Paris, France – La dernière grande expertise collective de l'Inserm « Activité physique, prévention et traitement des maladies chroniques » vient d'être rendue publique [1]. L'aspect interdisciplinaire de ce travail est exceptionnel : pour la première fois, l'organisme de recherche s'est penché non pas sur une seule maladie mais sur une dizaine de pathologies chroniques. L'analyse de près de 2000 références de la littérature internationale par 13 experts chercheurs a abouti à un rapport exhaustif de plus de 800 pages qui apportent les preuves de l'efficacité et de la sécurité de l'activité physique. Celle-ci devrait faire partie intégrante du traitement des maladies chroniques, plaident les auteurs, et devrait débuter le plus rapidement possible après le diagnostic et se poursuivre toute la vie.
La question n'est plus de savoir si dans le cadre d'une maladie chronique une activité physique régulière est nécessaire, elle l'est, mais de comprendre les mécanismes d'action de l'activité physique sur chaque pathologie, de trouver des programmes efficaces et d'augmenter l'adhérence des patients.
« Le temps où l'on disait à un malade de se reposer est révolu. Il faut bouger et maintenant nous disposons d'arguments scientifiques solides. C'est un changement de paradigme que médecins et patients doivent intégrer » ont souligné trois des experts invités à présenter leur travail lors de la journée de restitution de l'expertise collective.
Cancer, maladies cardiovasculaires, dépression...
Une dizaine de pathologies ont été passées en revue : le diabète de type 2, l'obésité, la bronchopneumopathie chronique obstructive, l'asthme, le cancer, les syndromes coronaires aigus, l'insuffisance cardiaque, l'accident vasculaire cérébral, l'artériopathie oblitérante des membres inférieurs, les maladies ostéoarticulaires, la dépression et la schizophrénie.
Quelques exemples permettent de comprendre les bienfaits de l'activité physique – trois séances hebdomadaires au minimum – pour les patients atteints d'une ou de plusieurs maladies chroniques.
« Pour les pathologies cancéreuses, des données croissantes indiquent que l'activité physique a des actions bénéfiques sur les douleurs, les neuropathies ou encore la cardiotoxicité des traitements. Quant à la fatigue, séquelle principale après un cancer puisqu'elle concerne 50 % des patients cinq ans après les traitements, elle est diminuée de 20 à 40 % selon les études grâce à l'activité physique » indique la Dr Béatrice Fervers (oncologue, Centre Léon Bérard, Lyon) qui précise qu' « avec trois millions de personnes en France vivant avec ou après un cancer, le recul est suffisant». La spécialiste a rappelé les résultats d'études prospectives dans le cancer du sein qui montrent une réduction de la mortalité globale (-40 %) et spécifique (-30%) ainsi que du risque de récidive (environ 5%) chez les patientes qui ont commencé l'activité physique au moment du diagnostic.
« Au niveau cardiovasculaire, l'activité physique chez des patients ayant eu un infarctus réduit de 20 % le risque de refaire un infarctus. En cas d'insuffisance cardiaque, elle diminue de 20 % le risque de ré-hospitalisation. Et pour les accidents vasculaires cérébraux, c'est une diminution de 15 à 20 % des récidives » explique le Dr François Carré (cardiologue du sport, CHU de Rennes). Il poursuit sa démonstration avec l'exemple spectaculaire du CHU de Rennes où sur 12 à 15 transplantations cardiaques prévues chaque année, un à deux patients sortent de la liste une fois ré-entraînés.
Pour la dépression légère à modérée, l'artériopathie oblitérante des membres inférieurs, le diabète de type 2 et l'obésité, l'activité physique est même le traitement de première intention. Ainsi les experts ont rappelé qu'avant toute prescription d'antidépresseurs, le médecin traitant devrait face à un patient dépressif prescrire trois séances hebdomadaires d'activité physique et faire le point au bout de trois mois.
Des objectifs spécifiques selon la pathologie
Les experts ont passé en revue les différentes pathologies chroniques étudiées et défini les programmes et objectifs :
Obésité : mettre l’accent sur la diminution du tour de taille comme paramètre de suivi plutôt que sur la perte de poids et proposer des programmes d’activité d’endurance ;
Diabète de type 2 : privilégier l’association du renforcement musculaire et des activités d’endurance dans des intensités modérées à fortes ;
Pathologies coronaires : inciter à poursuivre une activité physique régulière d’endurance à optimiser en jouant sur l’intensité de l’exercice ;
Artériopathie oblitérante des membres inférieurs : proposer la marche comme traitement de première intention ;
Insuffisance cardiaque : tous les patients peuvent bénéficier d’un programme de ré-entraînement à l’effort quel que soit le degré de sévérité de la pathologie, grâce à un entraînement régulier et progressif. Idéalement, 30 minutes d’activité modérée 5 fois par semaine dans la dernière phase du programme, qui doit être poursuivi tout au long de la vie ;
Accident vasculaire cérébral : réduire l’impact des séquelles neuromusculaires sur la qualité de vie du patient et prévenir les récidives en améliorant les capacités cardiorespiratoires et la force musculaire par une activité physique régulière intégrant la pratique des gestes journaliers ;
Bronchopneumopathie chronique obstructive : améliorer la qualité de vie et réduire les limitations fonctionnelles liées aux complications grâce à une activité physique régulière pérenne et variée (endurance, renforcement musculaire, natation, tai chi…) ;
Asthme : réduire l’importance et la fréquence des crises par l’amélioration du VO2max, de l’endurance et de la capacité d’exercice par des activités d’endurance ;
Pathologies ostéo-articulaires : prévenir et/ou réduire le handicap et la douleur à travers des programmes d’activité physique adaptée variés et une pratique pérenne ;
Cancers : améliorer la qualité de vie et réduire les effets secondaires liés au cancer et aux traitements (déconditionnement musculaire, fatigue, intolérance au traitement…) ainsi que les récidives en proposant des programmes combinant endurance et renforcement musculaire ;
Dépression : prévenir les récidives et améliorer les symptômes dépressifs par des programmes combinant endurance et renforcement musculaire.
Proposer des pratiques efficaces, ludiques et motivantes
Le rapport aborde le problème de l'observance à long terme, c'est-à-dire idéalement à vie, de l'activité physique chez les patients atteints d'une maladie chronique.
« 30 % des patients qui ont bénéficié d'une prescription médicale d'activité physique abandonnent au bout de six mois car ils n'ont pas intégré l'activité physique comme un soin à part entière » explique le psychologue et Pr Grégory Ninot (Université de Montpellier) qui souligne l'intérêt de l'entretien motivationnel auquel les médecins peuvent se former.
Embarqués dans la même galère
Pour améliorer l'adhésion des patients, le médecin doit miser sur les préférences des patients. Il faut proposer des pratiques efficaces mais également ludiques et motivantes. Les prescriptions d'activité physique ne doivent pas être standardisées mais au contraire très individualisées.
« Quand un patient cardiaque n'aime ni le vélo ni courir, il faut lui proposer autre chose. On peut très bien l'orienter vers du football en marchant – un sport d'équipe inspiré du football mais où les joueurs ont interdiction de courir (ndlr) » indique François Carré qui cite aussi l'exemple de ces femmes atteintes d'un cancer du sein qui pagayent dans des embarcations d'environ 12 mètres, ornées d'une tête de dragon (dragon boat) pour des entraînements plusieurs fois par semaine. L’initiative a vu le jour au Canada, avant d'arriver en France d'abord à Reims, puis à Rennes. Les avantages sont nombreux : oublier la maladie le temps de l’effort, bénéficier des bienfaits de l’activité physique sur la récidive et la fatigue, lutter contre le phénomène du lymphœdème ou « gros bras » et créer un esprit de solidarité entre femmes « embarquées dans la même galère ».
Des freins à lever
Outre le fait que les patients poursuivent leur activité physique – initiée en guise de traitement – sur le long terme, les experts ont relevé d'autres freins à la mise en place de programmes efficaces, et notamment la formation des médecins. Un enseignement facultatif spécifique mis en place à la Faculté de médecine de Rennes a été accueilli très favorablement par les étudiants qui sont une grande majorité à le suivre.
De même, le rapport préconise la formation d'enseignant d'activité physique spécialisé, un « nouveau métier » pour lequel des connaissances approfondies des pathologies chroniques seraient requises. In fine, il faudrait que les patients puissent être adressés par leur médecin à des structures multidisciplinaires adaptées.
En outre, se pose à nouveau la question du remboursement du sport sur ordonnance.
Depuis la loi du 26 janvier 2016 (décret publié en mars 2017), les médecins peuvent prescrire de l’activité physique et sportive à leurs patients en affection à longue durée. Mais la question du remboursement n'a pas été tranchée par les autorités compétentes.
Les principales recommandations
1. Prescrire de l'activité physique pour toutes les maladies chroniques étudiées et l'intégrer dans le parcours de soin
2. Adapter la prescription d'activité physique aux caractéristiques individuelles et médicales des patients
3. Organiser le parcours du patient afin de favoriser l'activité physique à toutes les étapes de la pathologie
4. Associer à la prescription une démarche éducative pour favoriser l'engagement du patient dans un projet d'activité physique sur le long terme
5. Soutenir la motivation du patient dans la mise en œuvre de son projet
6. Former les médecins à la prescription d'activité physique
7. Former des professionnels de l'activité physique à la connaissance de la pathologie et à l'intégration de l'activité physique dans l'intervention médicale
8. Promouvoir des recherches
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Citer cet article: Expertise collective de l'Inserm : l'activité physique pour les malades chroniques, c’est parti! - Medscape - 27 févr 2019.
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