Paris, France — Résultats positifs avec la transplantation fécale, émergence d’une nouvelle classe thérapeutique administrable par voie orale, progression de l’anticorps anti-intégrine védolizumab (Entyvio®, Takeda) dans la rectocolite hémorragique (RCH)… l’actualité concernant la prise en charge thérapeutique des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) est toujours aussi bouillonnante.
Lors des Journées Francophones d'Hépato-gastroentérologie et d'Oncologie Digestive (JFHOD 2019), le Dr Mathurin Fumery, gastro-entérologue au CHU Amiens-Picardie, a modéré une session sur les stratégies thérapeutiques dans le domaine des MICI. Nous l’avons invité à commenter les dernières avancées dans le traitement de la RCH et de la maladie de Crohn.
Medscape édition française: Quelles sont les actualités à souligner, selon vous, dans le traitement des MICI? Faut-il s’attendre prochainement à des changements majeurs en pratique ?
Dr Mathurin Fumery: Parmi les nouveautés, on peut évoquer les résultats de l’essai randomisé de phase 3 VARSITY, qui a comparé l’anti-intégrine vedolizumab à l’anti-TNF adalimumab (Humira®, AbbVie) chez les patients atteints de rectocolite hémorragique (RCH), naïfs de biothérapie [1]. C’est l’actualité la plus marquante. Il s’agit du premier essai à comparer deux biothérapies dans les MICI. L’étude montre une supériorité en termes de bénéfice clinique et endoscopique du vedolizumab par rapport à Humira® (voir encadré). On va donc pouvoir avoir de nouveaux rapports de force: jusqu’à présent, ce sont les anti-TNF qui dominent après les thérapies conventionnelles.
En France, dans la prise en charge des MICI, les biothérapies sont envisagées après échec, contre-indications ou intolérance aux thérapies conventionnelles (immunosuppresseurs ou corticoïdes). On est alors obligé d’opter pour un anti-TNF, en choisissant l’infliximab (Remicade® et biosimilaires), l'adalimumab (Humira® et biosimilaires), ou le golimumab (Simponi®, MSD) dans la RCH. Lorsque ces traitements sont inefficaces ou non adaptés, on peut s’orienter vers le vedolizumab (dans la maladie de Crohn ou la RCH) ou l’anti IL12/IL23 ustékinumab (Stelara®, Janssen) (uniquement dans la maladie de Crohn). Après ces résultats, on peut espérer un remboursement du vedolizumab en première ligne de biothérapie chez les patients atteints de RCH.
On attend aussi beaucoup de l’inhibiteur de tyrosines kinases tofacitinib (Xeljanz®, Pfizer), qui a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement de la RCH modérée à sévère. Il marque l’arrivée de la classe thérapeutique des inhibiteurs des Janus kinases (JAK 1 et 3) dans cette indication. On pourra commencer à le prescrire d’ici quelques mois, dès que les négociations concernant son remboursement seront terminées. Cette molécule a montré son efficacité chez les patients naïfs vis-à-vis des anti-TNF, mais aussi après échec par anti-TNF (voir notre article sur les essais de phase 3 OCTAVE 1 et OCTAVE 2). Elle a l’avantage majeur de pouvoir être administrée par voie orale.
Quels sont les travaux de recherche qui vous semblent prometteurs dans ce domaine, notamment parmi ceux présentés lors de ces JFHOD?
Dr Fumery: A court/moyen terme, on peut aussi espérer avoir recours à l’ustékinumab dans la RCH après échec ou intolérance à un traitement conventionnel ou à une première ligne de biotherapie. Les résultats de l’essai de phase 3 UNIFI, présentés lors du congrès, ont montré qu’une dose unique en intraveineuse de l’anti IL12/IL23 a permis une amélioration clinique significative dans cette indication [2].
Concernant les patients atteints de la maladie de Crohn et présentant des lésions ano-périnéales, on attend les résultats d’études randomisées récemment lancées pour évaluer l’ustékinumab et le vedolizumab. Ces patients sont difficiles à traiter. Ils ont des taux d’échec assez élevés avec les anti-TNF. Deux études observationnelles menées par Dr Constance Biron (CHU Besançon) et présentées cette année aux JFHOD [3,4], ont donné des résultats intéressants, avec d’un côté un effet positif avec l’ustekinumab, tandis que les taux de réponse et de rémission sont apparus plus faibles avec le vedolizumab, ce qui interroge sur l’efficacité des anti-intégrines sur le canal anal. Il est toutefois pour le moment difficile de conclure sans avoir de comparaison entre les deux groupes.
Il faut également noter que deux autres molécules de la nouvelle classe des inhibiteurs des Janus kinases (JAK 1 et 3), le filgotinib (Gilead) et l’upadacitinib (AbbVie), sont actuellement évalués en phase 3 dans la RCH et la maladie de Crohn. Plusieurs inhibiteurs de l’IL-23, comme le risankizumab (Abbvie) et le guselkumab (Janssen), sont aussi en développement. Les résultats de phase 2 sont extrêmement encourageants.
On parle aussi beaucoup de la transplantation fécale. Des nouveautés de ce côté?
Dr Fumery: Une quatrième étude a, à nouveau, rapporté des résultats positifs de la transplantation fécale dans le traitement de la RCH, effectuée cette fois en anaérobie pour préserver certaines bactéries disposant de propriétés anti-inflammatoires [5]. Il y a un effet significatif sur la rémission clinique sans corticoïdes et la cicatrisation des muqueuses, observée jusqu’à un an chez certains patients transplantés.
Pour la maladie de Crohn, les données sont plus rares. On peut donc souligner les résultats de l’étude pilote randomisée du Pr Harry Sokol et de ses collègues (Hôpital Saint-Antoine, Paris), qui a évalué une transplantation de microbiote fécale chez des patients atteints de maladie de Crohn [6]. Elle suggère que cette stratégie peut être efficace en tant que traitement d’entretien après induction d’une rémission clinique par corticoïdes. Cette étude pilote va permettre de préparer un essai randomisé de plus grande envergure en France, qui devrait être prochainement lancé. Beaucoup de recherche sont menées actuellement au niveau international sur la transplantation fécale dans le traitement de la maladie de Crohn. D’ici trois à cinq ans, on devrait y voir plus clair sur son efficacité.
Dans l’ensemble, il reste à savoir s’il faut une ou plusieurs transplantations, de manière répétée ou non, si la transplantation est tolérée sur le long terme. Il existe en effet des doutes, sachant que certaines maladies métaboliques ou inflammatoires sont associées à des anomalies de la flore intestinale. Il faudra aussi pouvoir mieux sélectionner les donneurs et des receveurs, afin d’avoir le meilleur bénéfice possible. Enfin, des interrogations persistent sur la voie d’administration à privilégier (voir aussi la vidéo « Transplantation fécale : les études récentes »).
Ceci dit, je reste plus optimiste sur l’efficacité de cette stratégie thérapeutique dans la prise en charge de la RCH que dans la maladie de Crohn.
RCH: place au védolizumab
L’anticorps monoclonal humanisé védolizumab cible une intégrine exprimée sur certains lymphocytes T présents dans le tractus gastro-intestinal. En se liant à l’intégrine, le védolizumab empêche l’adhésion des lymphocytes aux cellules de la muqueuse intestinale, ce qui réduit l’inflammation observée lors d’une RCH ou d’une maladie de Crohn.
Dans l’essai randomisée de phase 3b VARSITY, dont les résultats ont été présentés début mars au congrès de l’European Crohn and Colitis Organisation (ECCO)[1], le védolizumab (Entyvio®, Takeda) s’est avéré plus efficace, en deuxième intention, que l’anti-TNF adalimumab (Humira®, AbbVie) dans le traitement contre la RCH.
Cet essai multicentrique est important car il est le premier à comparer deux biothérapies dans la prise en charge des MICI. Il a inclus 769 patients atteints de RCH modérée à sévère, en échec de traitement avec les corticoïdes, les immunomodulateurs ou un anti-TNF, autre que l’adalimumab. Ils ont été randomisés, en double aveugle, pour recevoir les deux molécules en traitement d’induction et d’entretien.
A 52 semaines, le taux de rémission clinique était de 31% chez les patients prenant le védolizumab, contre 22,5% dans le groupe adalimumab. Le taux de cicatrisation des muqueuses était également plus élevé avec l’anti-intégrine (39,7% vs 27,7%). Le traitement par védolizumab est mieux toléré (11% d’effets secondaires vs 13,7%), mais provoque davantage d’infections (43,5% vs 33,5%).
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Citer cet article: Quelles nouveautés dans la prise en charge thérapeutique des MICI? - Medscape - 2 avr 2019.
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