Responsabilité médicale : ce que le praticien doit savoir

Dr Benjamin Davido, Me David-Emmanuel Picard

Auteurs et déclarations

9 avril 2019

Enregistré le 14 mars 2019, à Paris

Quels sont les principes de la responsabilité médicale ? Combien y-a-t-il de condamnations par an en France ? Quelles sont les spécialités les plus concernées ? Le point avec Me David-Emmanuel Picard.

TRANSCRIPTION

Benjamin Davido — Bonjour, je suis médecin infectiologue à l’hôpital Raymond Poincaré, et nous allons parler aujourd’hui de responsabilité médicale hospitalière avec Me David-Emmanuel Picard.

David-Emmanuel Picard — Bonjour, je suis David Emmanuel Picard, avocat au barreau de Paris, et associé au centre d’une structure qui s’appelle EOS Associés où nous traitons d’un certain nombre de questions juridiques, de droit des affaires, de droit immobilier et aussi de responsabilité médicale.

Benjamin Davido — Peux-tu nous expliquer, à nous, médecins, quels sont les grands principes de la responsabilité médicale ?

David-Emmanuel Picard — En France il y a plusieurs types de responsabilité, et notamment pour le médecin ou le personnel soignant, nous avons la responsabilité administrative, la responsabilité civile, la responsabilité pénale et les responsabilités professionnelles et ordinaires. Dans la grande majorité, les agents du service public, comme le personnel soignant travaillant au sein d’un hôpital, vont voir mise en jeu "leur responsabilité'' via l’établissement public, c'est-à-dire l’hôpital. Donc ils ne verront pas leur responsabilité personnelle engagée…

Benjamin Davido — Puisqu’ils sont couverts par l’hôpital.

David-Emmanuel Picard — Absolument. Ce sont des agents du service public. Donc nous avons une partition des types de responsabilité entre, d’une part la faute médicale classique dans l’activité de soins, et également la faute d’organisation et de fonctionnement du service qui, lui cette fois-ci, va relever davantage de la capacité du directeur et du personnel encadrant d’organiser le bon fonctionnement du service.

Benjamin Davido — C’est très intéressant ce que tu dis là — c’est-à-dire que le service a une obligation d’organisation « idéale ».

David-Emmanuel Picard — Absolument. Nous avons aussi ce qui relève notamment d’un fantasme collectif qui est celui du médecin en prison qui, on le verra un peu plus tard, est une responsabilité extrêmement résiduelle. Mais pour être totalement clair là-dessus, la responsabilité pénale n’est engagée que dans un nombre très circonscrit de cas. Il faut des conditions très particulières, notamment une intention de nuire. Donc, dans l’immense majorité des cas, les fautes qui vont être commises dans le cadre de l’activité de soins ou de l’organisation du service ne relèvent pas du droit pénal.

Benjamin Davido — Justement, peux-tu nous donner quelques exemples concrets de situations typiquement administratives ou pénales ?

David-Emmanuel Picard — Pour illustrer la partition que je viens d’exposer, la responsabilité administrative va pouvoir être engagée, je le répète, en cas de faute simple. Alors juste pour faire une précision rapide, qu’est-ce qu’une faute ? C’est un manquement à une obligation, donc c’est une différenciation du comportement dans le cas d’espèce par rapport à un comportement standard d’un médecin qui aurait été soi-disant parfait, ou en tous les cas, diligent. Les fautes simples : on peut avoir par exemple des problèmes comme une intubation qui va mal se réaliser et qui va…

Benjamin Davido — … par exemple se compliquer d’une infection…

David-Emmanuel Picard — Absolument. Nous avons aussi potentiellement un défaut : cela pourrait être un défaut de coordination des services, un examen qui aurait dû être mené une seconde fois mais qui ne l’a pas été… parce que le premier examen aurait été difficile à lire, par exemple.

Benjamin Davido — D’accord. Et à ce moment-là, cela reste de l’administratif et non du pénal.

David-Emmanuel Picard — Absolument. Par contre, pour rebondir sur ce que vous dites, mais sur la responsabilité pénale, donc qui est extrêmement résiduelle encore une fois, on peut avoir par exemple des cas d’homicide involontaire. Il y a eu environ une douzaine de condamnations pénales l’année dernière, ce qui est très peu. Mais pour donner un exemple, on peut avoir des cas d’homicide involontaire — j’ai en tête le cas d’une cheffe infirmière qui avait été condamnée parce qu’elle avait permis à une élève infirmière hors de son contrôle et sans s’assurer de sa capacité à le faire, de procéder à une injection de chlorure de potassium à un patient qui était décédé par la suite.

Benjamin Davido — Donc, finalement, si je comprends bien, ce qui relève du pénal, c’est une volonté de nuire.

David-Emmanuel Picard — En très grande partie. Ou de la mise en danger de la vie d’autrui : c’est aussi une infraction, c’est-à-dire que le personnel, ou en l’occurrence la personne, ne pouvait pas ignorer qu’elle faisait courir un grand danger au patient.

Benjamin Davido — Très bien. Donc le pénal est très résiduel. Est-ce que tu as quelques chiffres ? Les médecins travaillent beaucoup avec la MACSF, qui est un organisme assureur. As-tu des données récentes pour nous donner des exemples ?

David-Emmanuel Picard — Absolument. Prendre les chiffres de la MACSF est particulièrement pertinent, parce qu’ils couvrent à peu près 80 %, voire 90 % de l’ensemble du personnel soignant, ce qui nous donne une bonne illustration de la réalité. Nous avons eu l’année dernière environ une douzaine de condamnations pénales, et à ma connaissance il n’y a qu’une peine de prison ferme qui a été prononcée dans un cas extrêmement grave. Donc le reste, cela va être du sursis.... et enfin toute la gamme de peines que peut prononcer le juge pénal. Nous avons autour de 2000 déclarations de sinistre par an, donc on remarque quand même qu’il y a une augmentation de ce qu’on appelle le taux de sinistralité, c’est-à-dire le nombre de déclarations de sinistres pour cent assurés. Cela augmente un peu — toujours selon la MACSF, on est autour de 1,65 %. Est-ce qu’on peut en tirer une conclusion, non pas me semble-t-il à l’évidence que les actes de soins seraient de moins bonne qualité, mais on assiste quand même à une judiciarisation de la société, et donc les patients ont plus tendance à tenter de mettre en cause la responsabilité du corps médical.

Benjamin Davido — Justement, tu parles de responsabilité médicale — est-ce que finalement, lorsqu’on est hospitalier, on a très peu de risque parce qu’on est majoritairement couvert par l’hôpital ?

David-Emmanuel Picard — Absolument. Lorsqu’un médecin accomplit l’art de soigner — cela reste un art, et donc cela le juge en a bien conscience, dans la très grande majorité des cas il n’y a pas une réponse absolue ou un standard de comportement extrêmement clair qui pourrait émerger de ces situations-là — pour autant, hors les cas d’intention de nuire manifeste (on peut penser à des chirurgiens qui vont opérer lorsqu’ils sont ivres par exemple), on est couvert, on est pris en charge juridiquement par l’établissement public...

Benjamin Davido — ...qui nous protège.

David-Emmanuel Picard — Qui vous protège.

Benjamin Davido — Souvent, on associe, à tort, l’erreur médicale à l’infection nosocomiale. Je sais qu’il y a ces fameux organismes de remboursement : l’ONIAM, les systèmes de CCI, de conciliation... Est-ce que tu peux nous expliquer ce que c’est ?

David-Emmanuel Picard — Ce sont deux choses différentes.

  • L’ONIAM est un organisme qui repose d’abord sur la solidarité nationale, c’est-à-dire sur l’impôt, qui a pour objectif d’indemniser les patients, dans un certain nombre de cas qui sont en réalité une sorte de faute collective — c’est un abus de langage, mais cela représente à peu près les choses. C’est l’aléa thérapeutique —  je pense par exemple à ce qui aurait pu être le cas pour les transfusions sanguines qui ont contaminé avec le virus du VIH. Donc cet organisme a pour vocation, sur la solidarité nationale… de dédommager les victimes. Pour faire un parallèle, cela pourrait s’illustrer tout aussi bien avec la commission d’indemnisation pour les victimes de terrorisme. Donc c’est la collectivité française qui choisit collectivement de prendre en charge un certain nombre de problématiques qui peuvent surgir.

  • Il y a aussi, comme vous le précisiez effectivement, la commission de conciliation et d’indemnisation (CCI). Là, c’est un peu différent. L’objectif est de faire sortir un certain nombre de litiges du système judiciaire pour pouvoir les traiter collectivement. C'est un organisme collectif qui va réunir des professionnels, des assureurs, qui vont désigner un expert qui va formuler une proposition d’indemnisation qui, après, sera potentiellement acceptée par le patient. De mémoire, je crois qu’on a eu à peu près 500 avis de la CCI l’an dernier, donc c’est un système qui marche, les patients sont satisfaits et cela fait naturellement écho à ce que je disais tout à l’heure : on arrive quand même à une indemnisation supplémentaire des patients... qu’il faut aussi dé-corréler de l’idée de faute. Ce n’est pas parce qu’il y a une indemnisation que le corps médical doit nécessairement se sentir fautif de quelque chose. Il n’y a pas toujours une corrélation.

Benjamin Davido — Justement, dans ce corps médical, quelles sont les professions qui sont les plus à risque d’avoir ce souci d’être, si je puis dire, inculpées de problématiques de responsabilité médicale ? Y-a-t’il un top cinq par exemple ?

David-Emmanuel Picard — S’il y avait un top cinq, on aurait évidemment les professions qui sont très invasives, comme la chirurgie. On a aussi les professions qui sont au carrefour de l’analyse, au carrefour du diagnostic, notamment, la médecine générale. C’est un peu contre-instinctif, mais par exemple un médecin généraliste peut ne pas adresser le patient vers un spécialiste qui pourrait le prendre en charge à ce moment-là. Nous avons aussi les anesthésistes, parce qu’on sait qu’il y a un risque important. Donc pas de grosse surprise, si ce n’est la médecine générale.

Benjamin Davido — Très bien. Du coup, tu me tends la perche pour la dernière question. Finalement, cette responsabilité civile professionnelle à laquelle on souscrit souvent à l’hôpital, a-t-elle vraiment un intérêt pour les médecins hospitaliers?

David-Emmanuel Picard — Oui et non. Mais j’aurais tendance à dire oui à la fin, et je vais vous expliquer pourquoi. Comme on l’a expliqué, les fautes commises par un praticien vont en général être prises en charge par l’hôpital, c’est l’hôpital qui va en répondre. Mais pour autant, en règle générale — et c’est également valable pour les internes — le praticien va être amené à exercer en dehors de l’hôpital, notamment dans le cas des remplacements. Dans ce cas-là, il faut bien faire attention, puisque le praticien ne sera pas couvert par la responsabilité de la prise en charge de l’établissement public duquel il provient.

Benjamin Davido — D’accord. Au même titre, s’il intervient en ambulatoire parce qu’il y a quelqu’un qui ne va pas bien dans la rue…

David-Emmanuel Picard — Absolument. C’est une décision évidemment personnelle, mais, me semble-t-il, on ne peut que conseiller au praticien de souscrire à une couverture assurancielle qui serait pertinente au regard de son type d’activité.

Benjamin Davido — C’est très clair. J’ai appris beaucoup de choses grâce à toi, aujourd’hui. Et puis peut-être qu’on aura l’occasion de parler aussi de responsabilité médicale en milieu ambulatoire, ce qui est, à mon avis, tout un autre débat. Merci, David.

David-Emmanuel Picard — Merci beaucoup.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....