Washington, Etats-Unis — L'American Headache Society (AHS) a publié un consensus d’experts sur la prise en charge de la migraine, dans l’objectif notamment de définir la place des nouvelles thérapies, dont celle par anticorps monoclonaux anti-CGRP, récemment approuvée dans la prévention des crises de migraine chez l’adulte [1].
« Les progrès observés dans la recherche sur la migraine se sont traduits par l’arrivée de nouveaux traitements, qui peuvent s’avérer très utiles pour les patients », s’est enthousiasmé le Dr Katlheen Digre (University of Utah Hospital, Salt Lake City, Etats-Unis), présidente de l’AHS, interrogée par Medscape édition internationale .
« Nous espérons pouvoir guider les praticiens dans le choix des thérapies, notamment pour savoir quand utiliser les traitements préventifs, et apporter des conseils sur la prise en charge des crises de migraine, sans oublier les médicaments plus anciens. Il existe désormais un large éventail thérapeutique que les praticiens doivent pouvoir mettre à profit. »
La grande nouveauté de ces recommandations est bien entendu la place accordée aux nouveaux traitements préventifs par immunothérapie visant le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP), un peptide ayant un rôle important dans la physiopathologie de la migraine. Elles évoquent également de nouvelles perspectives dans le traitement des crises avec le développement des gépans, anti-CGRP administrés par voie oral.
Dans le cas des traitements de fond visant à prévenir les crises, « l’arrivée d’une thérapie spécifique est une évolution majeure », a commenté auprès de Medscape édition française, le Dr Michel Lanteri-Minet (CHU de Nice). « Aucun des traitements préventifs oraux jusqu’à présent disponibles n’a été conçu spécifiquement contre les migraines, ce qui peut expliquer la faible adhésion des patients à ces traitements ».
En ce qui concerne les autres approches thérapeutiques, le neurologue a également souligné le développement de la neuromodulation, notamment par stimulation non invasive du nerf vague, « l’une des méthodes les plus concluantes ».
Prévenir par l’immunothérapie
L’anticorps monoclonal érénumab (Aimovig®), Novartis) est le premier médicament de la classe des anti-CGRP à avoir été approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) en prévention des crises de migraine chez l’adulte. Il a été validé par l’Agence européenne du médicament (EMA) en août 2018, quelques mois avant le galcanezumab (Emgality®, Eli Lilly) et le fremanezumab (Ajovy®, Teva). Un quatrième anticorps, l’eptinezumab, devrait être autorisé courant 2019.
Ces médicaments s’administrent principalement en auto-injection par voie sous-cutané, à raison d’un injection par mois (érénumab, galcanezumab) ou par trimestre (fremanezumab). Dans le cas de l’érénumab, le traitement préventif est associé dans les essais cliniques à moitié moins de journées migraineuses par mois [2]. Lors d’une extension d’étude, des patients ont pu être libérés des migraines épisodiques après 15 mois d’utilisation.
Dans un premier temps, la prescription de ces anticorps, qui ne sont pas encore disponibles en France, devraient être réservés aux médecins expérimentés dans le traitement de la migraine. Dans le cas de Aimovig®, il sera indiqué pour les personnes souffrant de migraine au minimum quatre jours par mois.
Publié dans Headache et disponible en accès libre, le document de consensus a été élaboré en reprenant les recommandations des sociétés savantes et les données récentes des essais cliniques.
Dans ce document, la migraine épisodique est définie par moins de 15 journées par mois avec un mal de tête (Monthly Headache days - MHD) ou des migraines (Monthly Migraine Days - MMD). La migraine chronique est caractérisée par au moins 15 MHD, dont 8 jMMD (douleurs accentuées à l’effort, d’intensité variable, sensibles au bruit…).
Traitement préventif: par voie orale ou injectable
Pour éviter les récidives, il existe un large choix thérapeutique, en fonction de l’intensité des crises et de leur fréquence. On peut citer le traitement oral par dihydroergotamine, les antiépileptiques, les bétabloquants, les antisérotonines ou encore le flunarizine, un inhibiteur calcique.
Parmi les traitements de fond ayant fait leur preuve, les auteurs citent les antiépileptiques (topiramate, valproate de sodium), qui doivent cependant être exclus chez les femmes en âge de procréer en raison d’un risque tératogène. S’y ajoutent les béta-bloquants (propanolol, métoprolol, timolol) et le frovatriptan en prévention des migraines liées au cycle menstruel.
Les autres traitements considérés comme « probablement efficaces » en prévention incluent certains antidépresseurs (amitriptyline, venlafaxine), des béta-bloquants (atenolol, nadolol) et le candésartan, un antihypertenseur de la famille des inhibiteurs de l’angiotensine.
Les experts précisent que ces traitements de fond ont une efficacité modérée et sont souvent associés à des effets indésirables (fatigue, prise de poids, somnolence…), ce qui peut expliquer un taux d’adhésion généralement très faible, évalué entre 3 à 13%.
« Beaucoup de patients arrêtent leur traitement dès la première semaine, essentiellement parce qu’ils concluent à un manque d’efficacité », confirme le Dr Lanteri-Minet. Il faut pourtant trois mois minimum pour évaluer l’efficacité d’un traitement sur la fréquence d’apparition et l’intensité des crises de migraines, rappelle-t-il.
Indications inchangées
Selon le consensus, les indications pour un traitement de fond restent inchangées. Il est à envisager lorsque les crises de migraines ont des répercussions sur la vie quotidienne, même en traitant les crises, lorsque le patient présente au moins 4 MHD ou est atteint de formes rares (migraine hémiplégique, migraine avec aura prolongée…).
Pour un traitement oral en prévention des crises de migraines, les recommandations sont les suivantes :
Utiliser si possible un traitement dont l’efficacité s’appuie sur un niveau de preuve suffisant;
Initier le traitement avec une faible dose, puis la faire évoluer progressivement vers la dose thérapeutique efficace;
Mettre sous traitement pendant un délai suffisant ( au moins huit semaines) pour évaluer son efficacité. L’effet du traitement peut encore s’améliorer au delà de six mois;
Etablir des attentes réalistes concernant la réponse au traitement et le risque d’effets indésirables;
Maximiser l’observance en informant correctement le patient et en modérant les attentes concernant l’efficacité du traitement.
Concernant les nouveaux traitements préventifs par injection d’anti-CGRP, ils pourront être envisagés après échec d’au moins deux traitements conventionnels, indique le consensus. L’AHS note qu’ils agissent généralement plus rapidement et que « l’ajustement de la dose n’est pas nécessaire ».
« On devrait a priori traiter les patients souffrant de migraine pendant au moins 8 jours par mois et en échec de traitement pour deux à quatre traitements de fond conventionnels, soit le même profil de patient inclus dans les études cliniques », a précisé le Dr Lanteri-Minet. « Si on peut contrôler un tiers de ces patients difficiles à traiter ce serait un bon résultat ».
Au CHU de Nice, où les trois anticorps approuvés ont pu être testés, « on a obtenu une réponse en moyenne dans 50% des cas et parfois jusqu’à 70% chez les super répondeurs, qu’on ne sait pas encore identifier », ajoute le neurologue, qui n’a pas observé de différences d’effet selon les molécules. « Une patiente a pu ainsi passer de 20 jours à un seul jour de migraine par mois ».
L’utilisation de ces thérapies devraient toutefois être freinée par leur coût. Aux Etats-Unis, la dose de 70 mg d’érénumab est vendue 600 euros. En France, les négociations sont encore en cours pour fixer le prix de ce traitement, qui devrait être le premier à être commercialisé.
Selon les recommandations, la biothérapie est à ajouter au traitement préventif oral, dans le strict respect des indications, qui sont détaillées dans le document. Le traitement est ensuite à évaluer tous les trois mois. Les conditions justifiant de prolonger ou non le traitement sont également énumérées dans les recommandations.
D’ailleurs, concernant l’efficacité des traitements préventifs dans leur ensemble, les experts ont énuméré les indicateurs sur lesquels s’appuyer pour évaluer leur effet et ménager les attentes des patients. Ils précisent notamment qu’un traitement préventif est jugé efficace lorsqu’il permet de réduire de moitié les journées migraineuses sur un mois.
Il convient aussi, selon eux, de tenir compte d’autres facteurs, comme l’évolution de l’intensité de la douleur ou l’amélioration des symptômes et de la qualité de vie.
Traitement des crises: les gépans en développement
Dans le cas du traitement aigu des migraines, le document énumère les recommandations suivantes:
Utiliser si possible un traitement dont l’efficacité est suffisamment prouvée
Initier le traitement au plus tôt, dès les premiers signes de douleur;
Eviter le traitement par voie orale lorsque les crises sont associées à des nausées ou en cas de difficulté à avaler (privilégier les traitements par voie intranasale);
Surveiller la tolérance et la sécurité des traitements prescrits;
Envisager un deuxième traitement auto-administrable en cas d’échec;
Eviter de prolonger abusivement les traitements ou de les multiplier.
Les traitements dont l’efficacité a été démontrée en phase aiguë contre les migraines d’intensité faible à modérée comprennent les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les analgésiques non opioïdes, le paracétamol ainsi que les combinaisons d’antalgiques contenant de la caféine
En cas de crises de migraine modérées ou sévères, il est recommandé d’utiliser des traitements plus spécifiques représentés par le dihydroergotamine ou les triptans, également indiqués en deuxième intention dans le traitement des migraines d’intensité faible à modérée.
Parmi les nouveaux traitements en cours de développement, les auteurs évoquent la famille des gépans, d’autres antagonistes du CGRP administrables par voie orale. La nouvelle génération de ces médicaments serait mieux tolérée. Ils seront probablement indiqués en deuxième ou troisième intention après échec ou intolérance aux triptans.
Des essais cliniques menés avec le rimegepant ont montré une disparition de la douleur chez 20% des patients après deux heures, contre 12% dans le groupe placebo. Le rimegepant ou l’ubrogepant pourraient être autorisés courant 2019.
« Les AINS et les triptans sont effectivement des bons traitements de crise en première intention », selon le Dr Lanteri-Minet. Concernant les gépans, « ils pourraient être utilisés chez les patients à risque vasculaire. Mais il reste à savoir s’ils peuvent être utiles chez les patients non répondeurs après un traitement par triptans ».
La neuromodulation validée
Enfin, s’agissant du traitement par neuromodulation ou des thérapies cognitives et comportementales, les experts estiment que ces alternatives « peuvent être envisagées en prévention comme en traitement en phase aiguë, en fonction des besoins des patients », notamment chez les femmes enceintes ou en âge de procréer.
La stimulation magnétique transcrânienne et la stimulation électrique du nerf trijumeau ou du nerf vague ont récemment été approuvés par la FDA en prévention ou en traitement de crise. « La neuromodulation peut s’avérer utile chez les patients qui préfèrent une thérapie non médicamenteuse ou qui répondent mal, ne tolèrent pas ou ont des contre-indications avec le traitement pharmacologique », précise l’AHS.
« Il y a beaucoup d’attentes vis-à-vis de la neuromodulation de la part des patients, de plus en plus nombreux à vouloir se détourner de l’option pharmacologique. Il serait toutefois utile de savoir si ces traitements sont plus efficaces en étant combinés aux médicaments, ce qui n’a pas été évalué », regrette le Dr Lanteri-Minet.
« Pour le moment, la technique qui a rapporté les résultats les plus concluants dans les études est celle de la stimulation électrique du nerf vague. Celle s’appuyant sur la stimulation du nerf trijumeau (Cefaly®) semble aussi intéressante ».
Concernant le biofeedback, les thérapies cognitives et comportementales (TCC) ou la relaxation, il existe des preuves de niveau A de leur efficacité dans le traitement ou la prévention des crises de migraine, qu’elles soient envisagées seule ou en association avec un traitement pharmacologique, notent les auteurs.
Ils précisent que l’intérêt de ces traitements n’est pas à négliger car ils peuvent s’avérer utiles chez certains patients, tout comme l’adoption de règles hygiéno-diététiques, visant à améliorer son régime alimentaire, à pratiquer une activité physique ou à bien s’hydrater.
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Citer cet article: Prises en charge des migraines : nouvelles recommandations américaines - Medscape - 4 mars 2019.
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