POINT DE VUE

Cybersexe chez l'ado : faut-il en parler en consultation ?

Julien Moschetti

Auteurs et déclarations

25 mars 2019

Dr Serge Hefez

Paris- France--De nos jours, tout le monde, y compris les adolescents, a facilement accès à des contenus pornographiques gratuits sur Internet. Psychiatre responsable de l’Unité de thérapie familiale à l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière, le Dr Serge Hefez a reçu en consultation des adolescents souffrant de troubles sexuels et d’addiction au cybersexe. Il revient pour Medscape sur les conséquences d’une consommation excessive de pornographie pour les ados : vision inappropriée de la sexualité, traumatismes, phobies, évitements… Mais aussi sur les manières d’aborder ce sujet tabou en consultation.

Medscape France : Un nombre croissant de jeunes souffrent d’addiction au cybersexe . Le médecin doit-il évoquer ce sujet en consultation ?

Dr Serge Hefez : Les adolescents parlent rarement de pornographie de manière spontanée. C’est un sujet qui vient plus facilement si on pense à les interroger là-dessus, mais ce n’est quasiment jamais présenté d’emblée comme un problème. Parler de sexualité devrait faire partie de l’interrogatoire banal d’un médecin qui reçoit un adolescent en consultation. Il ne s’agit pas de lui demander de but en blanc s’il regarde du porno, mais de lui poser deux à trois questions sur sa sexualité pour savoir où il en est. C’est comme ça que j’ai découvert plusieurs cas d’adolescents qui avaient sombré dans cette addiction. En général, ils regardent de la pornographie plusieurs fois par jour et ont un besoin compulsif de se masturber. Dès qu’ils ont un moment de libre, ils vont soulager leurs tensions internes en se masturbant devant du porno.

A partir de quand l’usage devient problématique pour les adolescents ?

Dr S. Hefez : Cela devient problématique à partir du moment où ils se rendent compte que la consommation de pornographie devient plus forte qu’eux. On parle d’addiction quand quelque chose ne vous appartient plus, quand vous appartenez à l’objet ou à l’activité. La pornographie dope le circuit de récompense qui doit être stimulé de plus en plus car on dépasse régulièrement des seuils d’excitation habituels. C’est ainsi que le risque d’addiction augmente. J’observe aussi une escalade dans les images visionnées par les ados. Ils commencent par du porno assez banal, puis, petit à petit, le seuil d’excitation devient de plus en plus exigeant, les images regardées de plus en plus obscènes. Ils finissent par être gênés par ce qu’ils regardent et ont le sentiment d’être en désaccord avec eux-mêmes quand ils sont excités par ce genre de films.

Cela devient problématique à partir du moment où ils se rendent compte que la consommation de pornographie devient plus forte qu’eux.

 
Cela devient problématique à partir du moment où ils se rendent compte que la consommation de pornographie devient plus forte qu’eux. Dr Serge Hefez
 

Que se passe t-il dans la tête des adolescents qui découvrent la pornographie ? Est-ce que cela peut être source de traumatisme ?

Dr S. Hefez : Certains ados n’en sont même pas encore au stade du questionnement sur la sexualité lorsqu’ils découvrent la pornographie. Cela peut créer chez certains un rapport traumatique à la sexualité, des phobies, des évitements, voire avec des troubles obsessionnels compulsifs car l’adolescent répétera le traumatisme qui a quelque chose d’hypnotique, de captivant.

Quelles sont les conséquences de la consommation de pornographie sur la sexualité des adolescents ?

Dr S. Hefez : La pornographie déplace les normes et crée de nouveaux standards. Les normes et la diversité des pratiques sexuelles des jeunes ont bien évolué depuis une vingtaine d’années, si l’on s’en tient aux rapports sur la sexualité. Les types de rapports sexuels ont changé. Par exemple, la fellation ou le cunnilingus sont aujourd’hui très largement généralisés dans les rapports sexuels entre garçons et filles, ce qui n’était pas le cas avant. C’est une bonne chose car les adolescents ont une meilleure connaissance de leur corps et de son fonctionnement. Mais la consommation de pornographie peut provoquer un sentiment de ne pas être à la hauteur chez les jeunes. Quand ils regardent du porno, ils voient de grands pénis en érection durant plusieurs heures et se rendent compte que cela ne se passe pas comme ça dans la réalité, cela peut donc créer des brouillages. On retrouve ce sentiment de ne pas être à la hauteur chez les filles, car elles ne peuvent ou n’ont pas envie d’en faire autant que ce qui est montré. La pornographie peut provoquer chez elles des inhibitions : elles ont peur de leur corps, de la sexualité, des garçons… D’autres adopteront un rôle qu’elles n’ont pas forcément intégré, en prenant par exemple des postures sexuelles qui ne sont pas naturelles pour elles.

La consommation de pornographie peut provoquer un sentiment de ne pas être à la hauteur chez les jeunes.

 
La consommation de pornographie peut provoquer un sentiment de ne pas être à la hauteur chez les jeunes. Dr Serge Hefez
 

Est-ce que la consommation excessive de pornographie peut aboutir à des représentations perturbées de la sexualité chez les adolescents ?

Dr S. Hefez : Il y a dans la pornographie quelque chose qui produit des clivages dans la sexualité et la relation à l’autre, notamment la relation affective. Je ne dis pas qu’il faut absolument être fou amoureux chaque fois qu’on a une relation sexuelle, mais il est quand même souhaitable qu’il y ait une relation émotionnelle et sentimentale, ce qui n’apparait quasiment pas dans le porno. Dans la pornographie, ce qui se passe au niveau des corps est de l’ordre de la performance, voire de la soumission ou de la domination. Or, ce n’est pas ce que les ados attendent, car, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ils sont très sentimentaux. Donc, le challenge pour eux, c’est de concilier leur épanouissement sexuel et la relation sentimentale à l’autre. La plupart ne se débrouillent pas trop mal, en partie grâce à cette « sentimentalité ».  Le rapport au corps et à l’autre s’est libéré entre les garçons et les filles depuis une vingtaine d’années. Ils sont dans l’ensemble moins inhibés, moins craintifs par rapport à la sexualité.

 
Le challenge pour [les ados], c’est de concilier leur épanouissement sexuel et la relation sentimentale à l’autre. Dr Serge Hefez
 

Le challenge pour [les ados], c’est de concilier leur épanouissement sexuel et la relation sentimentale à l’autre.

 

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