L’ANSM alerte sur la hausse des surdosages liés aux anti-douleurs opioïdes

Vincent Richeux

27 février 2019

Paris, France — En France, en 2015, près de dix millions de personnes ont reçu un anti-douleur opioïde sur prescription, selon un bilan de l’Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM), qui rapporte également une hausse de la mortalité liée à un mauvais usage, autant avec les opiacés « forts » qu’avec ceux dit « faibles » (tramadol, codéine…) [1].

« Bien que la situation ne soit pas comparable à celle des États-Unis, un certain nombre d’indicateurs incitent à une vigilance accrue de la part des autorités et des professionnels de santé », souligne l’agence, qui propose plusieurs mesures pour prévenir les risques et favoriser une meilleure utilisation de ces médicaments.

« Nous sommes très loin du niveau atteint par les Etats-Unis, en termes de mortalité notamment. En France, les conditions de prescription sont plus strictes et la promotion des médicaments mieux contrôlée », a souligné la Directrice adjointe des médicaments en neurologie, antalgie et stupéfiants à l’ANSM, Nathalie Richard, auprès de Medscape édition française.

Néanmoins, des mesures combinées sont à mener pour limiter les risques, estime la spécialiste, qui a supervisé la rédaction du document. En plus d’améliorer l’information auprès des professionnels de santé et du grand public, « il est prévu de demander à l’industrie pharmaceutique de réduire la taille des conditionnements des opioïdes et le nombre de comprimés par boite ». 

Selon le bilan, près de 17% des Français se font prescrire un antalgique opioïde, majoritairement de faible intensité (tradamol, codéine et poudre d’opium), dix fois plus consommés que les antalgiques opioïdes « forts » (morphine, oxycodone, fentanyl), qui représentent 2% des antalgiques prescrits, en incluant les non-opioïdes (paracétamol, AINS…).

Bien que la situation ne soit pas comparable à celle des États-Unis, un certain nombre d’indicateurs incitent à une vigilance accrue.

L’oxycodone en forte hausse

Après le retrait du dextropropoxyphène en 2011, le tramadol a enregistré une forte progression (+68% en dix ans) pour devenir l’antalgique opioïde le plus consommé, autant en ville qu’à l’hôpital (voir encadré). On trouve ensuite la codéine, puis la poudre d’opium en association avec le paracétamol. Viennent enfin la morphine, premier opioïde fort consommé, l’oxycodone et le fentanyl.

Entre 2006 et 2017, la prescription d’opioïdes forts a augmenté d’environ 45%, essentiellement en faveur de l’oxycodone, qui a enregistré une très forte hausse (+738% en dix ans), ce qui a amené sa consommation au même niveau que celle du fentanyl. La prévalence d’utilisation de ces deux opioïdes talonne celle de la morphine, qui a, quant à elle, légèrement diminué (-18%).

Ces chiffres ont de quoi inquiéter car, rappelons-le, la crise des opioïdes qui touche les Etats-Unis est, en grande partie, liée à une hausse des prescriptions de fentanyl et d’oxycodone. Toutefois, la situation est encore loin d’atteindre le niveau dramatique observé Outre-Atlantique, où les opioïdes obtenus sur prescription sont responsables de 17 000 décès par an.

Toutefois, la situation est encore loin d’atteindre le niveau dramatique observé Outre-Atlantique, où les opioïdes obtenus sur prescription sont responsables de 17 000 décès par an.

Quatre décès par semaine

Ceci dit, l’ANSM souhaite alerter sur l’évolution de certains indicateurs. Le taux de notifications d’intoxication aux antalgiques opioïdes a ainsi doublé en dix ans, passant de 44 à 87 notifications sur 10 000 enregistrées, quasiment autant par opioïdes forts que faibles. Les trois substances les plus impliquées dans ces intoxications sont le tramadol, la morphine et l’oxycodone.

De même, la mortalité par overdose d’antalgiques opioïdes a plus que doublé en France pour atteindre 3,2 décès par millions d’habitants en 2015, soit au moins quatre décès enregistrés par semaine. « Le tramadol et la morphine sont les deux substances les plus impliquées dans ces décès par overdose accidentelle », note l’agence.

Elle précise que « cette problématique touche principalement des patients qui consomment initialement un antalgique opioïde pour soulager une douleur et qui développent une dépendance primaire à leur traitement.Les femmes sont majoritairement concernées. » Elles représentent en effet 60% des utilisateurs d’opioïde fort. »

Les femmes représentent 60% des utilisateurs d’opioïde fort.

 

Dans le cas du tramadol, « ceux qui prescrivent ce médicament ne sont pas forcément des spécialistes du traitement de la douleur. Ils ne sont pas toujours conscients des risques de dépendance. Il faudra communiquer davantage à ce sujet et peut-être envisager des restrictions dans le renouvellement d’ordonnance », a commenté Nathalie Richard.

De leur côté, les Etats-Unis ont atteint un niveau sans précédent de décès par overdose d’opiacés, qui dépasse largement celui d’autres pays à hauts revenus, dont la France, situé d’ailleurs parmi ceux dont la mortalité par overdose est la plus basse, selon une récente étude [2]. Aux Etats-Unis, elle est désormais 3,5 fois plus élevée que la moyenne des autres pays pris en compte.

Les auteurs de cette étude précisent que la plupart des pays cités ont limité l’usage des opioïdes forts pour traiter les douleurs, exceptés l’Australie et le Canada, qui font également face à une mortalité accrue par surdosage, notamment après multiplication des prescriptions d’oxycodone. En Europe, ce sont surtout les pays du Nord, comme la Finlande, et le Royaume-Uni qui sont confrontés à cette situation.

En France, les femmes représentent 60% des utilisateurs d’opioïde fort.

Classement européen

Dans son bilan, l’ANSM souligne justement que la France reste assez modérée sur la consommation d’opioïdes forts. Selon des données de 2015 portant sur sept pays européens (France, Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni, Danemark et Suède), elle fait partie de ceux qui en consomment le moins. Elle est au troisième rang pour l’utilisation des opioïdes faibles. (Lire aussi Overdoses en hausse et disponibilité croissante des opiacés inquiètent l’Europe ).

Dans la majorité des cas, ce sont les médecins généralistes qui prescrivent. La douleur aiguë est plus souvent un motif de prescription d’opioïdes faibles (71% des cas) que d’opioïdes forts (50%). Un constat qui s’inverse pour la douleur chronique (respectivement 12% contre 43%), comme pour les douleurs dorsales (8% contre 22%) ou celles liées à l’arthrose (2,6% contre 7%).

Par ailleurs, le nouvel utilisateur d’opioïdes forts est plus âgé (âge médian de 63 ans) que celui d’opioïdes faibles (48 ans). Près de 31% de ceux qui commencent à prendre un opioïde de forte intensité ont 75 ans et plus.

« Un antalgique opioïde, qu’il soit faible ou fort, expose à un risque de dépendance, d’abus, de mésusage, de surdosage et de dépression respiratoire pouvant conduire au décès », rappelle l’ANSM. Elle ajoute que la surveillance de ces risques doit être systématique, comme l’information apportée au patient sur le traitement et son arrêt.

Un antalgique opioïde, qu’il soit faible ou fort, expose à un risque de dépendance, d’abus, de mésusage, de surdosage et de dépression respiratoire pouvant conduire au décès  ANSM 

« Renforcer la formation »

Parmi les actions présentées pour améliorer le bon usage et réduire les risques, l’agence a rappelé la mise à disposition récente de la naloxone, l’antidote des surdoses aux opioïdes, sous forme nasale ou injectable. Initialement prévue pour les usagers de drogue, elle est désormais accessible aux patients traités par anti-douleurs.

L’ANSM envisage aussi de « renforcer la formation des professionnels de santé sur la prescription et la délivrance des antalgiques opioïdes », mais aussi d’améliorer le parcours de soins, avec notamment une réévaluation du traitement après trois mois maximum, ou la diffusion de l’information, en particulier des recommandations, auprès des professionnels de santé.

En fin de rapport, l’agence présente un résumé, destiné aux professionnels de santé, des recommandations de bonne pratique clinique sur l’utilisation des opioïdes forts dans la douleur chronique non cancéreuse de la Société française d’Évaluation et de traitement de la douleur (SFEDT).

De son côté, le réseau de prévention des addictions (RESPADD) a publié en ligne un guide pratique pour améliorer la prescription des antalgiques opioïdes, tandis que l’Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA) a élaboré un document informatif pour sensibiliser le grand public au bon usage des anti-douleurs.

« On constate que l’information est encore insuffisante. Il est nécessaire de sensibiliser les médecins sur la nécessité d’être vigilant et de savoir repérer les patients les plus à risque d’addiction, en particulier en cas de renouvellement d’ordonnance », a précisé Nathalie Richard.

L’ANSM prévoit de solliciter de nouveau les professionnels de santé pour élaborer et mettre en place d’autres mesures de prévention. 

On constate que l’information est encore insuffisante. Il est nécessaire de sensibiliser les médecins sur la nécessité d’être vigilant Nathalie Richard

 

Les dangers du tramadol

Successeur du Di-Antalvic® et des autres médicaments associant dextropiopoxyphylène et paracétamol), retirés du marché en 2011 en raison du risque de surdose mortelle, le tramadol serait-il tout aussi dangereux ?

Selon le bilan de l’ANSM, le tramadol, désormais largement utilisé, est aussi le premier antalgique opioïde rapporté dans les notifications d’usage problématique du réseau d’addictovigilance. « Plus de 50 % des syndromes (ou signes) de sevrage au tramadol concernent des prises à doses thérapeutiques, parfois pendant une période très courte (inférieure à une semaine) ».

Le tramadol est également devenu le premier opioïde impliqué dans les décès. « Depuis 4 ans, le premier antalgique directement impliqué dans les décès est le tramadol (37 décès en 2016), suivi par la morphine (22 décès) », selon les résultats de l’enquête « Décès toxiques par antalgiques ».

L’agence précise que 400 mg de tramadol/jour est équivalent à 80 mg de morphine/jour. D’où un risque élevé de surdosage en cas de prise répétée ou de dépendance « commun à tous les opioïdes ». L’ANSM constate « l’émergence d’un usage problématique du tramadol non négligeable en population générale » et émet des recommandations pour limiter en particulier le risque de surdosage chez l’enfant.

 

 

 

 

 

 

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