source, torrent etc.).

Même bien cuits, les produits les plus à risque, notamment ceux à base de foie cru de porc, sont déconseillés chez les personnes ayant un risque de développer une forme grave d’hépatite E (patient immunodéprimé, patient atteint d’une hépatopathie chronique préexistante et femme enceinte).

Jusqu’à 86% de séroprévalence

Cette disparité géographique a également été mise en évidence dans une étude nationale de séroprévalence chez les donneurs de sang. Dans cette étude, publiée en 2016, le DrJean-Michel Mansuy (CHU de Toulouse) et son équipe ont analysé plus de 10 000 échantillons provenant de dons de sang effectués en France. Ils ont ainsi révélé que 22,4% d’entre eux contiennent des anticorps anti-IgG du VHE [3].

« Un quart de la population a été en contact avec ce virus au moins une fois dans sa vie. Cette prévalence de l’infection au VHE est l’une des plus élevées au monde », a commenté le Pr Péron, lors d’une conférence de presse.

Les données montrent que cette séroprévalence varie de 8% en Haute-Loire à 86% en Ariège, avec des taux particulièrement élevés se concentrant dans les régions du Sud de la France, notamment en Occitanie, « à un niveau équivalent à celui observé dans des pays les plus touchés, comme le Népal ou le Tibet ».

L’ingestion de viande de porc mal cuite est la raison principale avancée, mais ce mode de contamination ne peut pas expliquer à lui-seul les différences constatées, estime l’hépatologue, qui évoque également une possible implication des méthodes de filtrage utilisées pour fournir l’eau du robinet.

Un quart de la population a été en contact avec ce virus au moins une fois dans sa vie Pr Jean-Marie Péron

Risque transfusionnel non négligeable

Autre voie de transmission associée à un risque non négligeable de contamination : la transfusion sanguine. Des travaux dirigés par le DrPierre Gallian (Etablissement français du sang Alpes Méditerranée, Marseille) ont en effet montré, après analyse de plus de 53 000 dons de sang en France, qu’un donneur sur 2 200 est infecté par le VHE [4].

En cas de transmission, « moins d’une personne sur deux va développer une hépatite, généralement sans gravité », a souligné le Pr Péron. Néanmoins, « ce risque transfusionnel est un problème de santé publique qui amène, à nouveau, à s’interroger sur la nécessité de mettre en place un dépistage systématique chez les donneurs de sang ».

Contrairement à d’autres pays comme l’Irlande ou l’Angleterre, qui ont généralisé le dépistage du VHE dans le don de sang, celui-ci se limite en France aux produits sanguins destinés à la transfusion des personnes immunodéprimés. Des discussions sont en cours pour introduire le dépistage systématique des dons de sang à partir de 2019, selon Santé Publique France.

Concernant la prise en charge, les formes chroniques survenant chez des patients immunodéprimés peuvent être traitées par ribavirine. « Ce traitement s’avère sûr, peu cher et efficace ». Utilisée dans la prise en charge thérapeutique de l’hépatite C, la ribavirine est alors indiquée en monothérapie pendant trois mois.

Des discussions sont en cours pour introduire le dépistage systématique des dons de sang à partir de 2019 Santé Publique France

Atteintes neurologiques

Devant des signes cliniques évoquant une hépatite, une infection par le virus de l’hépatite E doit désormais être recherchée de manière systématique, au même titre que celles par le virus de l’hépatite A et B. « Le test est simple d’utilisation et maintenant très fiable ».

Le dépistage doit aussi être envisagé devant des atteintes neurologiques associées à une hépatite. Lorsque l’hépatite E devient symptomatique, « on sait désormais que les symptômes se manifestent dans 20% des cas par des atteintes neurologiques », précise le Pr Péron.

Les patients peuvent notamment développer une neuropathie, un syndrome de Parsonage-Turner (inflammation du plexus brachial), voire un syndrome de Guillain-Barré.

On sait désormais que les symptômes se manifestent dans 20% des cas par des atteintes neurologiques Pr Péron

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