Prescription d'antibiotiques et antibiorésistance : peut mieux faire, dit la Cour des Comptes

Philippe Anaton

26 février 2019

Paris, France -- Invitée à se prononcer sur la consommation des antibiotiques en France, la Cour des comptes s'inquiète : « la France a gardé un niveau élevé de consommation d'antibiotiques, orienté à la hausse depuis 2005 ». Faute de résultats probants sur une baisse de cette consommation, elle a adressé un référé à la ministre de la Santé. Ce référé, qui datait de la fin de l'année dernière, a été rendu public le 14 févier [1]. Il accordait deux mois à la ministre pour fournir une réponse sur sa politique. Dans une lettre en date du 15 janvier, Agnès Buzyn, revient sur chacune des recommandations faites par la Cour des comptes pour faire baisser la consommation d'antibiotiques en détaillant les avancées déjà réalisées et celles à venir.

Lutte contre l’antibiorésistance : peut mieux faire !

Les magistrats de la rue Cambon ont tiré un bilan plutôt mitigé de la politique de prévention des infections associées aux soins (PROPIAS), et en particulier celle consacrée à la lutte contre l'antibiorésistance.

Dans son rapport annuel, la Cour des comptes déplore « les conséquences de ces mauvaises pratiques de prescription de ville ». Ainsi, les tests rapides d'orientation et diagnostics (TROD) qui permettent de distinguer les infections d'origine virale et les infections bactériennes n'étaient utilisés que par 40% des médecins généralistes en 2015.

Dans les EHPAD, 13% des résidents étaient sous antibiotiques à titre prophylactique, et 32% pour des indications urinaires, mais aucun examen biologique n'avait précédé ces prescriptions. L'ANSM observait aussi en 2015 que les durées de prescriptions d'antibiotiques, comprises entre huit et dix jours, représentaient 22% de la totalité des prescriptions, alors qu'il est préconisé des durées plus courtes depuis plusieurs années.

Par ailleurs, ajoute la Cour des Comptes, « ce mésusage massif de la prescription d'antibiotiques en ville est amplifié par des conditions de dispensation obsolètes à la boite et non à l'unité ». « Selon la Direction Générale de la Santé (DGS), qui se fonde sur une expérimentation menée entre 2014 et 2015 auprès de 1 185 patients et 100 pharmacies dont 75 expérimentaient la dispensation à l’unité, celle-ci appliquée aux antibiotiques permet d’économiser 10 % de la consommation totale, avec pour avantage accessoire de limiter l’automédication, particulièrement contre-indiquée dans ce cas ».

Ce mésusage massif de la prescription d'antibiotiques en ville est amplifié par des conditions de dispensation obsolètes à la boite et non à l'unité.

Les antibiotiques, c’est encore automatique !

Résultat, donc, depuis 2005, la consommation d'antibiotiques est repartie à la hausse. Pourtant, le premier plan de lutte contre la consommation d'antibiotique, marqué par le slogan « les antibiotiques, c'est pas automatique ! » avait permis une réduction de leur consommation de 19%.

« Les deux plans qui lui ont succédé, pour la période 2005-2010, puis 2011-2016, fondés sur la pédagogie et l'autorégulation des professionnels, se sont soldés par des échecs ». La consommation en ville a progressé de 3% entre 2005 et 2015 et l'objectif d'une réduction de 25% de la consommation d'antibiotiques entre 2011 et 2016 a dû être reporté à 2020.

À l'échelle européenne, la France se situait en 2016 parmi les trois pays les plus consommateurs d'antibiotiques dans l'Union européenne. Sa consommation est trois fois supérieure à celle des Pays-Bas, le double de celle de l'Allemagne et un tiers supérieur à celle du Royaume-Uni. Au sein de l'Hexagone, entre région, il existe également de grandes disparités de consommation : soit plus de 25% entre la moins consommatrice (Pays-de-la-Loire) et la plus consommatrice (Hauts-de-France).

Les deux plans fondés sur la pédagogie et l'autorégulation des professionnels, se sont soldés par des échecs.

Antibiotiques : les dispenser à l’unité

Loin d'être fataliste, la Cour des comptes émet une série de recommandations visant à réduire la consommation d'antibiotiques. Parmi ces recommandations, certaines touchent particulièrement la pratique de ville : recours aux logiciels d'aide à la prescription, dispensation à l'unité des antibiotiques, vérification croisée des antibiotiques des médecins généralistes par les médecins coordonnateurs des EHPAD, formation continue obligatoire des médecins. Pour que ces mesures soient suivies d'effet, la Cour des comptes recommande d'utiliser la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), en renseignant de nouveaux indicateurs de lutte contre l'antibiorésistance.

Agnès Buzyn est pour : so what ?

En guise de réponse à ce référé, Agnès Buzyn, ministre de la santé, dans une missive datée du 15 janvier 2019, rappelle : la pertinence des soins et des prescriptions « est l'un des objectifs de la stratégie nationale de santé que j'ai fixée dès 2017. Préserver l'efficacité des antibiotiques figure parmi les objectifs définis dans ce programme stratégique ». Ainsi, écrit Agnès Buzyn, les recommandations de la Cour des comptes quant à la lutte contre l'antibiorésistance figurent en bonne place parmi les actions à mener dans la stratégie nationale de santé : campagne de sensibilisation, amélioration de la pertinence des prescriptions, en augmentant l'utilisation des TROD, développement des tests diagnostiques.

Elle ajoute que l'intégration des logiciels d'aide à la prescription (LAP) dans les logiciels métiers est en cours d'étude à la Haute autorité de santé (HAS). De plus, rappelle-t-elle, la prescription à l'unité des antibiotiques est actuellement expérimentée sur quelques antibiotiques parmi les plus prescrits.

Au niveau de la formation, dans le cadre de la réforme des études médicales, il sera enseigné la bonne prescription aux antibiotiques, qui figure d'ores et déjà dans les programmes de développement professionnel continu (DPC).

Concernant la ROSP utilisée pour inciter les médecins à mieux prescrire, Agnès Buzyn rappelle : « il a déjà été ajouté en 2016 un deuxième indicateur de bonne prescription des antibiotiques (sous la forme de la proportion de prescription d'antibiotiques dits «critiques») à celui existant antérieurement (la proportion de patients traités par antibiotiques), et qu'un indicateur spécifique aux prescriptions pédiatriques a également été adjoint ».

Que reste-t-il donc à faire ? Une instruction devrait être rédigée à l'intention des médecins coordonnateurs d'EHPAD, « pour clarifier l'ensemble de leurs missions actuelles, notamment sur les contours de la notion de prescription en urgence ».

 

 

 

 

 

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