Enregistré le 18 janvier 2019, à Paris
Transplantation fécale : indications et études en cours
Avec une efficacité démontrée dans les infections à C. Difficile récidivantes, le transfert de microbiote intestinal pourrait bouleverser les stratégies thérapeutiques en infectiologie, mais également en neurologie, diabétologie, cardiologie ou oncologie. Le point sur la bactériologie fécale, de son origine dans la Chine moyenâgeuse aux tous récents essais cliniques randomisés.
TRANSCRIPTION
Christian Perronne — Bonjour, je suis Christian Perronne, infectiologue à l’hôpital universitaire Raymond-Poincaré à Garches et j’ai le plaisir d’être avec Benjamin Davido, imminent infectiologue, praticien hospitalier à Garches. Nous allons tout vous dire sur la transplantation fécale, qui devient une technique thérapeutique à la mode. Benjamin, j’ai appris récemment grâce à toi, qu’en fait, la transplantation fécale, c’est de l’histoire ancienne.
Benjamin Davido — Absolument. Cela remonte au IVe siècle, ce sont les Chinois qui l’ont découvert et qui l’ont décrit dans le cadre des empoisonnements alimentaires et des diarrhées infectieuses sévères pour lesquels ils n’avaient pas de traitement, et avec aucune complication au décours. Cela été repris ensuite au XVIe siècle, on appelait cela la soupe jaune, avec un rendu plus acceptable, et ensuite ce sont les Américains qui bien plus tard, après la Seconde Guerre (en 1958) avec le chirurgien digestif Eiseman, se sont aperçus que sur les diarrhées avec un aspect de colite pseudo-membraneuse, pour lesquelles les antibiotiques ne marchaient pas, la transplantation de microbiote fécale permettait de les guérir. Puis on a eu dans le temps plusieurs séries de cas, jusqu’à 200 malades dans 27 case reports, qui ont utilisé cette technique avec un certain succès sur les infections avec Clostridium, et très récemment le fameux essai thérapeutique randomisé de van Nood dans les infections à Clostridium.
Christian Perronne — Je sais qu’on a discuté au sein du conseil de la santé publique ; il y avait beaucoup d’experts qui étaient très inquiets en disant « on transplante des selles d’individus à d’autres personnes, ces selles peuvent être pleines de bactéries, de parasites, de virus qu’on ne connaît pas bien ». Est-ce qu’il y a un risque de transmission de maladies graves via cette méthode ?
Benjamin Davido — C’est une très bonne question. C’est un peu comme l’histoire de l’affaire du sang contaminé. Tout le monde s’est un posé la même question et, en fait, il y a un screening qui est extrêmement rigoureux, presque contraignant à la fois pour le donneur et pour les autorités qui le réalisent. C’est sous la gouvernance de la ANSM en France et on cherche un certain nombre de bactéries, de virus, de parasites au sein des selles, et bien sûr dans le sang. Et c’est seulement une fois que le donneur sera considéré comme sain et à la fois aussi sur des questionnaires de pratique à risque sexuel et alimentaire qu’on sera autorisé à faire la greffe.
Le risque zéro n’existe pas — ce qu’on admet dans la littérature, c’est surtout un risque d’inhalation post-transplantation. Après, sur les effets à moyen terme, éventuellement, de transmission de maladies qu’on ne connaît pas aujourd’hui, bien sûr que cela reste en suspens. Mais a priori, le risque est extrêmement faible.
Christian Perronne — Sur la méthode, les modes d’administration, il y a la voie haute et la voie basse. Moi je ne me vois pas très bien, comme ça, manger du caca à visée thérapeutique, c’est peut-être difficile à faire accepter, donc comment procède-t-on ?
Benjamin Davido — En effet il y a deux méthodes.
La voie basse : l’inconvénient est qu’il faut avoir un sphincter qui fonctionne et donc chez les sujets âgés qui font notamment des colites à répétition, qui est la seule indication validée, c’est parfois compliqué.
La voix haute : on met souvent une sonde naso-gastrique. Maintenant, la technique actuelle qui commence à se développer, c’est l’utilisation de capsules avec un double enrobage. L’inconvénient est que cela se fait sur plusieurs jours et que cela représente beaucoup de capsules. Mais, la plupart du temps, l’utilisation de la sonde naso-gastrique se passe assez bien et évite, bien évidemment, que le malade soit en contact avec les matières fécales. Cela prend quelques minutes, le temps de passer — il y a deux modalités : souvent ça se fait par forme de seringues, environ cinq seringues de 50 mL.
Christian Perronne — De la Chine antique aux données de l’après-Deuxième Guerre mondiale, maintenant on est dans les études récentes, modernes. Quelles sont finalement les principales indications ? Je crois qu’il y a le Clostridium difficile, mais il y en a d’autres ?
Benjamin Davido — Absolument. Il y a, si on regarde sur Clinicaltrials.gov, à peu près 275 demandes d’essai sur le microbiote, donc cela explose, y compris les publications scientifiques. Cela va de l’obésité – parce qu’il y a eu des travaux qui ont montré chez les souris qui étaient dysbiotiques qu’on était capable de rendre obèses des souris en transférant un microbiote à des souris qui étaient maigres – à la maladie de Crohn pour laquelle il y a actuellement des essais avec un PHRC[essai IMPACT-Crohn], les troubles de l’humeur et même des conduites addictives, y compris la consommation d’alcool, la sclérose en plaques, les troubles fonctionnels intestinaux et puis, plus récemment, ce dont moi je m’intéresse, sur l’éradication des bactéries multi-, voire hautement résistantes. Il y a des domaines vraiment très divers et variés, et ce par l’interaction du microbiote qui, maintenant, est avéré pour le système immunitaire sur un tas de choses.
Christian Perronne — D’après ce que j’ai vu, c’est plutôt sur le Clostridium difficile que les données sont les plus solides avec les meilleurs résultats.
Benjamin Davido — Absolument, c’est là où il y a le plus de données pour des raisons historiques. Donc aujourd’hui, les essais thérapeutiques randomisés dans les journaux à hauts impacts comme le New England Journal of Medicine, le JAMA, le Lancet, sont faits sur cette indication, parce que c’est là où on a le plus d’efficacité. Souvent, les experts et les cliniciens l’oublient, mais les données de succès sur l’infection à Clostridium c’est plus de 90 % de succès. Dans les autres indications, hélas, on n’a pas des résultats aussi bons et c’est vrai que les données, que ce soit en termes de conservation, de risque de transfert de maladie, etc, c’est sur le Clostridium difficile.
Christian Perronne — Et ce n’est pas sur l’infection à Clostridium habituel, c’est sur les échecs des différents traitements antibiotiques chez des gens qui restent porteurs…
Benjamin Davido — L’indication principale, ce sont en effet les multi-échecs, après c’est au libre arbitre du clinicien de décider si c’est en troisième intention. C’est ce que recommandent l’ESCMID. Actuellement, il y a une tendance avec des réflexions, puisque cela marche extrêmement bien sur son indication de première intention. Et il y a des gens qui travaillent là-dessus, sur l’indication de faire de la transplantation fécale pour outrepasser les traitements de première intention. Disons, vu que cela joue majoritairement sur le fait que cela diminue la récidive, que probablement cela serait intéressant de le faire plus au début de la maladie pour éviter que les gens récidivent, parce qu’on sait qu’il y a 30 % de récidive dans cette indication.
Christian Perronne — À Garches, on est un des deux centres d’isolement des patients porteurs de bactéries hautement résistantes à potentiel épidémique, les fameuses BHRE. Donc nous avons travaillé ensemble avec la transplantation sur ces malades. Est-ce que tu peux dire un mot de ces résultats ainsi que les résultats d’autres équipes, parce qu’on n’est pas les seuls à le faire ?
Benjamin Davido — Bien sûr. Alors, il y a un essai européen qui a été publié il n’y a pas très longtemps qui trouve à peu près la même chose que nous. L’originalité de notre travail, c’est qu’en effet on s’intéresse aux BHRE, aux bactéries hautement résistantes, et on est quasiment les seuls, puisque la plupart des études sur l’éradication des bactéries résistantes aux antibiotiques, sont sur des bactéries type BMR. Le résultat, globalement, est environ 50 % de succès. L’originalité de notre travail au sein du service est que nous n’utilisons pas de préparation antibiotique. On fait juste un lavage digestif comme dans le travail princeps de van Nood pour le Clostridium avec du soluté type PEG et que les collègues qui font des travaux là-dessus, la plupart utilisent des antibiotiques pour décoloniser préalablement. On a donc beaucoup de mal à faire le lien entre l’efficacité de la transplantation et l’efficacité du traitement antibiotique décolonisant. Pour le moment, le seul essai thérapeutique à ce jour qui est fait par l’équipe de Stephen Harbarth dans cette indication est sur des BLSE, principalement. On n’a pas montré de supériorité face à une décolonisation standard dans le temps, mais sous réserve d’utilisation d’un traitement antibiotique oral avant la transplantation.
Christian Perronne — 50 % d’élimination des bactéries hautement résistantes, cela peut paraître faible, mais c’est aussi très élevé quand on voit le coût et la charge en soins de l’isolement de ces patients dans des unités spécialisées, quelquefois pendant des mois, et qu’on peut éliminer ce portage assez rapidement.
Benjamin Davido — Absolument. C’est la vraie question — premièrement il n’y a pas énormément de patients porteurs de BHRE pour pouvoir se permettre de faire un essai thérapeutique randomisé contre placebo, mais 50 %, en effet — c’est 50 % jusqu’à trois mois et dès un mois — et si on regarde la littérature on sait que la décolonisation spontanée est plutôt de l’ordre de 20 % - 25 %. Donc on a l’impression d’une chose assez certaine sur laquelle tous les auteurs se mettent d’accord, c’est que cela accélère la décolonisation et que probablement à moyen terme, une fois qu’on aura réussi à valider ces données de façon un peu plus universelle, peut-être qu’on pourra lever les isolements plus tôt à l’hôpital et renvoyer les malades plus tôt. Cela coûtera moins cher à la société…
Christian Perronne — Quand tu parlais tout à l’heure de la maladie de Crohn, il y a la rectocolite hémorragique, les MICI (maladies inflammatoires de l’intestin). Il y a des résultats qui sont assez bons, mais je crois que le problème est qu’il faut refaire les lavements tous les mois, donc c’est le problème d’une thérapeutique qui doit s’instaurer sur le long terme, ce n’est pas toujours évident.
Benjamin Davido — C’est ça. Je pense que l’idée de l’utilisation de la transplantation comme quelque chose de magique et d’universel, on ne revient peu. Aussi pour des raisons simples, on ne sait pas très bien pourquoi ça marche, y compris dans le Clostridium, même si on sait que c’est une bactérie sporulée qui a une compétition avec la flore microbienne saine. Dans les MICI, dans les rectocolites hémorragiques, on utilise des lavements, c’est parfois plus compliqué, et on sait qu’on doit faire des traitements multiples et répétés dans le temps, souvent plusieurs fois par mois, ce qui rend les choses très contraignantes et avec, du coup, des résultats qui sont un peu plus modestes que les thérapeutiques conventionnelles qui se prennent par voie orale, comme les immunosuppresseurs, les corticoïdes.
Christian Perronne — Il y a aussi, je crois, des données intéressantes dans la réaction du rejet contre l’autre, la GVH.
Benjamin Davido — Absolument. Il y a des données très intéressantes, premièrement sur le fait qu’on se rend compte que la réponse de l’allogreffe chez ces patients en hématologie est souvent conditionnée à la prise d’antibiotique préalable, et ça c’est une piste qui a fait penser à la transplantation de microbiote. On s’aperçoit que le fait de garder le microbiote des gens avant leur maladie et de le leur remettre au moment donné où ils ont eu cette allogreffe permet de diminuer de façon considérable et significative le risque de complications chez ces malades d’hématologie. Et cela devient de plus en plus pratiqué. Encore une fois, à titre compassionnel, ce n’est pas quelque chose qu’on va faire comme ça, mais en France, notamment, on a le groupe français de la transplantation fécale qui est composée de plusieurs experts, dont je fais partie, et on se réunit pour décider si le malade a la bonne indication pour cette transplantation compassionnelle.
Christian Perronne — Ces résultats sont intéressants parce que cela rejoint un sujet de recherche à la mode dans toutes les disciplines médicales actuellement, c’est le rôle du microbiote de notre flore intestinale sur le système immunitaire (on sait que beaucoup de cellules immunitaires sont dans l’intestin), sur l’évolution des maladies chroniques, inflammatoires… C’est un sujet passionnant. J’ai le souvenir d’une publication d’il y a quelques années où des équipes — alors ce n’est pas tout à fait la transplantation fécale — mais ils avaient fait avaler des nématodes, des vers intestinaux non pathogènes pour l’homme pour établir un portage de parasites type vers dans l’intestin et cela modulait, dans le bon sens, des maladies auto-immunes chroniques. Donc c’est un sujet qui est très intéressant.
Benjamin Davido — On découvre maintenant tout un tas de choses régulées par le tube digestif, du VIH au diabète insulinodépendant, aux maladies hématologiques, y compris les gènes du cancer au niveau du tube digestif. Cela veut dire qu’il y a probablement un spectre extrêmement important de pistes ; on ne sait pas si le succès sera au rendez-vous sur cette dysbiose responsable, lorsqu’on restaure le microbiote, avec plus ou moins de succès thérapeutique.
Christian Perronne — Après, il restera à affiner les histoires de dose, de voies d’administration selon les applications. Est-ce qu’on peut utiliser des selles congelées ? Je crois que ça marche bien aussi.
Benjamin Davido — En effet, il y a eu un essai thérapeutique randomisé il n’y a pas très longtemps [en 2016] publié dans le JAMA par l’équipe de Lee qui a montré encore une fois sur le Clostridium, qu’on pouvait garder des selles congelées jusqu’à 12 mois sans qu’il y ait d’impact sur la flore digestive et sur le microbiote transplanté et, en termes d’outcome et de succès thérapeutique sur l’éradication, cela n’impacte pas. La vraie question finalement est qu’on transplante à partir d’un donneur qui, idéalement, ressemble le plus aux patients cibles. Dans le travail initial, encore une fois, il était conseillé d’utiliser quelqu’un de parenté au premier degré, du même sexe. Aujourd’hui, on parle beaucoup de ce qu’on appelle le donneur universel, un individu unique qui pourrait avoir des indications potentielles diverses et variées selon la maladie qu’on va cibler. Et c’est vrai que toutes ces choses-là sont autant de mystères à élucider que des pistes pour des travaux de recherche.
Christian Perronne — Je crois qu’il y avait des travaux aussi pour faire des espèces de selles artificielles à base de bactéries lyophilisées…
Benjamin Davido — Exactement, c’est un peu ça l’idée, c’est-à-dire ce fameux donneur universel qu’on essaie de trouver, de traquer selon l’indication ; aujourd’hui il y a la banque européenne qui se trouve aux Pays-Bas, du côté de Leiden et qui permet justement d’avoir des donneurs un peu à la carte. Ils travaillent sur l’extrait de ces bactéries qui sont efficaces sur l’éradication avec l’objectif de faire des hydrolysats. Plusieurs start-up américaines font ce qu’on appelle des cocktails, des consortiums de bactéries avec environ une dizaine de bactéries isolées, lyophilisées, et qui permettent d’avoir des efficacités proches, sous réserve qu’actuellement ce sont des essais de phase 2 et phase 3 et dont on aura les résultats dans les années à venir.
Christian Perronne — Je crois qu’il va falloir suivre cette activité qui bouillonne actuellement. Merci et à bientôt.
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Citer cet article: Transplantation fécale : les études récentes - Medscape - 21 févr 2019.
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