Addiction au cybersexe chez les jeunes adultes : quelle prise en charge ?

Julien Moschetti

Auteurs et déclarations

6 mars 2019

Paris, France -- Selon une enquête menée auprès d’un échantillon de jeunes de 14 à 24 ans publiée en 2018, 9 % d’entre eux regardent quotidiennement de la pornographie, tandis que 15 % des 14-17 ans en visionnent au moins une fois par semaine.

De quoi inquiéter les spécialistes de l’addiction qui constatent une consommation croissante de pornographie chez les jeunes, en raison notamment de son accessibilité sur Internet. (Lire De plus en plus d’addiction au cybersexe chez les jeunes : pourquoi faut-il s’en inquiéter ? )

Quels sont les facteurs principaux et les conséquences éventuelles de ces usages problématiques ? Comment la dépendance s’installe ? Quels sont les profils psychologiques des adolescents et des jeunes adultes souffrant d’addiction au cybersexe ? Est-ce que la consommation excessive de pornographie génère une vision inappropriée de la sexualité, des modèles sexuels biaisés ?

Pour le savoir, nous avons interrogé le Dr Pauline de Vaux, psychiatre addictologue au service d’addictologie de l'Hôpital Européen Georges Pompidou (HEGP).

Si l’AP-HP ne propose pas de consultations spécifiques en « cyberaddiction sexuelle » comme l’hôpital Marmottan, le Dr de Vaux n’en demeure pas moins l’une des plus grandes spécialistes de l’addiction au cybersexe en France. Interview.

Medscape édition française : Quelle prise en charge proposez-vous aux jeunes qui souffrent d’addiction à la pornographie ? Quels messages essayez-vous de leur faire passer ?

Dr P. de Vaux : Je leur parle des notions de désir, de plaisir, de finalité… Je leur explique ce qui fait de nous des êtres humains, des personnes. Contrairement à nous, les animaux n’ont pas de finalité, ils ne peuvent donc pas avoir de projet, ils ne construisent pas leur vie. Ce qui est terrible avec l’addiction, c’est que l’on descend même en dessous du règne animal. Je travaille donc avec les jeunes sur les émotions, les peurs, la finalité de la personne, sur ce qui est important ou a du sens pour elle… Je leur explique que les émotions qu’ils ont au fond de leur cœur ont du sens, qu’elles vont faire office de boussole pour diriger leur vie. Je leur propose de tenir un journal de bord pour noter tous les jours leurs consommations et les émotions qui les accompagnent.

Comment aidez-vous les jeunes à se reprendre progressivement en main ?

Dr P. de Vaux : Le fait de confier à quelqu’un sa douleur est déjà un grand pas vers la guérison. Donc, je les écoute, je fais des arbres généalogiques pour regarder ce qui s’est passé dans leur enfance, déterminer quelle était leur place dans la famille, chercher ce qui a pu être traumatisant, difficile pour eux… Les personnes qui sombrent dans la pornographie ont souvent subi des humiliations dans leur enfance. Cette lente reconstitution des événements traumatiques de leur vie leur permet peu à peu de reprendre en main leur existence. Je repère aussi ce qui leur manque. Pour être heureux, il faut des amis, il faut travailler à l’école, avoir des loisirs, faire du sport, avoir des désirs… C’est tout cela que l’on va reconstruire. Quand on souffre d’une addiction, on a tendance à passer le samedi soir et le dimanche après-midi chez soi devant son ordinateur au lieu de sortir avec ses amis. Accompagner les jeunes, c’est trouver avec eux des activités intéressantes pour vivre une autre vie.

Comment sortir les jeunes de la tristesse de l’addiction au cybersexe pour les amener vers la joie ?

Dr P. de Vaux : La joie provient en général de la réalisation d’un acte dont on est fier. Le petit enfant qui a fait un pâté de sable est joyeux car il est fier que son pâté de sable ressemble à un château. Je propose donc aux jeunes d’aller vers des actes gratuits et altruistes pour qu’ils soient fiers d’eux-mêmes.

L’un de mes patients actuels ne supportait plus de passer son temps à se masturber. Il s’occupe désormais d’enfants dans un orphelinat, cela commence à produire ses effets. Sortir de l’addiction consiste à remettre de la finalité et de la gratuité dans sa vie, car rien n’est gratuit dans l’addiction.

Il s’agit donc de revenir à une vie relationnelle vraie, de sortir de l’impulsivité, de passer du passage à l’acte au passage à l’être, d’être à l’écoute de ses propres émotions, de se donner la liberté de faire des erreurs, de renoncer à la toute puissance, de s’accueillir comme un être « impuissant »…

Si je suis un être impuissant, je n’aurai pas d’autre choix que d’être un être relationnel, je vais avoir besoin des autres pour vivre puisque je ne suis pas autosuffisant. C’est d’autant plus vrai pour les adolescents qui se construisent par l’expérience. Il faut donc les sortir de l’individualisme, les remettre dans le collectif, dans le service aux autres, les aider à combattre l’angoisse de mort en les poussant à construire des choses dans leur vie, pour leur vie.

Je les aide à redevenir des hommes et des femmes, avec toute leur complexité, mais aussi toute leur vulnérabilité. Souvent, les addicts ont été blessés dans leurs attachements précoces : attachements sexuels, manque d’amour, solitude, divorce des parents… Ce sont donc des personnes qui ont du mal à s’attacher alors qu’elles désirent tellement s’attacher ! Le produit vient court-circuiter tous les processus d’attachement. Il faut donc remettre en place des relations amicales, affectives, amoureuses, scolaires, professionnelles de qualité.

Que conseilleriez-vous aux médecins qui rencontrent en consultation des jeunes qui ont des troubles sexuels ?

Dr P. de Vaux : La plupart des médecins interrogent peu leurs patients sur une consommation problématique de pornographie et sous-estiment les dégâts chez les personnes. Il est important de dédramatiser et d’expliquer les conséquences d’une consommation excessive de pornographie sur la sexualité et l’humeur.

La première mission d’un médecin ou d’un intervenant dans le domaine, c’est de redonner de l’espérance au patient, de le rassurer en lui disant que des solutions existent, qu’il y a des personnes compétentes pour l’aider…

Je propose aussi parfois aux patients d’acheter des livres traitant de la pornographie pour qu’ils puissent s’aider eux-mêmes. Ils peuvent encore travailler avec la part de force, de liberté, de curiosité qu’il leur reste. Enfin, il faudra dans un deuxième temps chercher les blessures, les peurs, les facteurs qui empêchent de changer, ce qui nécessitera sans doute l’aide de professionnels de l’addiction ou de psychologues.

 

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