Oxford, Royaume-Uni — Selon une méta-analyse portant sur de larges essais randomisés, le traitement par statines reste bénéfique chez les patients les plus âgés en prévention du risque cardiovasculaire (CV), même au-delà de 75 ans [1]. Les hypolipémiants peuvent donc être envisagés dans cette population, autant en prévention secondaire que primaire, estiment les auteurs.
« Nos données montrent que le bénéfice des statines sur le risque relatif d’événements CV est léger chez les sujets âgés comparativement aux plus jeunes, mais en considérant le risque absolu, l’effet est beaucoup plus important dans cette population âgée, en raison d’une mortalité d’origine CV plus élevée », a commenté le Dr Colin Baigent (University of Oxford, Royaume-Uni), co-auteur de l’étude, auprès de notre consœur de Medscape édition internationale .
Ces résultats sont importants puisque le bénéfice des statines en prévention secondaire et primaire du risque CV n’est pas clairement établi aujourd’hui chez les plus âgés, en raison de données insuffisantes ou disparates, en particulier chez les plus de 75 ans, cette tranche d’âge étant généralement exclue des essais.
Arrêt de traitement non justifié
Selon l’épidémiologiste anglais, les traitements à visée préventive sont trop souvent négligés ou dévalorisés chez les personnes âgées. « Il semble que cette population soit considérée comme trop âgée pour une approche préventive. On estime qu’il est trop tard. Pourtant, leur plus grande crainte est d’avoir un AVC et de devenir handicapé, de tomber dans la dépendance. Les statines peuvent limiter ce risque. »
Un avis que partage le Pr François Schiele (Cardiologie et maladies vasculaires, Hôpital Jean-Minjoz, CHU de Besançon), interrogé par Medscape édition française. « Cette étude confirme que le bénéfice des statines en termes cardiovasculaire ne disparait pas avec l’âge. C’est indiscutable en prévention secondaire et c’est désormais plus évident en prévention primaire ».
« Il n’y a pas de raison majeure à déprescrire les statines à partir d’un certain âge », ajoute le cardiologue. « A l’inverse, la question de prescrire ce traitement en prévention primaire au-delà de 75 ans peut se poser. La protection apparait légère, mais je ne vois pas de raison de les priver de ce bénéfice ».
Plus modérés, les Drs Bernard Cheung et Karen Lam (Hôpital Queen Mary, Université de Hong Kong, Chine) rappellent, dans un éditorial accompagnant l’article[2], que les personnes âgées incluses dans les essais ne sont pas représentatives de la population générale et que cette méta-analyse, à elle seule, ne peut pas répondre à la question du rapport bénéfice-risque des statines au-delà de 75 ans.
Effet maintenu avec l’âge
Dans cette analyse, dont les résultats ont été publiés dans le Lancet, les auteurs ont colligé les données de 28 essais randomisés pour un total de près de 187 000 participants inclus, dont 8% de plus de 75 ans (n= 11 760). Les essais pris en compte devaient porter sur une cohorte de plus de 1 000 individus, mis sous traitement par statines pendant au moins deux ans, en prévention primaire ou secondaire, avec un suivi médian d’environ 5 ans.
Agés de 55 ans à plus de 75 ans, les participants ont été répartis en six groupes par tranche d’âge de cinq ans. Les chercheurs ont évalué l’effet du traitement par statine sur le risque CV (accident coronaire majeur, AVC ou revascularisation coronaire) ou la mortalité, selon la baisse du niveau de cholestérol-LDL.
Les résultats montrent que, dans l’ensemble, le traitement par statines est associé à une diminution proportionnelle du risque relatif d’événements cardiovasculaires de 21% pour chaque baisse de 1 mmol/L de cholestérol LDL. La diminution est moins importante avec l’âge, mais cette variation n’est pas significative, selon les auteurs.
Pour le risque d’AVC plus précisément, il est réduit de 16% pour une baisse de 1 mmol/L de cholestérol-LDL, dans tous les groupes, qu’importe l’âge. De même, le risque d’intervention pour une revascularisation coronaire est abaissé de 25%, proportionnellement au niveau de cholestérol, sans changement majeur selon la tranche d’âge.
Exclusion des insuffisants cardiaques et rénaux
Après avoir exclu quatre essais portant uniquement sur des patients avec insuffisance cardiaque ou rénale, chez qui le traitement par statine s’avère inefficace, l’analyse révèle que la baisse du risque selon le niveau de cholestérol est plus importante chez les plus âgés. Le risque relatif d’événements CV majeurs passe ainsi de -13% à -18% pour les plus de 75 ans.
Lorsqu’on distingue les patients avec ou sans antécédents cardiovasculaire, la réduction du risque CV est moins importante avec l’âge avec un traitement par statine en prévention primaire. En revanche, la baisse du risque accompagne nettement la baisse du niveau de cholestérol à tout âge en prévention secondaire.
Selon le Pr Schiele, « cette méta-analyse ne fait que renforcer une vaste masse de données en faveur de l’effet protecteur de la baisse du niveau de cholestérol sur le système cardiovasculaire. Elle confirme qu’à un âge avancé, la baisse du LDL cholestérol reste le moyen le plus simple et le moins risqué d’agir sur le risque CV ».
En révélant que l’exclusion des patients insuffisants cardiaques ou rénaux permet de retrouver une baisse significative du risque CV chez les plus âgés, « elle permet aussi d’expliquer pourquoi il y avait cette perception d’une inefficacité apparente des statines dans cette population », a ajouté le cardiologue.
La prévention primaire en question
Dans les services de gériatrie, « nombreux sont les collègues qui envisagent de retirer les statines pour alléger l’ordonnance de leurs patients, lorsqu’ils dépassent les 80 ans, car ils pensent que le traitement est alors inefficace et veulent limiter les effets sur les muscles. Or, si le traitement est bien toléré, on voit bien qu’il y a tout intérêt à le maintenir ».
Concernant les effets secondaires des statines, le cardiologue a rappelé que le risque de déclin cognitif associé aux statines n’est pas démontré. Pour ce qui est du risque d’hémorragie cérébral, « il n’est pas clairement établi, mais il est tellement faible qu’il est largement compensé par l’effet préventif des statines sur le risque ischémique ».
Reste à savoir s’il faut envisager les statines en prévention primaire chez les plus de 75 ans, d’autant plus que les recommandations de la Société Européenne de Cardiologie (ESC) se basent sur des scores de risque qui ne vont pas au-delà de 65 ans. « Le traitement est sûr. A chacun de faire son appréciation », en tenant compte du niveau de risque CV ou de la présence de comorbidités.
Les auteurs de l’étude se montrent quant à eux clairement en faveur de la prévention primaire par statines chez les plus de 75 ans. Pour convaincre, ils donnent en exemple le cas de deux patients âgés de 63 ans ou 78 ans, ayant respectivement un risque CV évalué à 2,5% et 4% par an.
« Réduire ce risque par cinq avec une baisse de 1 mmol/L de cholestérol LDL permettrait d’éviter un premier événement vasculaire majeur chaque année chez 50 individus de 63 ans et chez 80 individus de 78 ans pour 10 000 personnes traitées », estiment-ils.
D’autres études à mener
Dans l’éditorial accompagnant la publication, les Drs Bernard Cheung et Karen affirment que cette étude vient confirmer que les bénéfices des statines sont supérieurs aux risques, même chez les plus âgés, car ils ont un niveau de risque CV élevé.
Ils remarquent toutefois que les patients des essais cliniques ne sont pas représentatifs de la population générale car ils ont généralement moins de comorbidités ou de risque d’intolérance. Selon eux, cette méta-analyse ne permet pas d’avoir un point de vue clair sur le risque d’effet indésirables associé aux statines chez les sujets âgés.
Ils ajoutent que d’autres études devront être menées sur cette population âgée afin d’avoir les preuves supplémentaires sur les bénéfices et les risques de ces médicaments.
La méta-analyse a été financée par l’Australian National Health and Medical Research Council, le National Institute for Health Research Oxford Biomedical Research Centre, le UK Medical Research Council and la British Heart Foundation.
Le Pr Schiele est membre de l’ESC. Le Pr Schiele a déclaré des liens sous forme de contrats de recherche, honoraires de participation à des groupes de réflexion ou à des symposiums avec : AMGEN, SANOFI, PFIZER, MSD, ASTRA-ZENEKA, BAYER, BMS, DAIICHI-SANKYO. |
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Citer cet article: Les statines bénéfiques à tout âge, selon une méta-analyse - Medscape - 11 févr 2019.
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