La polémique enfle après le suicide du professeur Barrat

Philippe Anaton

6 février 2019

Saint-Denis -- Un geste tragique qui en rappelle un autre : dimanche dernier, le Pr Christophe Barrat, 57 ans, responsable de l'activité de chirurgie bariatrique du groupe hospitalier Paris Seine-Saint-Denis de l'AP-HP, a mis fin à ses jours en se défenestrant sur son lieu de travail, le centre hospitalier Avicenne (Saint-Denis). Comme le Pr Jean-Louis Mégnien, quelque quatre ans plus tôt, qui s'était jeté du haut du septième étage de l'hôpital européen Georges Pompidou (HEGP) à Paris.

Les deux hommes avaient la cinquantaine, (54 ans pour le Pr Mégnien), étaient respectés par la communauté médicale, étaient pères de famille. Mais pour la direction de l'hôpital Avicenne (Saint-Denis), la comparaison s'arrête là. Car, s'il est maintenant avéré que la cause du suicide du professeur Mégnien est le harcèlement qu'il subissait au quotidien à l'HEGP, la raison du geste désespéré du Pr Barrat, selon la direction du centre hospitalier Avicenne (Saint-Denis), semble être la maladie dont il était atteint. Dans un communiqué paru lundi, la direction des hôpitaux universitaires Paris Seine-Saint-Denis a en effet annoncé que le Pr Christophe Barrat « luttait depuis plusieurs mois contre une maladie grave », à savoir un cancer. Sous-entendant par là même qu'il se serait suicidé pour ce motif. Mais très vite, le délégué syndical CGT de l'hôpital Avicenne, le Dr Christophe Prudhomme, a rappelé que le professeur Barrat s'était suicidé en tenue professionnelle sur son lieu de travail.

Service du professeur Barrat démantelé à Jean Verdier

Le Dr Christophe Prudhomme a par ailleurs rappelé que le Pr Christophe Barrat, un spécialiste reconnu de la chirurgie bariatrique, avait vu son service de l'hôpital Jean Verdier démantelé il y a quatre ans. Pour le Pr Pierre Nahon, hépatologue, qui s'est confié à Libération, « Il y avait une vraie souffrance au travail. Et dans un conflit comme il pouvait y avoir, là, entre plusieurs médecins, la direction s'en servait pour le fragiliser. C'est le système qui est, là, dramatiquement défaillant. »

C'est le système qui est, là, dramatiquement défaillant Pr Pierre Nahon
Le Pr Christophe Barrat avait intégré l'AP-HP en 1993 es qualités d'interne puis chef de clinique assistant à La Pitié Salpêtrière, rappelle la direction des hôpitaux universitaires de Saint-Denis. Il a été nommé chef de clinique assistant à l'hôpital Jean Verdier en 1995 au sein du service de chirurgie digestive et métabolique, pour devenir chef de ce même service. Nommé PU-PH en 2003, il a dirigé entre 2011 et 2017 le pôle AIAN (activités interventionnelles et nutritionnelles) des hôpitaux universitaires Paris Seine Saint-Denis.

Prudence d'Agnès Buzyn

La ministre de la Santé Agnès Buzyn, en marge d'un déplacement pour l'inauguration des nouveaux locaux de la Fnehad, a appelé à la prudence : « Ne nous précipitons pas sur une explication aujourd’hui. Une enquête est en cours. Je veux que l’enquête ait lieu en toute sérénité, sans instrumentalisation. On tirera les conséquences de ce qui aura été découvert par cette enquête interne. Je n’ai évidemment pas d’opinion. »

Je n’ai évidemment pas d’opinion Agnès Buzyn

Les médecins et les proches se lâchent sur les réseaux sociaux

Sur les réseaux sociaux, la communauté médicale réagit et reproche entre autres à la direction de l'AP-HP d’avoir révélé la maladie dont était atteint leur confrère. Pour le Dr Cartier , médecin généraliste, « le pire reste la réaction de la direction de l'hôpital qui jette sur la place publique les soucis de santé personnels (somatiques) de ce confrère pour essayer d'esquiver sa responsabilité. Abject (mais hélas peu étonnant de la part de l'AP-HP). »

Le Dr Marty, président de l'UFML, fait part, lui aussi de son indignation : « Ne vous taisez plus! Ne vous laissez plus faire ! N’acceptez plus le mépris, Alertez, signalez, demandez de l’aide. Un chirurgien vient de se donner la mort il a enfilé sa tenue de bloc, et s’est défenestré. Entendre l’administration rompre le secret médical et parler de maladie grave est à gerber ! J’en appelle aux soignants : ne vous taisez plus ! »

Entendre l’administration rompre le secret médical et parler de maladie grave est à gerber ! Dr Marty

Inaction

Idem pour le Dr Kerzieck, révolté par la communication de l'AP-HP, qui a révélé la maladie du Dr Barrat : « Et quid de l’odieux message de son institution pour divulguer « une grave maladie »?!!!? » Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a publié un tweet pour faire part de son émotion : « Très vive émotion après le suicide d’un de nos confrères, chirurgien à l'hôpital Avicenne de Bobigny. L’Ordre assure sa famille, ses proches, et tous ses collègues de son soutien dans ce terrible drame. Il est urgent de répondre à la souffrance des médecins. » Mais l'Ordre des médecins est tout de suite repris par un twitos qui lui reproche son inaction : « Oui c’est ce que l'on dit à chaque suicide de médecin .... C’est ce qu'on a dit pour les suicides de l'anesthésiste de Châteauroux et qu'on a redit trois ans après pour le suicide du radiologue de Châteauroux... de même Ortho à Castre, Ortho à Eaubonne, Gynéco à Strasbourg, sans oublier le Dr Mégnien ... ça fait quand même beaucoup de suicide de chirurgien dans le public, je trouve. 3 ortho en 2018, 1 Gynéco, 1 neurochir, 1 radiologue .... La faut plus regretter faut agir ». Un CHSCT s'est tenu lundi au centre hospitalier Avicenne. D'ores et déjà, la CGT a réclamé une enquête sur les risques psycho-sociaux pour l'ensemble du personnel. Une enquête judiciaire a été ouverte par le parquet de Bobigny et confiée au commissariat de Bondy.

 

 

 

 

 

 

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