France — Le mouvement de dénonciation des violences sexuelles, baptisé #Metoo, n'a pas épargné le monde médical. Bien au contraire. Cette vaste mobilisation a incité l'intersyndicale Action praticien hôpital (qui regroupe les intersyndicales Avenir hospitalier et la Confédération des praticiens des hôpitaux) à relancer une enquête sur l'équilibre entre vie privée et professionnelle pour les praticiens à l'hôpital public[1].
Pour la journée du 8 mars, les intersyndicales ont spécifiquement analysé les données de l'enquête sur le ressenti professionnel des femmes médecins, en distinguant les jeunes femmes médecins (nées après 1974), des autres.
Une impression semble se dégager : le statut à la fois de médecin et de femme constitue un obstacle pour les femmes médecins à l'hôpital.
L'enquête
Destinée aux hommes et aux femmes, tous âges et tous statuts confondus, l'enquête, réalisée sur un mois, a engrangé plus de 3100 réponses, soit un peu moins de 10% des 45 000 praticiens hospitaliers à qui elle a été adressée. L’âge moyen des répondants hommes/femmes est de 47 ans. Les femmes ont manifesté un intérêt évident pour cette étude, puisque 61% des répondants sont du sexe féminin. Le syndicat Jeunes médecins, qui s'est associée à cette enquête, l'a pour sa part postée à ses adhérents et partagée sur les réseaux sociaux.
Charge de travail et épuisement
Ainsi, à l'instar de la totalité des médecins sans considération de genre, les femmes médecins travaillent beaucoup, 56% travaillent plus de 50 heures par semaine, 88% plus de 40 heures. Elles sont donc sujettes à une forme d'épuisement chronique. 58% d'entre elles disent ressentir ce type d'épuisement versus 46 % des hommes, un taux qui peut monter jusqu'à 62% pour les jeunes femmes médecins. Signe révélateur, plus de la moitié d'entre elles ont été malades en 2018, mais n'ont pas osé se mettre en arrêt maladie. Un quart de ces dernières n’a pas osé se mettre en arrêt à cause de la charge de travail et des collègues..
Une vie familiale qui empiète sur le travail
À ces difficultés liées au statut s'ajoutent celles liées au genre. Ainsi, la « répartition des tâches domestiques et ménagères est très asymétrique entre les hommes et les femmes », rappellent les syndicats de praticiens hospitaliers, qui ajoutent que le haut niveau d'étude ne change rien à la donne.
Cette inégalité dans la prise en charge des tachestâches ménagères ne varie pas selon les générations : les femmes de moins de 45 ans sont tout aussi concernées par ce problème que les autres.
On note également que 62% des femmes utilisent leur repos de sécurité pour s’occuper des enfants ou pour les tâches domestiques (versus 25% pour les praticiens hommes).
Enfin, globalement, les femmes consacrent moins de temps à leur profession quand elles sont à leur domicile, du fait de la charge de travail ménagère (61% des hommes contre 48% des femmes).
Renoncements
On peut aussi supputer que leur moindre représentation à des postes de responsabilité institutionnelle est aussi due à leur plus forte responsabilisation familiale et ménagère. Ainsi, selon le centre national de gestion (CNG), si 45,6% des PH anesthésistes-réanimateurs sont des femmes, seulement 8,8% des PU-PH de cette spécialité sont de sexe féminin. « Cela ressemble plus à du renoncement personnel et à une autocensure au vu de la charge nécessaire pour construire cette carrière HU en même temps qu’on construit sa vie familiale », ajoute les auteurs de cette étude.
Si les femmes renoncent aux responsabilités, elles tirent également un trait sur leur formation : 55% des jeunes femmes renoncent à leur droit à la formation, contre 49% pour l'ensemble des femmes, et 33% chez les hommes.
« Ces chiffres sont inquiétants, car la formation continue en médecine est un fondement, pour la qualité des soins prodigués, mais aussi pour l’intégration dans l’équipe et les projets professionnels », s'inquiètent les syndicats.
Pire, les femmes renoncent même aux avantages liés à leurs conditions. La moitié des femmes qui ont répondu à cette enquête n'ont pas pris, par exemple, leur congé maternité pour des problèmes de carrière et 16% n'ont pas osé le prendre. De la même manière, l'arrêt de travail de nuit au troisième mois de grossesse n'est pas respecté par 6 jeunes femmes sur 10.
Frustration
Ainsi les femmes médecins se sentent plus souvent frustrées que les hommes. Si elles avaient moins de contraintes familiales, dit l'enquête, elles aimeraient travailler plus (25% contre 18% chez les hommes), se former davantage (49% contre 33% pour les hommes), s'investir plus souvent dans des missions transversales (31% contre 24,4% pour les hommes). Près de 70% des femmes interrogées pensent qu'elles auraient fait une autre carrière si elles avaient été des hommes, et un tiers d'entre elles sont convaincues que leur grossesse les a pénalisées.
Discrimination positive ?
Résultat, les femmes médecins revendiquent plus souvent la mise en place d'une discrimination positive que les hommes pour les postes à responsabilité : 47% des femmes sont favorables à la parité pour les postes de HU contre 28% des hommes, 52% pour les postes de chef de pôle, et 53% pour les postes de directeur d'hôpital.
Quelles solutions ?
Des solutions, il y en a. Elles sont au nombre de quatre pour l'intersyndicale :
campagne de sensibilisation aux maltraitantes diverses,
CHSCT ouvert aux médecins,
droits syndicaux ouverts aux médecins,
observatoire des discriminations sexuelles.
Aussi, interrogées sur ce qui changerait leur vie à l’hôpital, les femmes ont répondu :
pouvoir moduler sa carrière sans conséquences pour celle-ci (44%),
moins d’heures de travail par semaine (40%),
des crèches hospitalières ouvertes aux médecins (34%),
des remplacements en cas de congés maternité (32%),
mieux pouvoir prévoir son heure de sortie le soir (31%),
limiter le temps de travail des médecins.
L'intersyndicale stipule « qu'une augmentation des rémunérations est notée en deuxième position (43%), mais par rapport aux hommes (61%) c’est moins notable, les attentes sont plus diverses et correspondent bien au constat d’une mauvaise adéquation vie privée / vie professionnelle à l’hôpital. »
Le harcèlement largement impuni
L'enquête a consacré plusieurs questions au harcèlement.
Concernant le harcèlement sexuel, 15% des femmes disent l'avoir subi, et 18% en avoir été témoin.
« Le profil type du harceleur est un homme, médecin, en relation de pouvoir », établissent les syndicats.
Mais en « l’absence de données comparatives sur les autres groupes professionnels, il est dur de conclure sur cette prévalence. Cela nécessiterait une vraie enquête pour savoir quels types de harcèlements, quel retentissement sur les victimes ».
Toutefois, les auteurs de cette enquête s'inquiètent du peu de considération pour ces cas, avérés ou non, de harcèlement sexuel.
Dans 83% de ces situations, les incidents de harcèlement sexuel n'ont pas été rapportés à l'institution ou ont été ignorés. 11% ont donné lieu à des plaintes au sein de l'hôpital, 3% ont déposé plainte au pénal, et 7% des personnes mises en cause ont été sanctionnées.
Concernant le harcèlement ou les humiliations morales : 33% n’ont jamais assisté à ces humiliations, donc 67% en ont été témoins.
Là aussi, on assiste à omerta et impunité (aucune conséquence, c’est habituel 37%; rien de porté à la connaissance de la communauté hospitalière 31%; réprobations informelles au sein du service 17%; plainte formelle au sein des structures de l’hôpital 10%; sanction 3%; plainte en pénal 1,5%).
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Citer cet article: Enquête femmes médecins à l'hôpital : encore trop d'inégalités liées au sexe - Medscape - 15 mars 2019.
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