Souffrance au travail des PH : les médecins du travail dénoncent sa recrudescence

Philippe Anaton

1er mars 2019

France -- C'est un courrier qui a fait du bruit. Daté du 11 février 2019, soit une semaine après le suicide du Pr Barrat, il est adressé au Pr Agnès Buzyn, ministre de la santé et des affaires sociales, et signé par le Dr Hélène Beringuier, présidente de l'association nationale de médecine du travail et d'ergonomie du personnel des hôpitaux ( ANMTEPH ).

« Je vous écris suite à l'émotion suscitée chez de nombreux médecins du travail hospitaliers à l'annonce de ce nouveau suicide sur le lieu de travail », commence le Dr Beringuier. La médecin du travail, comme de nombreux syndicalistes et collègues de travail du Pr Barrat, s'indigne de l'interprétation hâtive, par l'AP-HP de ce geste désespéré, comme l’a rapporté le magazine What’s up Doc.

« Il est choquant de lire, dès le lendemain, que ce geste serait la conséquence de sa maladie (et le secret professionnel ?) ». Et d'ajouter : « une cause, un effet, qui peut le croire ? » Car les médecins du travail s’inquiètent chaque jour dans les hôpitaux d’« une souffrance de plus en plus marquée des médecins hospitaliers ». « Il n'est plus rare de voir en consultation au travail, à leur initiative ou à celle d'un collègue inquiet, des médecins épuisés, perdus, perdant pied : des charges de travail trop importantes, des objectifs financiers devenus prioritaires, des restructurations pas toujours comprises, des équipes de soignants trop changeantes pour instaurer la confiance nécessaire dans le travail en équipe... ».

« Faire de la prévention »

Le Dr Hélène Beringuier enjoint la ministre de la santé d'encourager la mise en place de politique de prévention : « Faire de la prévention ne peut être qu’une démarche participative, qui nécessite courage, volonté et réalisme. Tous les personnels qui, à ce jour, ont payé de leur santé méritent bien que directions, représentants des personnels médicaux et non médicaux et acteurs de prévention y travaillent de concert avec l’implication des ARS et de la DGOS, et avec des évaluations objectives des résultats.

Contactée, le Dr Beringuier détaille les raisons qui l'ont poussée à rédiger cette missive : « À chaque suicide de praticiens hospitaliers, la communauté hospitalière est saisie par l'émotion. Mais une fois qu'elle est retombée, aucune décision n'est prise. Nous voulons que le ministère agisse. » Le Dr Beringuier nous rappelle également que le nombre de médecins en souffrance a augmenté soudainement depuis huit à dix ans. « Auparavant, les praticiens hospitaliers venaient pour des visites de routine ou lors d'accident d'exposition au sang. Là, désormais, ils viennent de plus en plus souvent nous consulter pour de la souffrance au travail. Ils sont en perte de sens, car leur métier, c'est soigner, et on leur demande de plus en plus souvent de faire de la finance, des comptes. »

Faire de la prévention ne peut être qu’une démarche participative, qui nécessite courage, volonté et réalisme.

Observatoire de la souffrance au travail

Ce constat est à mettre en parallèle avec le bilan de l'observatoire de la souffrance au travail (OSAT) du syndicat de praticiens hospitaliers Action praticiens hôpital. Pour l'année 2018, l'OSAT a enregistré 64 fiches de souffrance déclarées. Sur une échelle de 1 à 10, cette souffrance était évaluée à 8 pour les déclarants, avec un danger imminent dans 50% des cas. Dans 81% des cas, cette souffrance causait des troubles du sommeil, dans 59% des troubles anxiogènes-dépressifs, et des troubles alimentaires dans 41% des cas.

Cette souffrance était aussi la cause d'un arrêt de travail de plus de deux semaines dans 36% des cas.

Les causes de cette souffrance ? L'arbitraire de la gouvernance pour 55% des déclarants, un dialogue impossible avec les chefs de service ou chefs de pôle (48%), une pesanteur hiérarchique (48%), une surcharge de travail (47%), une présomption de harcèlement moral (44%), de la part de la direction ou de la hiérarchie médicale. Seuls 56% des répondants avaient un médecin traitant.

Pour rechercher un soutien, les déclarants avaient entrepris des démarches en s’adressant à leur supérieur hiérarchique dans 30% des cas, au président de CME (33%), à leur médecin traitant (30%), au médecin du travail (56%), auprès du Conseil départemental de l’Ordre des Médecins (13%), le Centre National de Gestion des Praticiens (11%), à un avocat (11%) et à l’ARS (9%). Les réactions allaient de la compréhension dans 64% des cas à une totale indifférence (36%), en passant par un soutien (54%), un parti-pris affiché pour l’autorité (34%), et une incitation au départ dans 31% des cas », note l'APH. (Voir aussi Enquête Medscape : les médecins français en burnout).

Ces données semblent recouper le constat de l'association des médecins du travail : la souffrance au travail des PH est avant tout causée par la gouvernance en place, et les politiques de prévention sont bien trop rares. Il faut agir.

 

 

 

 

 

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