Paris, France — Il n’est pas rare que des patients atteints de troubles digestifs aient recours au cannabis pour améliorer certains symptômes, comme les diarrhées ou les douleurs abdominales. Quel est l’impact du THC sur le fonctionnement du système digestif? Peut-on y trouver un réel intérêt ? Au cours d’une intervention aux Journées Francophones d'Hépato-gastroentérologie et d'Oncologie Digestive (JFHOD 2019), le Dr Benoit Coffin (Hôpital Louis-Mourier, AP-HP, Colombes) a dressé un tableau globalement peu réjouissant.
« Le cannabis et les cannabinoïdes ont de nombreux effets sur le tube digestif », via deux types de récepteurs aux cannabinoïdes, le CB1 et le CB2, a rappelé le gastro-entérologue (voir encadré en fin de texte). Or, si certains de ces effets semblent bénéfiques, d’autres sont clairement délétères, explique-t-il.
Sans effet sur les douleurs abdominales
Compte tenu de ces effets au niveau des récepteurs CB1 et CB2, plusieurs travaux ont été menés pour évaluer l’intérêt du THC dans diverses pathologies gastriques. Dans le cas du syndrome de l’intestin irritable (SII), par exemple, une petite étude a été conduite avec 75 patients atteints de ce trouble, randomisés pour recevoir une dose unique de dronabinol ou un placebo [2].
« L’étude a montré que le THC diminue la motricité colique, mais n’a aucun effet sur la sensibilité viscérale », contrairement à ce qui a été observé chez l’animal. Cependant, l’évaluation s'est déroulée pendant 48 heures seulement. » En l’absence d’étude bien menée, le cannabis ne peut pas être recommandé dans le traitement du syndrome de l’intestin irritable », a indiqué le Dr Coffin.
En ce qui concerne les douleurs abdominales chroniques non liées à un SII, une récente étude randomisée contre placebo plus sérieuse a évalué l’effet d’une dose progressive de THC allant de 9 mg/jour à 15 mg/jour chez 64 patients souffrant de douleurs abdominales, notamment après une chirurgie ou associées à une pancréatite [3]. Aucun effet significatif n’a été constaté.
MICI: risque de chirurgie augmenté
S’agissant des MICI, deux études de cohortes ont souligné des effets bénéfiques, autant chez les patients atteints de la maladie de Crohn (cohorte de 400 patients), que chez ceux souffrant de rectocolite hémorragique (200 patients) [4]. Entre 12 et 14% des participants inclus ont déclaré être des consommateurs réguliers de cannabis, pour un usage thérapeutique.
Parmi ces consommateurs atteints de MICI, la moitié a précisé que le cannabis permet une amélioration des douleurs abdominales et aide à retrouver l’appétit. Par ailleurs, une diminution notable des diarrhées (10% des cas) et des nausées (16%) a été rapporté.
Deux essais randomisés sont venus récemment compléter le tableau en montrant que le cannabis réduit l’activité des MICI, mais n’a pas d’effet sur les marqueurs de l’inflammation ou sur la cicatrisation des muqueuses [5,6]. Dans ces petites études, les patients ont été randomisés recevoir des petites doses de THC par voie orale ou un placebo pendant huit semaines
Cependant, les résultats d’une précédente étude de cohorte ont jeté le trouble, au point de déconseiller l’usage de cannabis à visée thérapeutique, du moins de manière prolongée, chez ces patients, même s’il améliore certains symptômes liés à l’inflammation.
Dans cette étude de cohorte incluant plus de 300 patients, des améliorations notables ont également été rapportées, notamment sur les douleurs abdominales ou les diarrhées, mais une utilisation prolongée de plus de six mois est associé à un risque de recours à la chirurgie cinq fois plus élevé [7].
Cause de pancréatite aiguë
Concernant l’hépatite C, il a été démontré que l’usage de cannabis améliore la tolérance à la bithérapie interféron et ribavirine. Il a cependant un inconvénient majeur: il peut augmenter la progression de la fibrose et renforcer la stéatose, en particulier chez le plus de 40 ans [8]. « Il n’est donc pas raisonnable de recommander le cannabis chez les patients atteints d’hépatite C ».
Pour ce qui est de la pancréatite aiguë, une étude de cohorte rétrospective incluant 468 patients a récemment montré que le cannabis est là encore délétère. Parmi eux, 10% étaient des consommateurs réguliers de cannabis. Si le cannabis n’est pas un facteur de sévérité, les chercheurs ont rapporté qu’il représenterait à lui-seul 2% des causes de pancréatite aiguë [9].
« Plusieurs cas cliniques de patients ayant une pancréatite aiguë induite par la prise de cannabis ont été rapportés ces dernières années », a précisé le gastro-entérologue. Le sevrage du cannabis est donc recommandé chez les patients ayant une maladie du pancréas.
Dans le cas des vomissements induits par la chimiothérapie, une méta-analyse révèle que l’utilisation du dronabinol est plus efficace que les traitements de première ligne, comme les prokinétiques, les neuroleptiques ou les agonistes dopaminergiques [10]. « Le niveau de preuve reste toutefois relativement faible dans cette étude ».
Les données de la littérature ont néanmoins amené l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) et l’European Society for Medical Oncology (ESMO) à recommander l’usage du cannabis à visée thérapeutique chez les patients sujets à des vomissements liés à la chimiothérapie, mais en dernier recours, uniquement après échec de tous les traitements.
Penser à l’hyperemesis cannabinoïde
Paradoxalement, le THC peut aussi causer des nausées et des vomissements cycliques, lorsqu’il est consommé de manière régulière, a rappelé le spécialiste. C’est ce qui est nommé syndrome de l’hyperemesis cannabinoïde. « Le patient peut alors rentrer dans un cercle vicieux en augmentant les doses de THC absorbées pour calmer les nausées. »
Ce syndrome reste mal connu des praticiens. « Il débute par une phase prodromique de plusieurs semaines caractérisée par une gène abdominale, des nausées et une peur de vomir. Ensuite, vient la phase des vomissements qui se répètent pendant plusieurs heures, voire quelques jours, avec des douleurs abdominales diffuses. »
Pendant la phase des vomissements, les patients se mettent à prendre des bains ou des douches chaudes de manière compulsive pour s’apaiser. Il s’agit d’un symptôme caractéristique qu’il faut penser à rechercher chez des patients pris de vomissements répétés, a précisé le gastro-entérologue. Le syndrome disparait avec le sevrage.
Pour conclure, « les agonistes de synthèse n’ont pas trouvé leur place dans l’arsenal thérapeutique », estime le Dr Coffin. « La consommation régulière de cannabis pourrait avoir un effet bénéfique dans certaines situations, mais compte tenu des nombreux effets délétères, il ne paraît pas raisonnable de le recommander pour traiter certains symptômes digestifs. »
Le cannabis agit sur les récepteurs CB1 et CB2 présents au niveau digestif
Le cannabis et les cannabinoïdes ont de nombreux effets sur le tube digestif via deux types de récepteurs aux cannabinoïdes, le CB1 et le CB2.
Les récepteurs CB1 sont présents au niveau du système nerveux entérique et dans le tissu colique normal. « Ils participent à la libération de certaines neurotransmetteurs et à la régulation de la motricité colique ».
L’activation des CB1 entraine une inhibition de la motricité gastrique et intestinale, ce qui peut potentiellement améliorer certains symptômes. Chez l’homme, la consommation de delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), le composant psychotrope du cannabis, « ralentit la vidange gastrique ». Il a également été démontré que le dronabinol, un TCH de synthèse, « diminue le tonus et la motricité du colon ».
En ce qui concerne les récepteurs aux cannabinoïdes CB2, on les retrouve à la surface des muqueuses. Ils sont exprimés en cas de pathologies inflammatoires, en particulier lors des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). « Leur activation diminue la réponse inflammatoire. »
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Citer cet article: Cannabis et pathologies digestives : une fausse bonne idée ? - Medscape - 8 avr 2019.
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