La Nouvelle-Orléans, Etats-Unis -- Que sait-on des risques encourus quand on vapote ? Si l’e-cigarette double les chances d’arrêt du tabac, la question de sa toxicité est largement débattue, avec des effets qui commencent à être documentés.
Ainsi, lors du dernier congrès de l’American College of Cardiology 2019 (ACC), une des plus grandes enquêtes jamais réalisée sur les risques cardiovasculaires de l’e-cigarette a fait l’objet d’une présentation orale [1].
Selon les réponses de plus de 96 000 patients américains à des autoquestionnaires, les vapoteurs ont plus de risque d'être victimes d'un infarctus, d'une maladie coronarienne ou d'une dépression, en comparaison de ceux qui ne vapotent pas.
« Jusqu’à présent, on en savait peu sur les effets cardiovasculaires de l’utilisation d’e-cigarette. Ces données sont un appel à se réveiller et à être plus vigilants concernant les dangers de l’e-cigarette », indique le Dr Mohinder Vindhyal (University of Kansas), principal investigateur de cette étude dans un communiqué de presse [2].
Toutefois, interrogé par Medscape édition française, le Pr Bertrand Dautzenberg (hôpital la Pitié-Salpêtrière, Paris) modère fortement la portée de ces résultats. Il souligne avant tout qu'il s'agit d'une communication orale assortie d'un communiqué de presse, qui ne fait pas l'objet d'une publication scientifique. En outre, il pointe plusieurs biais méthodologiques importants. Au final, pour le spécialiste français, il s'agit « d'une information non scientifiquement valide ».
E-cigarette : une utilisation exponentielle
La popularité de l’e-cigarette n’en finit pas de grandir depuis 2007, année du début de sa commercialisation. D’après les données des chercheurs qui ont mené cette nouvelle étude, les ventes ont été multipliées par 14 au cours de la dernière décennie. Des questionnements ont accompagné cet essor exceptionnel. Si certains sont partisans du « c’est une alternative moins dangereuse à la cigarette », d’autres s’inquiètent de l’explosion de cette tendance auprès des jeunes et des adolescents.
Une vaste enquête nationale
L'étude repose sur les réponses à des autoquestionnaires de 96 467 volontaires de la National Health Interview Survey, menés par différents Centers for Disease Control (CDC) en 2014, 2016 et 2017. En 2015, le questionnaire ne comportait pas de questions sur l’usage de l’e-cigarette.
Dans leur analyse, les chercheurs ont examiné l'incidence de l'hypertension, des IDM, des AVC, des maladies coronariennes, du diabète de la dépression et de l’anxiété parmi les utilisateurs ou non d’e-cigarettes. Les utilisateurs d'e-cigarettes étaient plus jeunes, 33 ans en moyenne que les non-utilisateurs, 40,4 ans.
IDM, AVC, dépression…
D’après les résultats de l’étude menée par Mohinder Vindhyal et ses collègues, les vapoteurs ont un risque augmenté de 56% d'être victimes d'un infarctus par rapport aux non-vapoteurs, et un risque majoré de 30% d’être victime d’un AVC. Le risque de développer une maladie coronarienne ou des problèmes circulatoires, notamment des thromboses, est aussi plus important, respectivement 10 et 44 % de plus, chez les vapoteurs. De même ceux-ci ont deux fois plus de risque de souffrir de dépression, d’anxiété et de problèmes émotionnels.
Certaines de ces associations ont perduré quand les chercheurs ont procédé aux ajustements liés aux facteurs de risque CV : âge, sexe, indice de masse corporelle (IMC), cholestérol, hypertension et tabagisme. Après ajustement, les utilisateurs d’e-cigarette sont 34 % plus susceptibles de faire un infarctus, 25 % plus à risque d'être victimes d'une maladie coronarienne et 55% plus susceptibles de souffrir de dépression ou d’anxiété. En revanche, après ajustement, les différences ne sont plus statistiquement significatives entre les deux groupes pour les AVC, l’hypertension et les problèmes circulatoires.
« Dans la mesure où le risque de faire un IDM augmente de 55 % parmi les utilisateurs d’e-cigarette par rapport aux non-fumeurs, je ne voudrais pas que mes patients ou des membres de ma famille vapotent. Quand on approfondit, on se rend compte que cela ne dépend pas de la fréquence d’utilisation de l’e-cigarette. Que ce soit tous les jours ou de temps en temps, les utilisateurs de cigarette électronique sont plus susceptibles d’être touchés par un infarctus ou une maladie coronaires », a commenté Mohinder Vindhyal.
En effet, d'après leurs données, les vapoteurs occasionnels (usage non quotidien) ont aussi un sur-risque d'IDM et de dépression.
Interrogé par Medscape édition française, le Pr Yves Martinet, pneumologue (CHU Nancy) et Président du Comité National contre le Tabagisme (CNT) explique que « ces résultats sont intéressants mais pas surprenants : la nicotine contenue dans les e-cigarettes augmente la fréquence cardiaque et la pression artérielle et les particules fines contenues qu'on inhale avec l'e-cigarette ont des conséquences CV. Pour la dépression, c'est pareil ».
Biais et imprécisions : on attend d'autres études
Toutefois, la conclusion des auteurs semble très tranchée alors que les analyses reposent sur une enquête autodéclarative. A ce stade, l’étude permet d’établir des associations mais pas de liens de causalité.
« Les données sont fragiles et l'interprétation devrait être prise avec du recul. On a affaire à des phénomènes de consommation complexes. Dans les travaux liés au comportement avec de l'auto-déclaratif, il faut s'appuyer sur des grandes études menées dans différents pays pour minimiser les biais », rappelle Yves Martinet. « Pour l'instant, ce travail, qui a le mérite d'avoir inclus un très grand nombre de personnes, est un élément de confirmation de ce qui nous paraît évident : l'e-cigarette n'est pas anodine ».
Des études longitudinales seraient nécessaires pour bien comprendre les effets de l’e-cigarette sur la santé, d'autant qu'il existe une grande variété d'e-cigarettes avec des doses en nicotine variables – non documentées ici – et des additifs différents. On ne connait pas les doses de nicotines utilisées dans l'étude. Or, en France, par exemple, la réglementation impose qu'elles soient inférieures à 20 mg/ml alors qu'aux US, les Juul (nouveau type de cigarettes électroniques) sont beaucoup plus dosées...Ces données ne peuvent donc pas être appliquées à la France.
Aussi, on ne sait pas si les membres de la cohorte sont d'anciens fumeurs ou pas. Pour Yves Martinet, a priori il s'agirait d'anciens fumeurs. « Mais attention, avec l'arrivée de la Juul, de plus en plus de jeunes entrent dans la dépendance sans avoir fumé avant. Là aussi, les données vont devoir être affinées dans les années qui viennent » estime-t-il.
Pour sa part, le Pr Dautzenberg considère tous ces résultats comme irrecevables. Pour lui, « il aurait été honnête de comparer des vapoteurs, tous ex-fumeurs, aux ex-fumeurs : un résultat que les auteurs ne présentent pas dans les données qu’ils ont rendues publiques. » Une limite telle qu’elle apparait comme « foncièrement malhonnête ».
E-cigarette : mieux que le tabac mais pas sans risque
Les chercheurs ont également comparé les données des fumeurs de tabac et celles de non-fumeurs. Sans surprise, les fumeurs sont beaucoup plus susceptibles de faire un IDM, d’être atteints d’une maladie coronarienne ou d’être victimes d’un AVC, +165%, 94 % et 78 %, respectivement. Ils sont aussi plus à même de présenter une hypertension artérielle, du diabète, des problèmes circulatoires ou de souffrir de dépression ou d’anxiété.
« Fumer des cigarettes entraîne une probabilité bien plus importante d'infarctus et d’AVC que l’e-cigarette. Mais cela ne veut pas dire que vapoter est sans risque », a indiqué le Dr Vindhyal qui a rappelé que certaines e-cigarettes contiennent de la nicotine et des composés toxiques similaires à ceux des cigarettes classiques.
Ceci dit, Yves Martinet indique clairement qu’il existe des niveaux de risque. S’il vaut mieux ni fumer et ni vapoter quand on est non-fumeur, il est préférable de vapoter que de fumer. « Le pire, c'est de fumer. Le mieux, c'est de n’utiliser ni tabac ni d'e-cigarette. Entre les deux, la e-cigarette a sa place mais il faut garder en tête que c'est une aide à l'arrêt du tabac dont on devra également se sevrer. » explique-t-il. « Mais surtout, cela ne sert à rien de vapoter et de seulement réduire le nombre de cigarettes. Mon message : il faut complètement arrêter le tabac quand on vapote sinon on ne diminue pas les risques CV» insiste-t-il.
La cigarette électronique efficace pour sortir du tabagisme, selon un essai randomisé
E-cigarettes à haute puissance: attention danger? Questions au Dr Chaumont
Les e-cigarettes à haute puissance inductrices d’hypoxémie artérielle chez des fumeurs coronariens
Premier essai contrôlé e-cigarette vs Champix : le Dr Berlin répond aux critiques
E-cigarette : une balance bénéfice-risque encore très incertaine
Actualités Medscape © 2019 WebMD, LLC
Citer cet article: E-cigarette et risques cardiovasculaires : une étude à charge - Medscape - 26 mars 2019.
Commenter